Liège : une Traviata pour dire adieu à Stefano Mazzonis di Pralafera
Crédits photos : © Opéra Royal de Wallonie-Liège
Soirée émotion à l’Opéra de Wallonie-Liège, où deux représentations de La Traviata ont été organisées en vue d’une captation, en hommage à Stefano Mazzonis di Pralafera. Pour cette occasion, plusieurs complices du directeur récemment disparu ont été réunis : le chorégraphe et metteur en scène Gianni Santucci, qui avait assisté Stefano Mazzonis di Pralafera lors de la mise en scène de ce même opéra qu’il avait proposée en 2015 ; la cheffe Speranza Scappucci, occupant les fonctions de directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège depuis la saison 2017-2018 ; ou encore la fidèle Patrizia Ciofi, à qui Stefano Mazzonis di Pralafera avait permis récemment de se confronter à de nouveaux rôles (une très belle Luisa Miller en 2014, Norma en 2017 ou encore Vitellia). On comprendra, dans ces conditions, que cette captation proposée par les équipes de l’Opéra Royal se trouve chargée d’une émotion toute particulière…
Afin de rendre le spectacle compatible avec les mesures sanitaires, les choristes sont placés côté spectateurs et chantent masqués. Les chanteurs évoluent devant l’orchestre, dans une mise en espace sobre et efficace axée principalement, comme on s’en doute, sur le jeu des acteurs, au demeurant tous bons comédiens. L’orchestre s’est montré en très bonne forme, avec notamment des cordes peut-être plus homogènes et chaleureuses que d’habitude. Les musiciens rendent au mieux les volontés de Speranza Scappucci, qui propose de l’œuvre de Verdi une lecture puissamment dramatique, rythmée par de forts contrastes et de puissants climax. La cheffe aborde la partition avec la volonté très nette d’y imprimer sa marque, opérant pour cela certains choix parfois un peu déroutants : mise en relief de tel ou tel détail de l’orchestration, points d’orgue étonnamment étirés sur certains accords (tel celui, très longuement tenu, concluant le « Digli che vivere ancor vogl’io » du dernier acte), effets rythmiques surprenants (l’accelerando dans la reprise du « Sempre libera », le tempo du second tableau du deuxième acte, mené à un train d’enfer). On aime ou on n’aime pas, mais force est de constater qu’il s’agit là d’une lecture tout à fait personnelle de l’œuvre… et qu’il se passe toujours quelque chose à l’orchestre !
Vocalement, les comprimarii sont excellents, avec une Annina touchante (Julie Bailly) -, une Flora (Caroline de Mahieu) et un Gaston (Pierre Derhet) très en voix, et un docteur sobre (Alexei Gorbatchev).
Giovanni Meoni, qui aurait dû participer l’an dernier à la production de la rare Alzira de Verdi, incarne ici Germont père d’une voix étonnamment claire, favorisant une grande clarté de la diction. Il brosse un portrait nuancé du personnage, évitant d’en proposer une image uniformément noire et rendant ainsi ses remords finals crédibles.
Dmitry Korchak est un Alfredo juvénile et touchant, tirant habilement profit de sa technique belcantiste au premier acte ainsi qu’au premier tableau du second. Sa maîtrise du souffle et des nuances lui permet un beau legato dans ses deux duos avec Violetta, et on ne retrouve guère ici le péché mignon du ténor (sauf peut-être à la toute fin de son air), qui a parfois tendance à forcer inutilement une voix d’essence plutôt délicate.
Patrizia Ciofi, enfin, retrouve Violetta, un des rôles où elle se montre bouleversante et grâce auquel elle a remporté quelques-uns de ses plus beaux succès. Dans cette captation, la soprano semble cependant en petite forme : le petit voile si caractéristique qui couvre sa voix – et qui contribue grandement à son charme – est ici trop ostensiblement audible, entraînant certaines raucités, voire un léger enrouement. Dans ces conditions, le brio attendu au premier acte n’est pas au rendez-vous, et le chant trahit souvent l’effort. Au regard de sa belle et récente Giovanna d’Arco à Metz, il s’agit sans doute d’une méforme passagère… En revanche, le chant sur le souffle, le jeu sur les couleurs vocales et une implication constante lui permettent de délivrer d’émouvants « Dite alla giovine » et « Alfredo, di questo core », et de donner au dernier acte tout la dimension tragique qu’il requiert.
Un spectacle qui, quoi qu’il en soit, démontre l’énergie de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège et sa volonté de surmonter les douloureuses épreuves traversées ces derniers temps.
Visible sur le site de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège
Violetta Valery Patrizia Ciofi
Alfredo Germont Dmitry Korchak
Giorgio Germont Giovanni Meoni
Flora Bervoix Caroline de Mahieu
Gastone de Letorières Pierre Derhet
Barone Douphol Roger Joakim
Marchese d’Obigny Samuel Namotte
Annina Julie Bailly
Dottore Grenvil Alexei Gorbatchev
Giuseppe Marcel Arpots
Il commissionario Marc Tissons
Il Servo Bernard Aty Monga Ngoy
Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie – Liège, dir. Speranza Scappucci
Mise en espace Gianni Santucci
La Traviata
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Dumas fils, créé le 6 mars 1853 à la Fenice de Venise.
Opéra Royal de Wallonie-Liège, captation des 19 et 20 mars 2021.