Die Opernprobe (La Répétition d’opéra) : un opéra peu connu du peu connu Lortzing à l’Opéra d’Angers-Nantes
Crédit photos : © Jean-Marie Jagu
Albert Lortzing : Die Opernprobe à l’Opéra d’Angers-Nantes
Albert Lorzting est très injustement méconnu en France, où même ses chefs-d’oeuvre (Zar und Zimmermann, Der Wildschütz) ne sont pas représentés. Une captation de l’opéra d’Angers-Nantes nous permet de découvrir un amusant opéra-comique en un acte, La Répétition d’opéra, créé la veille de la mort du compositeur.
Albert Lortzing : un compositeur qui reste à découvrir !
Les salles d’opéras et de concert se montrent souvent assez frileuses avec les compositeurs romantiques allemands pré-wagnériens : lorsqu’on voit que l’œuvre de Weber se réduit à quelques (rares) apparitions du seul Freischütz, il y a de quoi désespérer d’entendre un jour les opéras de Hoffmann, Lortzing ou Marschner… Albert Lortzing (1801-1851), pourtant, mériterait vraiment d’être remis à l’honneur : outre Zar und Zimmermann (1837) et Der Wildschütz (1842), ses œuvres les plus connues – strictement jamais représentée de ce côté-ci du Rhin –, qui se souvient qu’il composa également un Hans Sachs (1840), 28 ans avant Les Maîtres-Chanteurs de Wagner ? Ou une Undine (tout comme Hoffmann avant lui) en 1845, soit près de 60 ans avant la Rusalka de Dvořák ?
On ne peut donc que savoir gré à l’Opéra d’Angers-Nantes d’avoir ressuscité cette Opernprobe (La Répétition d’orchestre), créée à l’Opéra le 20 janvier 1851, soit la veille de la mort du musicien. L’œuvre n’est qu’une pochade en un acte, mais elle suffit à faire entendre un art de l’orchestration affirmé, une belle inventivité mélodique (délicieux air du ténor : « Ob ich dich liebe, fragst du mich ? », séduisant duo Hannchen/Johann…), un sens de la situation dramatique certain. La partition, sans pouvoir rivaliser avec les œuvres majeures de Lortzing, s’écoute toujours avec intérêt et plaisir, et l’on se plaît à y entendre ici ou là les couleurs de l’orchestre de Weber, ou certaines réminiscences mozartiennes (les pizzicati qui se font entendre lorsque Johann se fait passer pour un serviteur nommé Pedrillo semblent un évident hommage au personnage homonyme de L’Enlèvement au sérail et à sa sérénade « Im Mohrenland » !)
Un livret amusant, trait d’union entre Hoffmann et Offenbach !
En 1733, le dramaturge Philippe Poisson faisait représenter au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain une comédie en un acte et en vers : L’Impromptu de campagne. Afin de pouvoir approcher de sa bien-aimée, un jeune homme, accompagné de son domestique, s’introduisait chez le père, un homme passionné de théâtre, en se faisant passer pour un comédien. C’est cette pièce que Johann Friedrich Jünge traduit pour Lortzing… et adapte : depuis certains écrits de Hoffmann, la mode est aux musiciens fous, et de nombreuses œuvres littéraires et musicales fleurissent en France ou en Allemagne, qui mettent en scène des monomaniaques et autres « malades de la musique ». Aussi le personnage du père, dans le livret de Jünge, n’est-il plus fou de théâtre, mais fou de musique (ses domestiques ne peuvent s’adresser à lui qu’en chantant des récitatifs dans le genre serio ce qui nous vaut d’amusantes scènes héroï-comiques !). Il doit faire représenter un opéra le soir-même, mais son ténor se trouve indisposé. Aussi le fiancé de sa fille Louise décide-t-il de se faire passer pour un brillant « ténor itinérant » : il lui propose de sauver sa soirée, en remplaçant le chanteur indisposé, et l’œuvre de Lortzing préfigure ainsi directement… le Monsieur Choufleuri d’un certain Jacques Offenbach !
La Répétition d’opéra : une création française
Pour cette création française l’Opéra d’Angers-Nantes a fort bien fait les choses : l’œuvre est bien sûr chantée en allemand (avec sous-titres), mais les dialogues ont été habilement traduits en français. La mise en scène d’Éric Chevalier est à la fois sobre et drôle (seule, peut-être, la romance du ténor – le Baron Adolf von Reintal – aurait-elle pu être traitée de façon moins burlesque, cet air constituant pour le personnage l’occasion de déclarer sa flamme à sa bien-aimée, sans qu’on y entende, nous semble-t-il, de second degré…), rehaussée par de fort beaux costumes et de splendides éclairages (signés également Éric Chevalier) – mais aussi une habile réalisation d’Anaïs Spiro.
Les chanteurs, desquels se détachent la Hannchen (femme de chambre et Kappelmeisterin !) espiègle et musicale de Marie-Bénédicte Souquet, l’amusant baron Adolf de Carlos Natale et le touchant Johann de Marc Scoffoni, sont formidablement impliqués et se révèlent tous fort habiles comédiens. Les chœurs chantent (et miment les musiciens d’orchestre !) avec talent, mais ce sont surtout l’orchestre et la direction d’Antony Hermus qui semblent les maîtres d’œuvre de cette réussite. Le chef tire en effet le meilleur parti d’un Orchestre National des Pays de Loire vif, précis, coloré, et rend parfaitement justice à cette partition enjouée dont l’esthétique participe à la fois du classicisme tardif et du romantisme.
Merci à l’Angers-Nantes Opéra pour cette création française – et cette belle découverte, dont on peut prolonger le plaisir par l’écoute des deux intégrales disponibles en CD : l’une (1953) étant publiée chez Mito (avec Dorothea Siebert et Rudolf Christ, dir. Kurt Richter), l’autre (1975) chez EMI (avec Regina Marheineke et Nicolaï Gedda, dir. Otmar Suitner).
Le comte Jean-Vincent Blot
Le baron von Reinthal Ugo Rabec
Adolf von Reinthal Carlos Natale
Johann, son valet Marc Scoffoni
Martin, serviteur du comte Grégory Boussaud
Christophe, serviteur du comte Nikolaj Bukavec
La comtesse Sophie Belloir
Louise, leur fille Dima Bawab
Hannchen, sa femme de chambre Marie-Bénédicte Souquet
Choeur d’Angers Nantes Opéra, Orchestre National des pays de Loire, dir.Antony Hermus
Mise en scène, scénographie et lumières Éric Chevalier
Die Opernprobe
Opéra-comique en un acte d’Albert Lortzing, livret de Johann Friedrich Jünge (d’après Philippe Poisson), créé le 20 janvier 1851 à l’Opéra de Francfort.
Spectacle enregistré les 12 et 13 mars 2021 au Théâtre Graslin de Nantes.