Crédit photos : © Clarissa Lapollaph
Si La création de Haydn n’appartient pas exactement à la catégorie des raretés et redécouvertes qui font tout le sel du Festival de Martina Franca depuis plus de quatre décennies, l’ouvrage reste peu joué en Italie, et c’est dans une version en langue vernaculaire, due à Dario del Corno pour le festival pugliese et reprise par son fils, Filippo, que l’oratorio est donné, dans le cadre d’une production réglée par Fabio Ceresa. Le genre même de la pièce, et son livret condensant les étapes essentielles du récit biblique sous la plume du baron van Swieten, n’appelle pas, de premier abord, une traduction scénique. Avec la complicité de la scénographie épurée mais non austère dessinée par Tiziano Santi et la chorégraphie de Mattia Agatiello, le metteur en scène italien décline, au fil de la partition, un kaléidoscope d’images et de symboles, que rehaussent les variations lumineuses modulées par Pasquale Mari. Quant aux costumes dessinés par Gianluca Falaschi et Gianmaria Sposito, ils réinterprètent habilement le dessin et les couleurs mythologiques trempés dans l’esthétique du Rococo, avec une touche plus contemporaine.
D’une indéniable fluidité formelle que l’on pourrait qualifier de galante, en synchronie avec celle de la musique, le propos ne manque pas de cohérence narrative, à défaut d’atteindre une véritable théâtralité, à laquelle, d’ailleurs, il ne prétend pas. Le chaos initial, avec les danseurs dissimulés sous les ondulations de tulle noir figurant les ténèbres, est articulé autour d’un mystérieux œuf d’ébène légèrement veiné et dont l’éclosion fera apparaître une figure juvénile d’allure androgyne, sinon asexuée : un avatar du Dieu façonnant le monde à la façon d’un apprentissage. C’est d’ailleurs sur une sorte d’élégant pupitre d’écolier arrangé sur l’œuf éclos que la divinité enfant verra se succéder les archétypes des sciences, les exotériques comme les plus occultes. Même si le flux ne permet pas de s’arrêter à chacun, on reconnaît une synthèse proche de l’époque des lumières, des solides platoniciens aux instruments maçonniques, très présents tout au long du spectacle, depuis le compas et le triangle, jusqu’à l’œil du Grand Architecte. Révélant un riche fonds référentiel, les mouvements chorégraphiques réservent de beaux tableaux, à l’exemple du pommier dans la coque de l’œuf aux allures de Naissance de Vénus botticellien. Le duo entre Adam et Ève y répondra, et fera se rejoindre les deux moitiés d’une pomme, comme la complémentarité de l’homme et de la femme, dont un prolongement hérité du Banquet de Platon est illustré par trois couples de danseurs, illustrant les trois possibilités de combinaisons de genre. À chacun sera confié un œuf miniature, symbole probable de la fécondité de la création, dans un entrelacs entre Antiquité et contemporanéité sociétale.
Avec une aile argentée dans le dos et un maquillage à la feuille d’or, les trois anges incarnent trois facettes de la veille sur la création. Rosalia Cid affirme une ligne frémissante et fruitée, qui restitue toute la fraîcheur de la bienveillance souriante de Gabriel. Vassily Solodkyy impose un Uriele à l’éclat indéniable, qui contraste avec une vigueur plus sensible. En Raffaele, le chant précis d’Alessio Arduini fait valoir un baryton aux graves robustes, et à l’émission concentrée, limitée cependant quant à la rondeur, réserves dont ne souffre pas l’Adamo de Jan Antem, d’une belle tendresse, conjuguée à un émission solide, aux côtés de l’Eva pleine de douceur et de sensibilité de Sabrina Sanza. Mais la partie vocale serait évidemment incomplète sans la participation des membres du Coro Ghislieri, dont la complicité instinctive, emmenée par Giulio Prandi, dépasse la répartitions sur les marges du plateau, avec d’un côté les voix féminines, et de l’autre les masculines – et les restrictions en effectifs à cause de la crise sanitaire. Tant dans la coloration de l’expression que dans la vitalité des sections contrapuntiques, ils participent pleinement de la gradation aérée vers la plénitude lumineuse, secondée par les pupitres de l’Orchestre du Teatro Petruzelli de Bari, sous la direction souple et élégante de Fabio Luisi.
Gabriele Rosalia Cid
Uriele Vassily Solodkyy
Raffaele Alessio Arduini
Adamo Jan Antem
Eva Sabrina Sanza
Orchestre du Teatro Petruzelli de Bari, Chœur Ghislieri, dir. Fabio Luisi
Mise en scène Fabio Ceresa
La creazione, oratorio en trois parties de Haydn (version italienne), créé en 1798.
Festival de Martina Franca, représentation du 31 juillet 2021.