Crédits : Alain Hanel
Très belle CARMEN en ouverture de saison à l’Opéra de Monte-Carlo, portée par une excellente distribution !
Alors que la plupart des scènes européennes ont fermé leurs portes, l’Opéra de Monte-Carlo a ouvert sa saison avec une reprise de la belle production de Carmen imaginée par Jean-Louis Grinda, Rudy Sabounghi et Françoise Raybaud Pace, servie par une distribution de grande qualité .
Un chef-d’œuvre indétrônable
Les hasards de la programmation font parfois bien les choses : afficher en ouverture de saison Carmen, opéra qui demeure de façon indétrônable l’un des plus joués à travers le monde, dans une période de l’Histoire où le besoin de lien social – et donc de lien culturel – est si essentiel, plaçait d’emblée cette série de représentations monégasques sous les meilleurs auspices !
Lorsque tout a été dit – et surtout écrit – sur un chef-d’œuvre, l’amateur d’art lyrique – mais aussi de littérature – se souvient avec plaisir que, par-delà les commentaires laudatifs et anti-wagnériens d’un certain Nietzsche qui, dans les années suivant sa création (1875), entend l’ouvrage une vingtaine de fois sur scène – à commencer par Gênes et Nice –, le futur grand romancier Joseph Conrad fait part, dans sa correspondance, de son admiration pour Célestine Galli-Marié, scandaleuse créatrice du rôle, qu’il entend à Marseille en 1878.
En sortant de cette représentation donnée au Grimaldi Forum, dans le strict respect des conditions sanitaires actuelles (prise de température et tests PCR réguliers pour l’ensemble des artistes !), on se doit d’abord d’écrire le bonheur qui a été le nôtre de tout simplement, enfin, ré-entendre un ouvrage de la puissance musicale et vocale de Carmen dans le… strict respect des conditions artistiques qui lui est dû et, donc, avec l’ensemble des forces orchestrales et chorales de la Maison !
Les chœurs, l’orchestre, le chef : clefs de voûte de l’interprétation
Saluons, en premier lieu, le travail exceptionnel réalisé par Stefano Visconti, chef d’un chœur qui, pour ce spectacle, atteint les 80 membres et qui nous permet de demeurer pantois devant la force du final de l’acte II (« Le ciel ouvert ! la vie errante, pour pays l’univers, pour loi sa volonté, / Et surtout la chose enivrante, la liberté ! la liberté ! »), le chœur des contrebandiers et, bien évidemment, toute la première scène du dernier acte (« A dos cuartos ») où, au-delà de tout exotisme de pacotille, choristes et impeccable ensemble des enfants de l’académie de musique Rainier III sont là, toutes voix déployées, pour annoncer au spectateur « la fin du drame ».
Carmen est un opéra de chef. À la tête d’un orchestre philharmonique rutilant, c’est à Frédéric Chaslin, chef au parcours international impressionnant, qu’il revenait de re-dévoiler les splendeurs d’une partition naturaliste qui, d’un bout à l’autre, doit saisir le spectateur par le tragique de ses personnages principaux, l’impressionnisme de ses scènes de foule, la couleur de ses intermèdes orchestraux. Globalement, tout est bien là. Si l’on applaudit sans réserve des idées permettant d’entendre avec une oreille nouvelle un air aussi rabâché que la habanera où l’orchestre, subitement nu, retrouve les accents de la danse primitive qui inspira Bizet, on est, en revanche, plus circonspect sur les choix d’accélérations brutales de tempi que le chef se permet… y compris au sein d’un même instant musical (toujours la habanera !).
Une production de qualité
Déjà vue en 2018 au Capitole de Toulouse, la production signée par Jean-Louis Grinda (mise en scène), Rudy Sabounghi (décors et costumes avec, pour ces derniers, la collaboration de Françoise Raybaud Pace) et Laurent Castaingt (lumières) remplit parfaitement ses engagements et sait mêler, sans effets appuyés, tradition et modernité. À partir de deux panneaux incurvés qui pourront être assemblés en demi-cercle ou évoluer en espaces autonomes, sont recréés la place de Séville du 1er acte, la taverne de Lillas Pastia, le repère des contrebandiers ou la Plaza de Toros du dernier acte. Surtout, le grand mérite de ce décor est, par sa mobilité, de pouvoir régulièrement jouer sur l’enfermement et la recherche d’ouverture auquel renvoie le destin du personnage principal. Cela permet en particulier, lors de la scène finale, l’effet saisissant d’une héroïne enfermée au milieu d’un cercle de lumière tandis que sont projetés sur le mur du fond des extraits vidéo d’une faena de muleta (particulièrement bien assemblés par le vidéographe Gabriel Grinda). Signalons au passage les couleurs chamarrées des costumes de cette production.
Une distribution parfaitement compréhensible
Du côté des voix, il convient de louer tout particulièrement la qualité de prononciation de la majeure partie de la distribution, parfaitement compréhensible même dans un lieu aussi vaste que le Grimaldi Forum ! Si Jean-François Borras est un Don José au style et au bon goût impeccable dans son chant, délivrant un air de la fleur fort bien ciselé, nous devons avouer rester quelque peu sur notre faim devant un manque de mordant qui, en particulier à la fin de l’acte III, l’un des moments où le personnage a l’occasion de montrer toute l’étendue de sa vis dramatica, fait défaut. La mise en scène est pourtant là pour aider à faire transparaître – et pas simplement aux deux derniers actes – le caractère violent de José…mais l’on a ici du mal à y croire. À ses côtés, la cigarière d’Aude Extrémo évolue sur les mêmes cimes de rigueur stylistique et l’interprète sait conjuguer sensualité suggestive et psychologie approfondie du personnage. La voix est ample, les couleurs du médium moirées même si l’on peut, ici ou là, regretter quelques effets trop poitrinés.
L’Escamillo du baryton-basse roumain Adrian Sâmpetrean, à l’excellente projection, est d’une fière trempe et la ligne de chant ne trahit aucune difficulté. C’est également le cas de la Micaëla de la jeune soprano Anaïs Constans, déjà entendue à Toulouse et qui fait désormais partie de ces artistes à suivre mais à laquelle on ne saurait trop conseiller de faire attention à son suraigu, mis évidemment à l’épreuve dans son air « Je dis que rien ne m’épouvante ».
On reconnaît une grande soirée de Carmen à la bonne adéquation de ses « seconds rôles » : c’est exactement le cas avec ce plateau qui est incarné, du Moralès fort bien chantant d’Anas Séguin aux Frasquita et Mercédès efficaces – y compris dans leurs sévillanes du début du deuxième acte – de Charlotte Despaux et Fleur Barron, en n’ayant garde d’oublier les incarnations pittoresques et de belle facture des Dancaïre et Remendado de Pierre Doyen et Marc Larcher.
Décidément, une Carmen qui aura remplit ses promesses… et n’aura pas oublié de rappeler au public, toujours aussi nombreux quand elle est à l’affiche, le sens du beau mot d’œuvre patrimoniale pour tous les temps.
Carmen Aude Extrémo
Micaëla Anaïs Constans
Frasquita Charlotte Despaux
Mercédès Fleur Barron
Don José Jean-François Borras
Escamillo Adrian Sâmpetrean
Zuniga Matthieu Lécroart
Moralès Anas Seguin
Lillas Pastia Frank T’Hézan
Le Dancaïre Pierre Doyen
Le Remendado Marc Larcher
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo – Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dir. Frédéric Chaslin
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Carmen
Opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy (d’après la nouvelle homonyme de Prosper Mérimée), créé à l’Opéra-Comique, salle Favart, Paris, le 3 mars 1875. Version avec les récitatifs d’Ernest Guiraud.
Monte-Carlo, Grimaldi-Forum, représentation du dimanche 22 novembre 2020.