Les festivals de l’été – Redécouverte du 66 ! d’Offenbach grâce au Palazzetto Bru Zane
Crédits photos : © Victoria Duhamel
C’est, au beau milieu de l’effervescence propre au Festival d’Avignon, une perle rare qui nous a été donnée à entendre pour cette saison 2021. Si le nom de Jacques Offenbach est en effet synonyme de redites sur la scène francophone (La Vie parisienne, Orphée aux Enfers, La Belle Hélène), la production du Palazzetto Bru Zane a fait le choix audacieux de recréer Le 66 !, opérette de jeunesse de celui qui deviendra plus tard le maître de l’opéra-bouffon à la française.
Créé en 1856, cet unique acte d’une petite heure est une sorte de huis clos à ciel ouvert, mettant en scène Grittly et Franz, en transit depuis Vienne jusqu’à Strasbourg. Il n’en fallait pas davantage à Offenbach pour mettre en œuvre un dialogue entre culture française et culture germanique, passant d’un numéro à l’autre du temps de valse à l’air tyrolien. Quant à l’argument, il se résume en peu de lettres, ou plutôt peu de chiffres : Franz croit avoir tiré le numéro gagnant à la loterie (le 66), et s’imagine déjà nouveau riche, délaissant par ce fait Grittly pour suivre Joseph, le colporteur lui ayant annoncé le numéro gagnant. Après que ce dernier lui a fait crédit, c’est avec stupéfaction (mais sans grande surprise, en vérité) que l’on apprend que le billet de Franz portait le numéro 99. Nous laissons le dénouement aux curieux qui voudraient découvrir l’œuvre, à ceci près que, depuis sa création, elle n’a vraisemblablement que peu été jouée, et qu’il semble difficile de se procurer les quelques enregistrements au disque, lesquels ne datent pas d’hier.
Cette recréation contemporaine de l’œuvre est donc bienvenue dans le paysage offenbachien, d’autant qu’elle a été placée sous le signe de la qualité, tant instrumentale que vocale. Si, en effet, la partition a été arrangée pour formation de chambre et qu’il n’a donc pu être possible de savourer les tuttis endiablés d’Offenbach, le pianiste (Martin Surot), la clarinettiste (Rozenn Le Trionnaire) et le tromboniste (Lucas Perruchon) ont toutefois largement donné le change : non seulement par une grande technique musicale, mais aussi par une présence scénique remarquable, étant sollicités directement par les personnages pour prendre part à l’action. L’itinérance continue dont ils ont fait preuve, passant par tous les recoins de la scène, leur a imposé d’exécuter certains numéros par cœur, ce qui démontre une grande implication pour des parties musicales qui pourtant ne se limitaient qu’à de l’accompagnement. Concernant les chanteurs, nous avons déjà eu le plaisir de comprendre la quasi-totalité du texte (ce qui est, malheureusement, assez rare pour le relever ici), bien que les R roulés soient encore une habitude de conservatoire qui nous semble superfétatoire, surtout dans l’optique d’une actualisation de l’œuvre ainsi que le suggérait la mise en scène. Les trois rôles vocaux, interprétés par Lara Neumann, Flannan Obé et Paul-Alexandre Dubois, ont ainsi été tenus avec grande solidité, tant dans l’agilité des vocalises que dans la tessiture. Tous possédaient une maîtrise vocale manifeste, ce qui leur permettait ainsi d’être à l’aise au niveau scénique et de proposer des incarnations fort plaisantes de ces personnages caricaturaux. Avoir l’occasion d’entendre de bons chanteurs d’un niveau équivalent est un nec plus ultra pour une œuvre inconnue. Si vraiment l’on voulait trouver à redire, on remarquera peut-être que certains sons étaient un peu trop poussés, non par manque de technique, mais sans doute par envie de démontrer la puissance vocale ; à cet égard, certains passages (notamment les cadences), auraient mérité une approche peut-être un peu plus subtile. Si, enfin, le passage en yoddeling restait convaincant, c’est néanmoins une technique qui gagnerait à être enseignée telle quelle aux chanteurs lyriques (surtout s’ils se destinent au répertoire comique), ce qui donnerait ainsi un plus grand sentiment d’immersion au lieu d’une impression détachée de belcanto.
Concernant la mise en scène de Victoria Duhamel, c’est le terme astucieux qui, le premier, nous vient à l’esprit. Son minimalisme était au service de gags efficaces ; la majorité des événements scéniques fut assurée par un large panneau qui sert de toile de fond à la scène. Ce dernier servait tantôt d’aimant pour accrocher les numéros de loterie, tantôt de porte dérobée pour faire sortir un personnage, de large fenêtre dans lequel on pouvait apercevoir les montagnes du Tyrol, ou, enfin, de vitrine pour exposer des cibles mouvantes, ainsi qu’un large chèque de 100.000 florins à la manière d’un jeu télévisé. Thématiquement parlant, ce sont d’ailleurs toutes les topiques du jeu qui ont été convoquées : roue de la fortune, questions pour un champion, et l’on ne résiste bien évidement pas au slogan « le Tyrol a un incroyable talent ». Astucieuse, la mise en scène l’était enfin en souhaitant rallonger l’œuvre par de petites incursions extra-diégétiques (quelquefois peut-être au risque de trop couper la parole à l’œuvre), dans lesquelles le public était directement sollicité. Appelés par leur numéro de siège, les spectateurs avaient ainsi la possibilité d’entrer en interaction avec les personnages, répondant à des questions loufoques, ou devant jeter des balles (en mousse, rassurez-vous) sur les personnages pour choisir son favori.
S’il était donc question de loterie, le public a pu donc prendre part à une véritable fête foraine, au sens noble du terme. Nous ne pouvons ainsi que conseiller d’aller profiter de cette heure de spectacle, et remercions la production pour l’audace de cette offenbacherie.
Joseph Berthold, bateleur Paul-Alexandre Dubois
Frantz, jeune Tyrolien Flannan Obé
Grittly, jeune Tyrolienne Lara Neumann
Musiciens :
Clarinette Rozenn le Trionnaire
Trombone Lucas Perruchon
Piano Martin Surot
Mise en scène Victoria Duhamel
Décors Guillemine Burin des Roziers
Costumes Emily Cauwet-Lafont
Lumières et régie générale Emily Cauwet-Lafont
Le 66 !
Opérette en un acte de Jacques Offenbach, livret d’Auguste Pittaud de Forges et de Laurencin, créée aux Bouffes-Parisiens le 31 juillet 1856.
Représentation du 13 juillet 2021, Festival d’Avignon