Les festivals de l’été – Le chant du COQ D’OR vu par Barrie Kosky parachève en beauté l’édition 2021 du festival d’Aix
Crédit photos : © Jean-Louis Fernandez
Dans une production sachant tout à la fois conjuguer humour décapant et rêverie orientaliste, Barrie Kosky permet à l’œil d’entendre la somptueuse partition de Nikolaï Rimski-Korsakov : un coup de maître… et de bec !
Un spectacle total
Il est toujours difficile de rendre compte d’une production où chaque scène fourmille à ce point de détails intelligents et de références bienvenues que l’on s’en voudrait presque de ne pouvoir analyser dans le cadre d’une simple critique. Disons cependant d’emblée que cette mise en scène du Coq d’or captive l’attention du spectateur-auditeur par sa totale maîtrise des attendus de la partition et par un message scénographique clair (Rufus Didwiszus), à la fois respectueux de l’esprit si particulier qu’est celui de l’Opéra russe (mêlant ici danses, scènes de foule, dérision, onirisme, orientalisme…) et désireux de délivrer sur l’œuvre un message d’une intemporelle modernité. Ce délicat équilibre, dans lequel pourrait sans doute se résumer tout le défi des productions d’opéras actuelles, Barrie Kosky sait parfaitement le maintenir tout au long des deux heures et des 3 actes, donnés sans entracte, d’un véritable spectacle. Pas si fréquent pour qu’on ne se permette pas d’y insister.
Si le décor est unique, dans un opéra sensé promener le spectateur de palais somptueux en charnier épouvantable, il n’en est pas moins imposant : la scène est ainsi occupée par de hauts murs dont celui situé au fond est partiellement décrépi ; l’avant-scène reproduit, de son côté, un chemin envahi par de hautes herbes grises, qui fait penser à la végétation rencontrée, en Asie, par la troupe dans certaines guerres coloniales ; quant à l’arbre rabougri, placé à droite de l’espace scénique et dont le sommet servira de vigie au coq d’or, il n’est pas sans évoquer ceux dont Disney peuple sa forêt dans Blanche Neige…
Des nombreuses images qui restent gravées en mémoire longtemps après la fin de la représentation, on retiendra particulièrement, dans une production empreinte d’un superbe sens poétique, celles du coq – incarné par l’acteur Wilfried Gonon – allongé sur une branche avec laquelle il se confond, du cortège nuptial bigarré du dernier acte, du balancement lancinant des corps des deux Tsarévitchs, pendus par les pieds à une branche et dont les têtes gisent aux pieds du Tsar Dodon. L’obsession de la décollation se retrouve d’ailleurs dans la scène finale où l’Astrologue, si énigmatique, épiloguera, queue de pie et tête en main, sur le « sens » – ou pas – de ce conte symboliste. Jouant sur ce côté halluciné qui sied parfaitement à la musique de Rimski, la production utilise toute la gamme des « étrangetés », parmi lesquelles on notera de désopilants choristes à tête de cheval figurant la noblesse, et le canasson squelettique et immobile de Dodon aux jambes tournant dans l’air ! En filigrane, l’ensemble de la scénographie nous invite à revoir l’œuvre picturale d’Alfred Kubin (1877-1959) à la source de laquelle elle puise plus d’une fois…
La tentation de l’Orient…
On sait combien l’orientalisme constitua une source d’inspiration dans la musique du « Groupe des Cinq » : la production aixoise le met en évidence, en soulignant à l’occasion le côté kitsch des danses exécutées, ici, par quatre danseurs-esclaves de la belle reine de Chemakha ou de la robe lamée de ce même personnage ressemblant, au moment de son entrée en scène, plumes de paon blanches sur la tête, à l’une de ces étonnantes « Ziegfeld Girl » des revues Follies.
Avec l’humour et la dérision qui s’imposent, la mise en scène sait mettre en évidence le mirage orientaliste, tout particulièrement pendant que la reine de Chemakha égrène l’entêtante mélopée de l’« hymne au soleil » et participe au lent balancement des deux corps pendus des fils du Tsar. C’est ensuite au tour du souverain lui-même de succomber à la tentation de l’Orient en rejoignant les danseurs de la reine pour une danse lascive et burlesque.
Une distribution en totale cohérence avec le discours scénique
Une nouvelle fois dans cette édition du festival, Daniele Rustioni, à la tête des forces de l’Opéra de Lyon, captive par sa maîtrise des contrastes offerts par cette ensorcelante partition, où l’on entend tout le talent de magicien de l’orchestre qu’est Rimski-Korsakov. Dans une œuvre où le compositeur joue à l’occasion à pasticher certains de ses contemporains, Rustioni sait aussi mettre l’accent sur la postérité musicale d’une œuvre qui inspirera non seulement Stravinski mais, plus étonnant, Ottorino Respighi (des sonorités associées en particulier à l’Astrologue se retrouveront dans le poème symphonique « Les fontaines de Rome » !) dont le maestro nous apprend qu’il fut brièvement l’élève de Rimski au Conservatoire de Saint Pétersbourg.
Dominée par la personnalité scénique quasi-shakespearienne et l’ampleur vocale de la basse Dmitry Ulyanov en Tsar Dodon, la distribution réunie n’appelle aucune réserve. On en retiendra le ténor Andrei Popov, pilier de la troupe du Mariinsky, dont on connaissait le Mime dans L’Or du Rhin, qui nous révèle ici une technique hors-pair lui permettant, même en falsetto, les suraigus les plus hallucinants. Les impeccables tsarévitchs de Vasily Efimov (Gvidon) et Andrey Zhilikhovsky (Aphron), tout comme le Général Polkan de Mischa Schelomianski, sont parfaitement efficaces. La mezzo-soprano Margarita Nekrasova incarne Amelfa, un luxe quand on relit le pédigrée de cette artiste à l’étendue de rôles phénoménale ! Percutantes interventions vocales du coq d’or de la soprano Maria Nazarova. C’est à la soprano arménienne Nina Minasian qu’il revenait d’incarner la Reine de Chemakha, une partie qu’elle a régulièrement chantée depuis ses débuts dans le rôle au Bolchoï, en 2015. Voix de type coloratura particulièrement étendue, Nina Minasian délivre un « hymne au soleil » à la sensualité vocale troublante et techniquement parfaitement maîtrisé.
On aurait tort d’oublier les interventions du Chœur de l’Opéra de Lyon, parfait d’homogénéité sous la direction de Roberto Balistreri, qui vient parachever avec bonheur un spectacle de clôture pour une édition 2021 qui globalement aura constitué une très bonne cuvée !
Le Tsar Dodon Dmitry Ulyanov
La Reine de Chemakha Nina Minasyan
L’Astrologue Andrei Popov
Le Tsarévitch Aphron Andrey Zhilikhovsky
Le Tsarévitch Gvidon Vasily Efimov
Polkan Mischa Schelomianski
Amelfa Margarita Nekrasova
La voix du Coq d’or Maria Nazarova
Nannetta Giulia Semenzato
Mise en scène Barrie Kosky
Scénographie Rufus Didwiszus
Costumes Victoria Behr
Lumière Franck Evin
Chorégraphie Otto Pichler
Chœur de l’Opéra de Lyon (Roberto Balistreri), Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Daniele Rustioni
Le Coq d’Or
Opéra en trois actes de Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), livret de Vladimir I.Bielski (d’après le conte en vers Le Coq d’Or d’Alexandre Pouchkine), crée à Moscou au théâtre Solodovnikov, 24 octobre1909.
Représentation du 22 juillet 2021, festival d’Aix-en-Provence