Crédit photos : © Simon Gosselin
Dans sa programmation, l’Opéra de Lille a consacré l’usage de finir la saison par un grand titre du répertoire, avec une longue série de représentations et une retransmission en direct dans plusieurs villes de la région Hauts-de-France, afin de toucher un public le plus large possible, et contribuer à faire mentir la réputation d’élitisme dont le genre lyrique est trop souvent – à tort – taxé. Pour cette fin de printemps 2021, c’est Tosca de Puccini qui avait été retenu. Évidemment, avec la crise sanitaire, et en dépit de la réouverture des salles, le public ne pouvait être accueilli aussi nombreux que d’ordinaire dans les murs de l’Opéra, et le calendrier a dû être réaménager. Ainsi seules quatre dates, sur la dizaine initialement prévue, ont été conservées pour la captation du spectacle, diffusé lors de la dernière le 3 juin.
Si les contraintes de l’épidémie se voient dans l’adaptation de la fosse, déplacée au parterre pour laisser aux musiciens l’espace nécessaire aux protocoles, elle se lisent aussi dans le spectacle scénique. La production de Robert Carsen ne pouvant être présentée avec les restrictions actuelles, Caroline Sonrier et l’Opéra de Lille ont confié à Olivier Fredj une nouvelle mise en espace. Avec la complicité des lumières très cinématographiques de Nathalie Perrier, le Français tire parti de la nudité du plateau, à peine meublé de quelques chaises pour symboliser un coin de nef d’église ou les appartements de Scarpia, et de quelques projections vidéo – on retiendra essentiellement le visage de Tosca qui, en noir et blanc, ponctue le drame, en particulier à chaque fin d’acte. La répartition des choeurs au premier balcon fait déborder la scène de son cadre et accentue la théâtralité de leurs interventions, aux allures de commentaire de la foule – presque un dispositif de Passion. Les textes sur le rideau se donnent comme des lignes extraites des mémoires de Scarpia, fussent-elles posthumes ou apocryphes, et livrent le point de vue du baron sadique, en explicitant certaines ellipses tragiques, à l’exemple de l’exécution du comte Palmieri, prétendue simulée alors qu’elle fut à balles réelles, comme plus tard, celle de Cavaradossi. L’horloge numérique reproduite à chaque début de séquence souligne une unité de temps sur le mode de l’urgence. Quant au nœud avec lequel se pend Tosca à la fin, elle renvoie au supplice qui devait être celui de Mario Cavaradossi – avant que Scarpia ne préfère l’ambiguïté de la fusillade. En somme, le minimalisme cinématographique n’interdit pas quelques commentaires dramaturgiques, parfois bienvenus, pour le néophyte d’abord.
Dans le rôle-titre, Joyce El-Khoury met le frémissement charnu de son timbre au service d’une incarnation investie, décrivant l’évolution psychologique de la diva, sans jamais céder à une emphase inutile. En Mario Cavaradossi, Jonathan Tetelman (applaudi il y a quelque temps en Pinkerton à Montpellier et que l’on retrouvera la saison prochaine dans Stiffelio à l’Opéra du Rhin) frappe par un héroïsme nourri de lyrisme. L’éclat solaire de la voix ne néglige aucunement la sincérité du sentiment. Mais c’est sans doute le Scarpia de Gevorg Hakobyan que l’on retiendra d’abord. A rebours des effets appuyés auxquels certains ont recours pour rendre crédible la cruauté du chef de la police romaine, le baryton arménien impose une stature et un ascendant évidents avec une émission qui ne se départ jamais de ses – admirables – ressources naturelles. Le grain de la ligne et le mordant des attaques suffisent à résumer l’expertise de ce manipulateur des âmes et des émotions, qui offre ici l’une des synthèses les plus abouties de cette fusion de la vérité du drame et de la musique voulue par Puccini.
Les comprimarii ne déméritent aucunement. Patrick Bolleire condense la déréliction de Cesare Angelotti, le consul en fuite, avec un souffle parfois au diapason de l’expression. On appréciera la bigoterie gourmande du sacristain de Frédéric Goncalves. Dans le camp des tortionnaires, Luca Lombardo ne manque pas d’impact en Spoletta. Matthieu Lécroart assume valablement les interventions Sciarrone, quand celle du geôlier revient à Laurent Herbaut. Mêlant les effectifs du Chœur de l’Opéra de Lille, préparés par Yves Parmentier, et ceux du Jeune chœur des Hauts-de-France, sous la houlette de Pascale Diéval-Wils, les ensembles participent de la vigueur dramatique et cinématographique impulsée par la direction d’Alexandre Bloch. A la tête de l’Orchestre national de Lille, le chef français fait vivre toute la riche palette expressive des couleurs et des rythmes d’une partition que le dispositif adopté ne dessert pas – au contraire. On ne boudera pas d’entendre en Tosca un grand spectacle pour les oreilles.
Floria Tosca Joyce El-Khoury
Mario Cavaradossi Jonathan Tetelman
Scarpia Gevorg Hakobyan
Cesare Angelotti Patrick Bolleire
Le sacristain Frédéric Goncalves
Spoletta Luca Lombardo
Sciarrone Matthieu Lécroart
Un geôlier Laurent Herbaut
Un berger Violette Desmalines / Daphné Greff-Kielar / Emma Ponte / Amané Shiozaki / Marion Smith (en alternance)
Orchestre National de Lille, dir. Alexandre Bloch
Mise en espace Olivier Fredj
Tosca
Opéra en 3 actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après Victorien Sardou, créé à Rome, Teatro Costanzi, le 14 janvier 1900.
Opéra de Lille, captation du jeudi 03 juin 2021