Crédits photos : © David Herrero
Après de longs mois de silence, la réouverture des salles de spectacle ne va pas sans quelques adaptations, non seulement en raison des limites de jauge, mais aussi des contraintes sanitaires qui pèsent sur les artistes et la logistique scénique. L’important effectif choral de La forza del destino, maintenu masqué à cause du protocole médical actuel, a conduit à donner en version concertante la production de Nicolas Jöel, à la mémoire duquel l’ensemble des représentations de cette reprise sont dédiées. Nul doute cependant que, pour reprendre les mots de Christophe Ghristi, venu dire quelques mots au public pour la matinée de première, l’ancien directeur du Capitole, cher au cœur de nombre de mélomanes toulousains, n’aurait pas refusé d’avoir privilégié l’hommage de la musique, colonne vertébrale véritable du théâtre lyrique. D’autant que l’opus de Verdi est d’abord un festival de grandes voix où les situations dramatiques, d’une crédibilité discutable, servent essentiellement d’écrin à l’épanouissement musical de sentiments haut-en-couleurs.
Reconnu dans le répertoire germanique, et en particulier wagnérien, mais aussi français – elle a incarné le rôle-titre de Pénélope dans la version originale de l’opéra de Fauré en octobre dernier, juste avant le long tomber de rideau épidémique – Catherine Hunold fait valoir en Leonora son remarquable instinct dramatique. Si son entrée laisse affleurer la vulnérabilité de l’héroïne, son « Pace, pace mio Dio », climax de son incarnation, permet l’épanouissement sans réserve de sa tessiture et de sa palette expressive. Amadi Lagha impose un Don Alvaro robuste et passionné, dont les accents parfois un rien matamores n’entravent aucunement la sincérité. En Don Carlo de Vargas, le frère vindicatif, Gezim Myshketa privilégie une carrure évidente, avec un matériau solide et dense. Sans s’embarrasser de raffinements que le personnage n’appelle pas, la puissance primaire de son bronze ne verse pas pour autant dans une vulgarité rustre.
Pour ce qui concerne les comprimarii, la voix émérite de Roberto Scandiuzzi sied à l’autorité patriarcale du Marquis de Calatrava, comme à l’ascendant bienveillant de Padre Guardiano. Sergio Vitale réserve un Fra Melitone non dénué de saveur débonnaire, comique à l’occasion. Raeham Bryce-Davis fait briller les chamarres bohémiennes de Preziosilla. Roberto Covatta ne démérite pas en Trabuco. L’intervention de Curra revient à Cécile Galois et celles, dans le ton du drame, de l’alcade et du chirurgien, à Barnaby Rea. Préparé par Alfonso Caiani, le Chœur du Capitole participe de la fresque verdienne, en particulier dans les scènes de genre, à l’exemple de l’auberge au deuxième acte. À la tête de l’Orchestre national du Capitole, Paolo Arrivabeni a le souci de la patine orchestrale et fait respirer les élans de l’italianità de la partition, avec sans doute moins de mordant et de contraste que ce à quoi nous avait accoutumé le chef italien, expert dans le répertoire de sa péninsule natale. Gageons que le retour du public lui rendra toute sa flamme.
Signalons, pour finir, que, du fait du couvre-feu, seules les matinées du 23 et du 30 mai donnent la version intégrale de La forza del destino, les quatre soirées proposant une version réduite en une heure quarante cinq, sans entracte.
Donna Leonora Catherine Hunold
PreziosillaRaehann Bryce-Davis
Curra Cécile Galois
Don Alvaro Amadi Lagha
Don Carlo de Vargas Gezim Myshketa
Le Marquis de Calatrava / Padre Guardiano Roberto Scandiuzzi
Fra Melitone Sergio Vitale
Trabuco Roberto Covatta
Un alcade / un chirurgien Barnaby Rea
Orchestre national du Capitole, Chœur du Capitole, dir. Paolo Arrivabeni
La Forza del destino (La Force du destin)
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Alvaro o la forza del destino d’Ángel de Saavedra, créé le 10 novembre 1862 au Théâtre impérial Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg (version définitive : 27 février 1869, Teatro alla Scala, Milan)
Théâtre du Capitole, Toulouse, 23 mai 2021