Tosca à l’Opéra Bastille – « Oui, tu l’auras ce soir ! … »

Crédit photos : © Vincent Pontet / OnP

Contre toute routine : retour de TOSCA à l’Opéra National de Paris

Cette reprise se singularise par la rencontre de l’expérience et de la fraîcheur de la jeunesse

Mini-saison de trois titres pour l’Opéra de Paris qui rouvre néanmoins avec une création au Palais Garnier (cf. le compte rendu du Soulier de satin par Gilles Charlassier) et propose deux autres œuvres dont cette reprise de Tosca dans la mise en scène de Pierre Audi, datant de l’automne 2014, pour la réouverture de l’Opéra Bastille. Comme le rappelle Alexander Neef, venu saluer le public, remercier les personnels dans leur ensemble et les artistes en particulier, la salle n’avait plus accueilli d’événements depuis quinze mois, ayant fermé après le 4 mars 2020. Annoncée d’abord pour une quinzaine de représentations à partir de début mai, avec deux distributions en alternance, ce nouveau cycle de sept soirées renonce enfin au vedettariat du couple Alagna-Kurzak dans les rôles des amants malheureux.

Deux prises de rôle prometteuses

« Recondita armonia » et il suffit de quelques notes pour que la magie du théâtre opère immédiatement et reprenne sa revanche sur les maints streamings et rediffusions  télévisées auxquelles nous a contraints, bon an mal an, la pandémie, sans vraiment nous permettre d’y retrouver notre plaisir. En prise de rôle, Michael Fabiano campe un Mario Cavaradossi très juvénile et sa prestance physique est un atout majeur pour l’incarnation scénique d’un personnage dans lequel il est vraisemblablement très à l’aise, voire engagé. Si son premier air laisse transparaître quelques légères hésitations, très probablement imperceptibles du public, son affrontement du début de l’acte II, l’opposant à Scarpia, est impressionnant et sa voix s’épanouit magistralement pendant la scène de la torture : bonne idée de lui faire chanter ses répliques dans la fosse, plutôt que dans les coulisses, ce qui lui permet, au seuil de l’évanouissement, de jouer d’un decrescendo émouvant. Son cri de victoire à la nouvelle de la défaite du général Melas en est alors d’autant plus prodigieux. De même, « E lucevan le stelle » constitue quelque peu la synthèse de la richesse de nuances que sait apporter le ténor américain à son interprétation, ayant là aussi recours à un diminuendo superbement tenu.

Tosca arrive à point nommé pour Maria Agresta dont la belle carrière s’illustre dans un répertoire déjà bien vaste, notamment à l’Opéra de Paris. Elle relève sans rougir le défi de se comparer à Martina Serafin et Anja Harteros, ses mémorables devancières dans cette mise en scène. Faisant sûrement trésor de l’enseignement de son professeur, Raina Kabaivanska, sans conteste l’une des meilleures titulaires du rôle au siècle dernier, elle ne cherche jamais à l’imiter et crée son propre personnage de manière plus que convaincante. Elle aura sans doute l’occasion de mûrir son approche dans les années à venir mais son travail sur la parole est d’ores et déjà très saisissant. Si certains éléments que l’on peut parfois attribuer arbitrairement au côté vériste de l’œuvre peuvent paraître encore peu incisifs dans la projection (« Assassino! / Voglio vederlo », bravant Scarpia), son « Muori dannato! » sonne tout à fait tranchant, préludant au poignant crescendo de l’ultime malédiction. Nous connaissons les hésitations de Puccini à l’égard de la prière de l’acte II, devant interrompre sans véritable justification une action incandescente : la lecture que nous propose la soprano italienne, tout en murmure dans son attaque, s’intègre entièrement dans la scène conflictuelle avec le tyran et en fait d’emblée un morceau d’anthologie.

Vieux routier démasqué

Ludovic Tézier retrouve la production qu’il avait contribué à créer. Le baryton français connaît son répertoire italien sur le bout de sa langue, si on ose dire : au fil du temps, il en est devenu l’un des meilleurs interprètes de sa génération et rien ne parvient à le troubler. La distraction vénielle qui, dans la tentative de séduction de l’héroïne, lui fait dire « bella donna » reste visiblement inaperçue des spectateurs et il se ressaisit aussitôt, témoignant dans la reprise d’un art de la scène à tout point de vue accompli : « Già. Mi dicon venal, ma a donna bella / non mi vendo a prezzo di moneta ». Tout d’une pièce, son Scarpia est très inquiétant dès sa première apparition et l’assurance du chanteur le rend encore plus menaçant.

Bonne tenue des seconds rôles. Guilhem Worms donne vie à un Angelotti très enflammé (mais la diction pourrait être plus idiomatique). Sagrestano bien chantant de Frédéric Caton. Spoletta appliqué, au débit quelque peu haché, de Carlo Bossi. Sciarrone sonore pour Philippe Rouillon. Les chœurs avancent masqués, ne perturbant nullement une mise en scène qui se veut l’illustration des derniers ressorts d’un état théocratique finissant, à l’église comme à la ville. La direction de Carlo Montanaro n’est pas dépourvue de charmes dans la recherche du détail, ce qui ressort notamment dans la brève scène de la fête entendue au loin par Scarpia, méditant son plan.

Le trône et l’autel

Un mot sur la mise en scène, bien connue du public parisien, pour avoir déjà été reproposée à l’automne 2016 et au printemps 2019. Comme le rappelle le réalisateur dans le programme de salle, il s’agit d’aller au delà du vérisme et nous ne pouvons que le suivre sur ce chemin. Rappelons donc rapidement l’omniprésence de la croix, non seulement dans le décor fixe mais aussi dans le crucifix que Tosca met à côté du cadavre de son tortionnaire, suivant quelque peu le livret qui voudrait qu’elle le pose sur sa poitrine. Une sorte de blockhaus, de la même matière que la croix du plafond, rappelant le béton brut, tient lieu d’une sorte de Château Saint-Ange, et l’église Sant’Andrea della Valle ressemble davantage à une petite chapelle des origines, malgré l’improbable bacchanale que peint Cavaradossi autour de la Madeleine-Attavanti. L’alliance du trône et de l’autel prend forme à l’acte II grâce à l’envahissante présence de l’immense aigle sur lequel repose la table-bureau de Scarpia. Le rouge pompéien des parois vient raviver des moments particulièrement sombres, débouchant sur l’impossibilité de Tosca de s’enfuir, du moins dans un premier temps, après avoir elle-même plongé la scène dans l’obscurité, en éteignant les bougies, et s’être emparée, en plus du couteau, d’un pistolet. Innovations absentes du livret, ne gênant guère une production par ailleurs plutôt traditionnelle.

Enfin la scène

Indépendamment de la réussite individuelle de chacun des interprètes principaux, retenons l’impression de joie qui se dégage de retrouver enfin la scène, davantage perceptible au seul moment où tous les trois personnages se retrouvent conjointement en scène, semblant vouloir donner le mieux d’eux-mêmes dans une confrontation des plus enflammées.

Les artistes

Floria Tosca   Maria Agresta
Mario Cavaradossi   Michael Fabiano
Il Barone Scarpia   Ludovic Tézier
Cesare Angelotti   Guilhem Worms
Il Sagrestano   Frédéric Caton
Spoletta   Carlo Bossi
Sciarrone   Philippe Rouillon
Un carceriere   Florent Mbia

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, dir. Carlo Montanaro

Mise en scène   Pierre Audi

Le programme

Tosca

Melodramma en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après Victorien Sardou, créé au Teatro Costanzi de Rome le 14 janvier 1900.

Opéra Bastille, vendredi 4 juin 2021