Crédits photos : © Vincent Pontet
Commençons par la bonne nouvelle : la présence, à la baguette, de Riccardo Frizza, un chef qui connaît et aime le bel canto (il est le directeur musical du festival Donizetti de Bergame). Pour la première fois à Paris depuis X années, nous entendons une œuvre de ce répertoire sans qu’elle soit défigurée par d’innombrables coupures, comme c’est presque toujours le cas le cas, y compris au Théâtre des Champs-Élysées, le seul de la capitale, pourtant, à défendre véritablement ce répertoire. Aucun chœur, aucune réplique, aucun air ne passe à la trappe ; aucune reprise n’est supprimée (les trois « Sovra il sen » sont bien là, avec variations !), la conclusion du duo Amina/Elvino est chantée dans son intégralité, la reprise de la cabalette de Rodolfo est maintenue… Un grand merci au maestro de croire en cette musique et de nous la restituer dans son intégrité. Riccardo Frizza souligne par ailleurs constamment toute la poésie de cette partition, sans en gommer pour autant les éclats dramatiques (finale du I), ni les couleurs quasi fantastiques de l’orchestre qui nimbent les scènes de somnambulisme. Une belle réussite !
Hélas, le reste du spectacle n’est guère à l’avenant. La mise en scène (Rolando Villazón) et la scénographie oscillent entre le déjà vu (plateau nu occupé non pas de chaises – pour une fois… – mais de bancs ; grands murs blancs percés d’une dizaine de portes – comme dans une production d’opéra sur deux aujourd’hui…), le ridicule (la chorégraphie façon Macarena pendant « Ah ! Vorrei trovar parole ») et le contre-sens : sous le prétexte qu’une fin heureuse « manquerait d’ambiguïté », Rolando Villazón, à l’encontre de tout ce que disent les mots et la musique, plonge Amina dans le désespoir : sa mère lui donne une valise et lui montre la sortie d’un air autoritaire, tandis que Lisa épouse Elvino… Le plus agaçant cependant reste cette manie d’encombrer l’intrigue de mille micro-événements : il n’est pas une scène qui ne soit parasitée par une péripétie (un enfant qui fait le pitre, Alessio et Teresa qui se disputent…), qui non seulement se révèle inutile, mais empêche de se concentrer pleinement sur la musique.
Le plateau vocal, malheureusement, ne permet pas de rattraper les choses… Si Alexander Tsymbalyuk est un Rodolfo noble et sobre, au chant assuré (surtout au second acte), le couple de jeunes premiers reste en-deçà de ce qu’on est en droit d’attendre d’une soirée de bel canto. Francesco Demuro triomphe après son air grâce à un aigu et un suraigu crânement assurés. Elvino, cependant, exige presque constamment une émisson di grazia dont le ténor est dépourvu, sa voix manquant absolument de la morbidezza indispensable au rôle : « Prendi : l’anel ti dono », « Tutto è sciolto », « Io più non reggo » devraient être des moments de pure poésie et de suavité, malheureusement empêchés par des voyelles excessivement ouvertes et une émission mal assurée (surtout dans l’aigu). Le cas de Pretty Yende est tout autre : la beauté du timbre n’est pas en cause, ni la technique (encore que les variations de « Ah, non giunge », au demeurant peu heureuses, ne soient pas parfaitement maîtrisées), ni même le format vocal : le médium et le grave sont consistants, bien plus que chez la plupart des voix « légères » (même si la chanteuse est vraiment inaudible dans le « Non è questa, ingrato core » du premier acte). Mais nous aurons rarement entendu une Amina à ce point inexpressive : que le personnage exprime l’allégresse, le désespoir, l’incrédulité, la couleur de la voix reste constamment la même, sans jamais s’éclairer d’un sourire dans les moments de liesse, ni s’assombrir ou, encore moins, se mouiller de larmes dans le sublime récitatif « Oh ! Se una volta sola… ». Dans ces conditions, le « Ah, non credea mirarti », auquel aucune nuance, aucun changement de couleur, aucun piano, aucun diminuendo, aucun crescendo, aucune messa di voce ne viennent donner vie, laisse complètement de marbre. Un comble pour une des pages les plus bouleversantes du répertoire…
Finalement, les seules vraies satisfactions vocales auront été apportées, outre Alexander Tsymbalyuk, par Sandra Hamaoui, qui dans le rôle modeste de Lisa, fait entendre un timbre mordant, richement coloré, porté par une technique solide lui permettant de délivrer un beau « De’ liete auguri » au second acte.
Je me dois de dire, pour terminer cet article, que tous les artistes, au rideau final, ont reçu un accueil enthousiaste, voire triomphal pour Pretty Yende : la critique étant par nature subjective – et aucune critique n’étant par ailleurs parole d’évangile –, je ne saurais donc trop encourager les lecteurs à lire d’autres comptes rendus, ou, mieux encore, à aller se forger eux-mêmes leur propre opinion en assistant au spectacle, donné jusqu’au 26 juin.
Amina Pretty Yende
Teresa Annunziata Vestri
Lisa Sandra Hamaoui
Rodolfo Alexander Tsymbalyuk
Elvino Francesco Demuro
Alessio Marc Scoffoni
Orchestre de chambre de Paris, Chœur de Radio France , Maîtrise des Hauts-de-Seine, dir. Riccardo Frizza
Mise en scène Rolando Villazón
La Sonnambula
Mélodrame en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, créé le 6 mars 1831 à Milan (Teatro Carcano)
Représentation du Jeudi 17 juin 2021, Théâtre des Champs-Élysées, Paris.