Crédit photos : © Clarissa Lapolla
Contemporain de la Griselda de Scarlatti, entendue la veille, L’Angelica de Porpora est un avatar exemplaire de l’opéra napolitain, sur le premier livret de Métastase porté à la scène, en 1720, et participe pleinement de l’identité du Festival de Martina Franca, à l’affût des raretés et des partitions oubliées. Cataloguée sérénade, l’œuvre puise la source de son argument dans l’Arioste, traduit dans un langage galant propice à une expression plus pastorale qu’héroïque et une musicalité virtuose et ornementée que le jeune Farinelli n’a pas dû manquer de démontrer lors de ses débuts en public, à quinze ans, aux côtés de gloires de l’époque, Marianna Bulgarelli, dite La Romanina ou le castrat Domenico Gizzi.
Le relatif contraste de la mise en scène de Gianluca Falaschi avec la proposition de Rosetta Cucchi dans la Griselda illustre les contraintes imposées par une intrigue diluée dans la prolixe dialectique des sentiments plutôt que le contrepoint, plus habituel dans une certaine tradition de l’opera seria, entre les raisons du cœur et celles des armes. La minceur dramatique oblige ainsi à une série de variations scénographiques autour d’une immense table de banquet, que l’on devine être celles de noces, pour signifier les épreuves de l’amour et de la fidélité. Sous les lumières habilement modulées par Pasquale Mari, le résultat renouvelle de manière contemporaine la fonction divertissante du spectacle, avec un langage visuel et des couleurs chamarrées qui actualisent certains codes du settecento, et où les masques valsent au gré des retournements d’affects. Les mouvements chorégraphiques réglés par Mattia Agatiello contribuent à restituer la dimension de fable morale de l’ouvrage, mise à l’heure d’une diversité des sexualités qui n’a pas attendu le vingt-et-unième pour s’exprimer, et n’a pas besoin de l’épilogue circonstanciel. La folie d’Orlando fait une chute finale d’une belle efficacité, autant théâtrale que musicale.
La direction à la fois vivante et scrupuleuse de Federico Maria Sardelli à la tête des pupitres de La lira di Orfeo témoigne d’une connaissance approfondie de l’opéra napolitain et des enjeux d’une résurrection scénique d’une œuvre rarement sortie du sommeil des bibliothèques. Le chef italien sait équilibrer avec souplesse les couleurs orchestrales et la fluidité mélodique, et accompagne avec tact l’inventivité des solistes dans les da capo. Dans le rôle-titre, Ekaterina Kakanova fait montre d’une séduction sinueuse au diapason des manœuvres d’Angelica, sans négliger la nervosité de l’expression. En Orlando, Teresa Iervolino impose une opulence androgyne qui condense toute la violence du caractère du chevalier, avec une belle largeur dans l’émission à la mesure de la carrure du personnage, fût-elle tournée en dérision par l’histoire. Face à ce timbre autant voix que théâtre, Paola Valentina Molinari confie à Medoro tous les charmes et les délicatesses du lyrisme, portés par une évidente beauté dans le chant. Le couple formé par Licori et Tirsi est incarné avec une adéquate complémentarité par Gaia Petrone et Barbara Massaro, témoignant l’un et l’autre d’une jeunesse et d’une fraîcheur parfois relevée d’une touche acidulée qui ne s’avère pas inopportune. La présence ne fait pas défaut au Titiro de Sergio Foresti, dont la tessiture épouse un peu l’éméritat du vieillard. Plus qu’un livret réduit à l’anecdote, c’est le foisonnement napolitain des multiples facettes vocales de la musique de Porpora qui fait le sel d’une redécouverte servie avec un authentique soin musicologique, et justement applaudie.
Angelica : Ekaterina Kakanova
Orlando : Teresa Iervolino
Medoro : Paola Valentina Molinari
Licori : Gaia Petrone
Titiro : Sergio Foresti
Tirsi : Barbara Massaro
Ensemble La Lira di Orfeo, direction musicale : Federico Maria Sardelli
Mise en scène : Gianluca Falaschi
L’Angelica, serenata à six voix de Nicola Porpora, livret de Métastase, créée à Naples le 20 août 1720.
Festival de Martina Franca, représentation du 30 juillet 2021.