La Dame Blanche à l'Opéra de Rennes : une très belle réussite scénique et musicale
Jusqu’à il n’y a guère, on connaissait surtout La Dame Blanche grâce au Crabe aux pinces d’or et à Offenbach, qui la cite dans M. Choufleuri (« J’arrive en vaillant paladin ! ») et La Grande-Duchesse (« Ah, quel plaisir d’être soldat ! »). La donne risque de changer, avec pas moins de deux nouvelles productions de l’œuvre en 2020 ! Après l’Opéra Comique en début d’année, c’est au tour de l’Opéra de Rennes de proposer un spectacle appelé à tourner l’an prochain dans plusieurs théâtres de France. En attendant, ne manquez pas sa diffusion en streaming vendredi 11 décembre à 19h30 : cette Dame Blanche est une belle réussite, sur le plan scénique comme sur celui de la musique !
C’est un bien agréable vent de fraîcheur qui a soufflé sur l’Opéra de Rennes jeudi 10 décembre après-midi : la nouvelle production de La Dame Blanche concoctée par Louise Vignaud (à la mise en scène) et Nicolas Simon (à la baguette) y était donnée et enregistrée en vue d’une diffusion prévue ce soir vendredi 11 dès 19h30. Un vent de fraîcheur qui s’explique à la fois par la jeunesse des artistes engagés et/ou le fait que certains d’entre eux faisaient leurs premiers pas à l’opéra.
C’est le cas de Louise Vignaud, dont le travail est déjà largement reconnu au théâtre, mais qui n’avait pas encore mis en scène d’œuvre lyrique – malgré son amour pour la musique (voir l’interview qu’elle nous a accordée juste avant le spectacle). Pas de vidéo omniprésente, « performative » ou pas, pas de plateau continûment tournant, pas de soldats en treillis-rangers-kalashnikov accompagnant Gaveston, pas de lecture politique ou sociologique artificiellement et lourdement plaquée sur le livret de Scribe : le spectacle est débarrassé de tous les tics à la mode qui encombrent tant de mises en scène d’opéras aujourd’hui, au point de les engluer dans une désespérante routine… Louise Vignaud a cherché et trouvé des procédés permettant au public d’une part de s’approprier les codes d’un genre (l’opéra-comique du début du XIXe siècle) qui, bien que de nouveau régulièrement programmé depuis quelques années, reste peu familier à de nombreux spectateurs ; d’autre part, de susciter en lui les mêmes émotions et les mêmes questionnements que l’œuvre avait pu faire naître dans le public de 1825 : le dépaysement bien sûr (l’Écosse – et Walter Scott en particulier – fascinent alors les artistes, les lecteurs et les spectateurs français), ou encore la curiosité, mais aussi la crainte suscitées par l’étranger. Le recours à la fable animalière (les personnages portent tous des costumes évoquant qui un mouton, qui un oiseau, qui un insecte…), plutôt inattendu, s’avère parfaitement efficace pour parvenir à cette fin, et permet de préserver toutes les composantes de l’œuvre : l’histoire d’amour, le mystère, l’humour,… L’arrière-plan politique (il y est question de l’impossibilité, pour un homme du peuple, de s’approprier le domaine que possédait autrefois son maître) est très habilement actualisé, de même que les dialogues, réécrits sans jamais trahir l’esprit du texte original, avec humour, second degré, et surtout sans une once de vulgarité.
Musicalement, le principal artisan de cette réussite est sans nul doute Nicolas Simon, qui dirigeait ici sa première production lyrique. À la tête d’une phalange (orchestre Les Siècles) réduite pour les raisons que l’on sait (mais pleine de précision et de musicalité !), il parvient à préserver les couleurs, la fraîcheur et le dynamisme de la partition originale, en maintenant constamment le délicat et fragile équilibre entre les différentes tonalités de l’œuvre, tantôt légère mais sans être bouffe, tantôt sentimentale mais sans pathos, tantôt dramatique mais sans lourdeur.
Enfin, l’œuvre est servie par un plateau extrêmement jeune, dont le dynamisme, la joie de chanter et de jouer sont communicatifs. Yannis François compose un Gaveston intelligemment nuancé et qui évite l’image caricaturale que ce rôle de méchant peut autoriser – même si un peu plus de noirceur ou de mordant auraient été les bienvenus dans la scène finale. Majdouline Zerari est une Marguerite amusante et bien chantante, s’acquittant fort bien de son air du II : « Fuseaux légers, tournez ». Sandrine Buendia est une Jenny fort attachante : truculente mais sans tomber dans l’histrionisme, elle cisèle délicatement les couplets de la célèbre ballade de la Dame Blanche au premier acte. Caroline Jestaedt fait entendre un joli timbre de soprano léger et une réelle habileté dans les vocalises. La voix semble cependant un peu fluette : cela ne pose pas de problème dans le petit écrin de l’Opéra de Rennes, mais il faudrait entendre la chanteuse dans une salle plus vaste pour mieux apprécier ses possibilités. Signalons enfin un joli coup double pour les deux ténors, dont les voix se distinguent nettement l’une de l’autre, permettant ainsi de caractériser au mieux deux personnages très différents. Fabien Hyon, voix saine, franche et bien projetée, est un excellent Dickson, tant vocalement que scéniquement. Dommage que le rôle soit musicalement assez peu gratifiant ! Sahy Ratia se confirme comme l’un des espoirs les plus sûrs du chant français : la voix est d’une couleur très agréable, le style scrupuleusement respecté, la ligne vocale d’une grande souplesse… Bref, une voix tout à fait adaptée à ce répertoire.
Ne manquez pas la diffusion de ce charmant spectacle : nous en avons cruellement besoin en ces temps de disette culturelle… Et rendez-vous l’an prochain pour pouvoir applaudir les artistes « en vrai », dans un théâtre : le spectacle sera repris et tournera dans toutes les salles où il aurait dû être donné cette année !
Pour visionner l’œuvre : page Facebook de l’Opéra de Rennes
Découvrez notre dossier sur l’œuvre ici !
Le voyage de Stéphane Lelièvre à Rennes a été pris en charge par l’Opéra de Rennes.
Georges Brown Sahy Ratia
Dikson Fabien Hyon
Jenny Sandrine Buendia
Gaveston Yanis François
Anna Caroline Jestaedt
Marguerite Majdouline Zerari
Orchestre les Siècles, chœur Le Cortège d’Orphée, dir. Nicolas Simon
La Dame blanche
Opéra-comique en trois actes de François Adrien Boieldieu, livret d’Eugène Scribe d’après Guy Mannering et Le Monastère de Walter Scott, créé le 10 décembre 1825 à l’Opéra-Comique.
Représentation du 10 décembre 2020 à l’Opéra de Rennes