Crédit photos : © Monika Rittershaus
Aix-en-Provence : Falstaff de Verdi, une réussite signée Barrie Kosky
Avec une fidélité sans réserve au texte d’Arrigo Boito, Barrie Kosky donne à voir un Falstaff, loin du panciotto vieillissant déjà tant de fois montré sur scène, plus proche d’un épigone de Dionysos qui dialogue ici avec la comédie antique, Rabelais, Boccace et le carnavalesque du cinéma d’un Fellini !
La mise en scène de Barrie Kosky : que du bonheur !
Non tout à fait remis d’un Tristan et Isolde mis en scène par Simon Stone (compte rendu à venir), dont au-delà des prouesses scénographiques évidentes, on n’est pas certain d’avoir, au final, compris le « sens », cette nouvelle production de Falstaff que l’on doit au metteur en scène australien Barrie Kosky a constitué un souffle d’air frais bienvenu dans la nuit aixoise !
Situant l’action, au lever de rideau, dans l’anonymat d’une « osteria » au papier peint représentant glands et feuillage de chêne – symbolique de l’ouvrage oblige – , où se côtoient monsieur et madame Tout-le-monde, la mise en scène de Barrie Kosky et de sa scénographe et costumière habituelle Katrin Lea Tag invite le spectateur à retrouver le cher Sir John dans un environnement où le personnage-titre est occupé à préparer des recettes de cuisine, à se délecter de mets dont des voix off, lors des pauses musicales, nous détaillent avec gourmandise et sensualité la composition ! Dans cette production où l’œil et les papilles sont à la fête, on pourra se délecter, plus tard, avec nos joyeuses commères, d’un kitchissime lit à baldaquin entouré de pâtisseries affolantes, sur fond de tapisserie rose. Que du bonheur !
Avec une fidélité sans réserve au texte d’Arrigo Boito – dont il faut redire le génie de librettiste –, Barrie Kosky donne à voir un Falstaff, loin du panciotto vieillissant déjà tant de fois montré sur scène, plus proche d’un épigone de Dionysos qui, au-delà du clin d’œil à la partie postérieure un instant dévoilée, dialogue ici avec la comédie antique, Rabelais, Boccace et le carnavalesque du cinéma d’un Fellini.
Tout au long de ce spectacle, le formidable éclat de rire d’un Verdi de quatre-vingts printemps est bien au rendez-vous même si l’intelligence du propos scénique ne fait pas l’impasse sur les monologues sur l’Honneur, le passé de Falstaff comme page du duc de Norfolk et bien évidemment le temps qui passe (« Va, vecchio, John ») : alors, c’est davantage vers Don Quichotte que le regard du metteur en scène se tourne.
Côté messieurs...
Il est vrai que le Sir John du baryton anglais Christopher Purves – que l’on avait découvert à Aix, il y a quelques années, dans l’hallucinant Written on Skin de George Benjamin – colle parfaitement au propos du metteur en scène. Ni Don Giovanni, ni baron Ochs, ce Falstaff-là, quoique séducteur, ne prend pas les choses trop au sérieux, est totalement lucide sur lui-même et sait rire de lui. Avec ses faux-airs du célèbre comique Benny Hill, il faut courir voir Christopher Purves, coiffé de sa perruque blonde de rock-star, esquisser un pas de danse en singeant Aldo Maccione sur « Alice è mia ! » puis revenir devant Ford revêtu d’un costume… de gland ! Tout simplement irrésistible.
Certes, malgré un volume vocal adéquat, la voix n’est pas inoubliable et les difficultés vocales dont Verdi a truffé sa partition – dès la première scène aux aigus périlleux ! – sont intelligemment évitées par l’acteur-chanteur mais tout au long de la soirée, Christopher Purves convainc et emporte l’adhésion.
Il est vrai que la distribution réunie autour de lui est de haute volée : rarement Ford sur scène n’aura constitué miroir déformant plus pertinent que Stéphane Degout. Lui aussi affublé d’une perruque de latin lover qui le fait ressembler à un personnage d’opérette de Francis Lopez, le baryton français délivre un « E sogno ? O realtà ? » à la projection parfaite et aux aigus dardant dans la nuit aixoise, sans jamais pour autant grossir le trait ni faire de Ford un double de Iago, auquel la puissance vocale souhaitée par Verdi fait légitimement penser.
Si le Fenton du jeune ténor argentin Juan Francisco Gatell, malgré une belle sensibilité, manque selon nous de volume, il n’en est pas de même des seconds rôles masculins, parfaitement incarnés par Gregory Bonfatti (Cajus), Rodolphe Briand (Bardolfo) et Antonio di Matteo (Pistola) qui, surtout, chantent leur partie avec une conviction qui fait plaisir à entendre !
... côté dames ...
Du côté de ses dames, l’œil et l’oreille sont à la fête et on a mis les petits plats dans les grands : quel bonheur tout d’abord de retrouver Carmen Giannattasio, trop longtemps éloignée ces dernières saisons des scènes lyriques, et qui campe une magnifique Alice. Dans un clin d’œil élégant aux tenues vestimentaires du cinéma italien des années cinquante, la soprano originaire de Campanie, dont le legs discographique au bel canto romantique est impressionnant, s’amuse ici visiblement beaucoup et délivre avec le souffle poétique indispensable les phrases à l’écriture musicale si parfaite de la lettre adressée par Sir John à Alice…et Meg.
À ses côtés, la Nannetta de Giulia Semenzato, déjà interprète du rôle à la Scala, fait merveille en reine des fées et son air « Sul fil d’un soffio etesio » compte évidemment parmi les moments magiques de la soirée.
Antoinette Dennefeld en Meg Page constitue quasiment du luxe dans ce plateau : dans un rôle qui n’est vocalement pas gratifiant puisque son interprète chante essentiellement dans des ensembles – certes virevoltants – l’allure scénique et le port de l’artiste sont si bien exploités que l’on se demanderait presque pourquoi Verdi n’a pas donné un air à son personnage !
Que dire enfin, qui n’ait déjà été écrit, de Daniela Barcellona, l’une des artistes lyriques les plus passionnantes des vingt dernières années ? On connaissait les qualités de rigueur stylistique, le moiré de la voix de cette authentique mezzo-coloratura qui fait toujours merveille dans Rossini, son compositeur fétiche. Ici, dans un rôle où elle nous fait vocalement irrésistiblement penser à Lucia Valentini-Terrani, la Barcellona casse la baraque en Mrs Quickly, double féminin de Falstaff dans l’art des plaisirs de la table (il faut la voir goulûment se délecter de la crème fouettée des pâtisseries jonchant la scène au premier acte !) et de la séduction (lunettes à l’appui !). On n’est pas prêt d’oublier les « Reverenza ! » au volume sonore impressionnant de cette magnifique interprète, lors de sa rencontre avec Falstaff. À re-consommer sans modération à Lyon, lors de la reprise du spectacle cet automne !
... et côté chef !
Falstaff est bien évidemment un opéra de Chef. Avec Daniele Rustioni, nous sommes – bien – servis. Le chef permanent de l’orchestre de l’Opéra de Lyon est décidément un authentique « maestro concertatore e di canto », qui, attentif aux équilibres si importants ici entre la fosse et le plateau, délivre un discours musical à la fois fluide, nuancé et faisant sonner l’orchestre avec rondeur, en particulier sur des finals de scène où l’écriture verdienne cristallise tout le suc de ce qui a constitué, tout au long de son parcours, le génie théâtral du compositeur de Busseto.
Une soirée que l’on n’oubliera pas de sitôt.
Sir John Falstaff Christopher Purves
Ford Stéphane Degout
Fenton Juan Francisco Gatell
Dottore Cajus Gregory Bonfatti
Bardolfo Rodolphe Briand
Pistola Antonio Di Matteo
Alice Ford Carmen Giannattasio
Mrs Quickly Daniela Barcellona
Nannetta Giulia Semenzato
Meg Page Antoinette Dennefeld
Chœur de l’Opéra de Lyon (dir. : Roberto Balistreri), Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. : Daniele Rustioni
Mise en scène Barrie Kosky
Scénographie, costumes Katrin Lea Tag
Lumière Franck Evin
Falstaff
Comédie lyrique en trois actes de Giuseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito d’après Les Joyeuses Commères de Windsor (1602) et les parties I et II d’Henri IV (1596-1598) de William Shakespeare, créée au Teatro alla Scala, Milan, le 9 février 1893.
Représentation du mardi 6 juillet 2021, Festival d’Aix-en-Provence