Le 25 mars, fête nationale grecque, marque le début de l’insurrection de 1821, laquelle conduisit à l’indépendance de la Grèce face à l’empire ottoman. En cette année de bicentenaire révolutionnaire, Athènes propose une nouvelle production d’Andrea Chénier, avec en tête d’affiche Marcelo Álvarez et Maria Agresta.
Le répertoire italien fin de siècle redeviendra-t-il un jour à la mode ? L’a-t-il jamais été en France ? On est en droit de se poser la question, tant nos salles d’opéra se sont montrées – et plus encore : se montrent – frileuses avec les œuvres que l’on qualifie de façon parfois abusive de véristes. Le fait qu’il ait fallu attendre 2009 pour qu’André Chénier entre au répertoire de l’Opéra de Paris est en soit très révélateur du mépris dans lequel cette musique est tenue. Certes, la construction dramatique de l’ouvrage n’est pas parfaitement aboutie (c’est surtout vrai du second acte), et l’on est toujours un peu gêné de voir les actes III et IV préfigurer aussi nettement les deux derniers actes de Tosca (Illica signe d’ailleurs les livrets de ces deux œuvres), sans pour autant atteindre l’essence tragique du chef-d’œuvre de Puccini. Mais incontestablement, l’œuvre de Giordano possède ses qualités propres : elle fait notamment entendre un orchestre richement coloré, des motifs puissamment expressifs, et plusieurs scènes marquantes : « La mamma morta », bien sûr, mais aussi, entre autres, pas moins de trois airs pour le rôle-titre, deux belles scènes pour le baryton et deux superbes duos.
Est-ce parce que l’arrière-plan historique de l’œuvre, avec l’évocation des Merveilleuses, des Girondins, de Robespierre, Marat, Fouquier-Tinville, les échos musicaux de la Carmagnole, du Ça ira ou de la Marseillaise, est trop prégnant ? Les mises en scène, aujourd’hui pourtant si friandes des transpositions les plus inattendues, restent en tout cas toujours sagement ancrées dans le contexte de la Révolution française tel que décrit par le livret (été 1789 pour le premier acte, 1794 pour les trois autres). Celle proposée par Nikos Petropoulos pour l’Opéra national de Grèce ne déroge pas à la règle : tout y est, des bonnets phrygiens aux extravagants chapeaux des Merveilleuses, des piques sur lesquelles sont plantées les têtes des guillotinés aux pantalons à rayures portés par les « sans-culottes ». Le spectacle se déroule sans faute de goût mais sans grande imagination non plus, se contentant d’une sage mise en images du livret. Voilà en tout cas qui satisfera pleinement les partisans de la tradition.
Musicalement, l’œuvre est assez difficile à monter, en raison notamment d’une galerie de seconds rôles très riche. L’Opéra national d’Athènes, comme pour sa Butterfly d’ouverture, a fait le choix d’inviter deux chanteurs internationaux pour les deux personnages les plus importants, et de distribuer des artistes grecs dans les autres rôles. L’ensemble se révèle très homogène, avec quelques irrégularités (une Bersi un peu acide, une Comtesse et une Madelon aux timbres usés, ce qui se conçoit bien pour la seconde, moins bien pour la première) mais, au total, une équipe de chanteurs très impliqués dans le spectacle. S’en distinguent notamment Yannis Yannissis, Foucher efficace, et Dimitri Platanias – un habitué de Gérard qu’il a notamment chanté à Covent Garden –, qui offre du personnage autre chose que le portrait monolithique auquel on le réduit parfois.
Maria Agresta semble s’éloigner de plus en plus des rôles belcantistes qu’elle chantait encore il n’y a guère (elle aurait dû cependant incarner Elisabetta de Roberto Devereux au Théâtre des Champs-Élysées en mars 2020…) au profit d’emplois de plus en plus lyriques. Sa Madeleine est sensible et émouvante, portée par une voix au timbre un peu impersonnel mais bien conduite en dépit d’un vibrato parfois un peu large.
On retrouve dans le rôle-titre Marcelo Álvarez, qui avait fait ses débuts en Chénier à l’Opéra Bastille en 2009. Après quelque trente ans de carrière, la voix a conservé l’essentiel de ses couleurs et une belle qualité de projection. La ligne de chant, en revanche, malgré une vraie volonté de nuancer, a perdu en souplesse et se fait souvent hachée, en raison d’un souffle un peu court et d’aigus certes vaillants mais atteints au prix d’efforts visibles. Le metteur en scène, enfin, n’a pas réussi à libérer l’acteur (particulièrement mal fagoté et perruqué au premier acte) d’un jeu toujours un peu gauche, ce qui s’avère préjudiciable à l’incarnation d’un personnage duquel doit émaner un charisme incontestable.
Interventions vaillantes du chœur, et raffinées de l’orchestre (avec notamment des cordes particulièrement soyeuses), placés sous la conduite énergique et précise du chef français Philippe Auguin.
Un spectacle qui, après Madame Butterfly et Don Giovanni, confirme la visibilité nouvellement acquise par l’Opéra national de Grèce parmi les scènes européennes.
Spectacle visible en streaming sur le site du GNO.
Andrea Chénier Marcelo Álvarez
Charles Gérard Dimitri Platanias
Roucher Yannis Yannissis
Fléville Vangélis Manniatis
L’Incroyable Christos Kechris
Fouquier-Tinville Giorgios Matthaiakakis
Mathieu Kostis Rasidakis
Madeleine de Coigny Maria Agresta
Bersi Marisa Papalexiou
Comtesse de Coigny Inès Zikou
Madelon Julia Souglakou
Chœur et Orchestre du GNO, dir. Philippe Auguin
Mise en scène Nicos Petropoulos
Andrea Chénier
Opéra en 4 actes de Umberto Giordano, livret de Luigi Illica, créé à la Scala de Milan le 28 mars 1896.
Opéra capté le 28 mars 2021, disponible en streaming sur le site du GNO.