Crédit photos : © Wilfried Hösl
Deux prises de rôle réussies, un orchestre flamboyant… mais une mise en scène oscillant entre l’agaçant et l’insignifiant.
Nous ne sommes ni un admirateur inconditionnel de Krzysztof Warlikowski, ni un de ses contempteurs systématiques, et estimons qu’il a réalisé certains spectacles très forts, d’autres quelconques, d’autres ratés… De notre point de vue, le Tristan munichois est malheureusement à ranger sous cette dernière catégorie. Pourquoi Brangäne est-elle une infirmière au premier acte, et Kurwenal un prêtre (c’est du moins ce que son habit noir et son col romain semblent indiquer… ) ? Pourquoi le pilote est-il présent pendant les trois premiers quarts d’heure du premier acte, les yeux bandés, portant une couronne et vêtu d’une cape bleu métallique avec une croix dorée ? Est-on dans un hôpital psychiatrique ? Un centre de désintoxication pour toxicomanes (pendant leur duo d’amour, Tristan et Isolde s’apprêtent à se shooter) ? Qui sont ces deux personnages aux visages couverts de masques en celluloïd façon Fantômas, qui représentent – parfois – les doubles des personnages du drame ? Pourquoi sont-ils douze au dernier acte, attablés autour de Tristan comme s’ils rejouaient la cène, un mug ou un verre posé devant eux ? On essaie de comprendre, on pense comprendre parfois… puis peu nous importe et on abandonne. On n’assiste pas à Tristan et Isolde pour se demander à chaque seconde quelle peut bien être l’histoire que nous raconte le metteur en scène. Elle est sans doute passionnante et intelligente, mais la musique et le livret de Tristan sont trop denses pour qu’on se disperse à essayer d’entrer dans un message et une narration qui leur sont somme toute étrangers. Ou alors ce serait perdre de vue le poème, la partition, l’interprétation musicale : c’est un choix que nous n’avons pas fait. D’autant que, et c’est plutôt rare chez Warlikowski, certains tableaux, certaines vidéos sont d’une naïveté confondante, certaines scènes d’un ridicule complet (Isolde activant frénétiquement l’interrupteur au second acte – un jeu de scène au demeurant déjà vu dans d’autres mises en scène –, Tristan se déplaçant à quatre pattes,…). Plus d’une fois, ce que l’on voit relève du procédé à la mode déjà vu et revu plutôt que de la véritable idée éclairante : présence d’instrumentistes sur scène (le cor anglais, les cuivres), incessantes montées et descentes de l’écran permettant les projections,… Enfin, pendant le duo d’amour, et spécialement lorsque Tristan et Isolde chantent leur joie de s’embrasser et de pouvoir enfin toucher leurs mains, leurs bras, leurs lèvres, les deux amants restent, comme on s’y attendait, à plusieurs mères l’un de l’autre, le regard fixé droit devant eux. Bref, tout cela agace (parfois), ou indiffère (souvent).
Musicalement, les satisfactions sont tout autres… Avec notamment d’excellents seconds rôles, parmi lesquels brillent le berger aux interventions pleines de mélancolie de Dean Power, le pilote au chant très soigné de Christian Rieger et le Melot très convaincant de Sean Michael Plumb. La timbre velouté et profond de Mika Kares lui permet de privilégier le côté humain du roi Marke et d’en proposer un portrait fort touchant. Sans être absolument marquants, Wolfgang Koch et Okka von der Damerau sont des Kurwenal et Brangäne tout à fait estimables, même si l’on retient de la seconde la puissance sonore plutôt que le soin apporté à la ligne ou la poésie des appels nocturnes.
Mais c’est bien sûr le couple vedette (enfants chéris du public munichois) qui était particulièrement attendu, d’autant que Jonas Kaufmann et Anja Harteros abordaient ici les rôles de Tristan et Isolde pour la première fois. Le ténor a délivré une interprétation extrêmement impressionnante, entièrement impliqué dans son rôle de la première apparition du personnage éponyme jusqu’à sa dernière réplique, parvenant aux scènes ultimes du dernier acte (particulièrement éreintant) sans le moindre signe de fatigue vocale, délivrant une mort de Tristan suprêmement maîtrisée – oserait-on dire presque trop ? Un peu plus d’abandon aurait peut-être permis certains accents plus déchirants, plus exaltés, plus hallucinés… Mais c’est vraiment se plaindre que le marié est trop beau, et quoi qu’il en soit, après le très beau Radamès chanté à Bastille en février dernier, nous sommes heureux de constater que la petite crise vocale qu’a traversée le ténor ces derniers temps est bel et bien derrière lui.
Anja Harteros triomphe en Isolde, et ce n’est que justice tant sa prestation est impressionnante. L’honnêteté nous pousse à reconnaître au second acte deux aigus un peu criés, ou encore quelques infimes problèmes de justesse dans quelques notes de passage. Mais la voix superbement colorée, ample, longue et souple permet à la chanteuse de venir à bout de ce rôle écrasant sans jamais être couverte par l’orchestre dans les climax dramatiques et musicaux, tout en préservant constamment la féminité frémissante du personnage.
Le vrai triomphateur de la soirée, cependant, est Kirill Petrenko, acclamé dès son entrée en fosse. À la tête d’un orchestre flamboyant (malgré les quelques ratés du cor anglais au 3e acte…), il délivre une lecture de l’œuvre constamment inspirée, hautement dramatique, habitant les silences d’une tension dramatique constante, faisant littéralement pleurer l’orchestre dans un prélude du III déchirant, et surtout maîtrisant superbement l’architecture globale de l’œuvre dont la lente et progressive montée en puissance dramatique est magistralement révélée. Les acclamations qui accueillent le chef au rideau final valent à n’en pas douter autant pour la magnifique prestation de la soirée que pour les huit années passées à la tête du Bayerisches Staatsoprchester, le chef russo-autrichien ayant choisi de se consacrer dorénavant à la Philharmonie de Berlin.
Tristan Jonas Kaufmann
Kurwenal Wolfgang Koch
König Marke Mika Kares
Melot Sean Michael Plumb
Ein Hirte Dean Power
Ein Steuermann Christian Rieger
Ein junger Seemann Manuel Günther
Isolde Anja Harteros
Brangäne Okka Von der Damerau
Bayerisches Staatsorchester, Chor des Bayerischen Staatsoper, dir. Kirill Petrenko
Metteur en scène Krzysztof Warlikowski
Tristan und Isolde
Opéra en trois actes de Richard Wagner, livret du composietur, créé le 10 juin 1865 au Théâtre royal de la Cour de Munich.
Représentation du dimanche 4 juillet 2021, Münchner Opernfestspiele