Idalma de Bernardo Pasquini : un pont entre deux siècles
Crédit photos : Birgit Gufler
Idalma de Bernardo Pasquini à Innsbruck
Il l’a conservé trente ans dans ses tiroirs après l’avoir découvert à la Bibliothèque Nationale de France ; mais Alessandro de Marchi peut enfin monter Idalma au Festival de musique ancienne d’Innsbruck, qui en est à sa 45e édition.
L’Idalma de Bernardo Pasquini (1637-1710) est la septième des vingt œuvres d’un compositeur dont on se souvient surtout des cantates et oratorios. L’œuvre voit le jour au théâtre romain Capranica le 6 février 1680 sous la forme d’une comédie en musique en trois actes basée sur un texte de Giuseppe Domenico de Totis, librettiste également pour Alessandro Scarlatti.
Basée sur la tradition d’une comédie de cape et d’épée du Siècle d’Or espagnol, l’histoire d’Idalma a pour personnage Lindoro, un Don Giovanni qui se lasse vite de sa bien-aimée et l’abandonne pour d’autres aventures. Comme Donna Elvira, Idalma continue d’aimer les infidèles. Ici cependant, contrairement aux méchants punis qui avaient été mis en scène quelques années plus tôt, l’opéra se termine de façon heureuse, aucun dissolu n’étant englouti dans les flammes de l’enfer. L’histoire des trahisons, jalousies et malentendus n’est pas aussi compliquée que dans les vieux livrets, même si les relations entre les cinq personnages principaux ne sont pas très simples : Lindoro est fiancé à Irène mais tombe amoureux, à Naples, d’IOdalma qu’il épouse secrètement… avant de se lasser d’elle et de retourner auprès d’Irène ! Après moult péripéties, les personnages finiront par se réconcilier… Idalma est une sorte de trait d’union entre l’œuvre baroque du XVIIe siècle et celle qui se développera au siècle suivant. Le recitar cantando devient aérien et concerté avec une vraie continuité, à tel point qu’on pourrait parler à son sujet de structure durchkomponiert. L’alternance claire entre récitatif et aria da capo n’est pas encore établie, mais surtout la partie d’Idalma contient des passages colorature qui constitueront l’élément essentiel des airs du XVIIIe siècle. Alessandro de Marchi recrée l’œuvre à partir d’une partition concise qui, comme c’était la coutume à l’époque, n’inclut pas l’instrumentation, qui était de la responsabilité de l’interprète. Ce que nous entendons est donc en grande partie le résultat du travail de de Marchi, qui a dirigé l’édition critique avec Giovanna Barbati. L’excellente instrumentation prend en compte les différents personnages : le théorbe et les mandolines accompagnent le rôle titre, les guitares baroques les serviteurs, tandis que les percussions rehaussent les rythmes et les couleurs des danses et des motifs populaires qui parsèment le musique – il y a aussi une belle chanson napolitaine chantée par Pantano. L’Innsbrucker Festwochenorchester est composé d’interprètes qui se révèlent autant d’excellents solistes. La soprano Arianna Vendittelli (Idalma) s’affirme comme une remarquable chanteuse, au phrasé et au legato magistraux, toujours parfaitement à l’aise dans l’agilité que requiert sa partie. Margherita Maria Sala épouse parfaitement le rôle d’Irène, et se distingue par la belle couleur chaude de son timbre alto et un volume sonore remarquable. Le ténor Rupert Charlesworth (Lindoro) et le baryton Morgan Pearse (Almiro) font preuve de style et manifestent une belle présence scénique. Rocco Cavalluzzi (Pantano) ne manque pas de vivacité, mais son grave sonne cependant un peu sec. Le ténor espagnol Juan Sancho (Celindo) passe dans le registre aigu avec une voix de tête assez inexpressive. Anita Rosati, en Dorillo, (rôle travesti) complète efficacement le casting de cette intéressante production. On apprécie la mise en scène d’Alessandra Premoli qui imagine les personnages tels des fantômes qui se réveillent et descendent de leurs portraits pour taquiner les ouvriers et l’architecte en charge de la restauration d’un bâtiment, lequel est suggéré par les panneaux coulissants de la scénographe Nathalie Deana. Cette idée est un peu celle choisie par Davide Livermore pour le Demetrio e Polibio présenté au ROF en 2010, mais est réalisée avec des moyens plus modestes, puisque la scène de la Haus der Musik, généralement dédiée à la musique de concert, ne dispose pas de la technologie et de la machinerie d’une véritable scène de théâtre. Les costumes d’époque d’Anna Missaglia et les lumières d’Antonio Jesús Castro Alcaraz, cependant, contribuent en définitive à créer un spectacle agréable qui nous a permis d’apprécier pour la première fois un autre joyau caché de notre passé musical.
Idalma : Arianna Vendittelli
Irène : Margherita Maria Sala
Lindoro : Rupert Charlesworth
Almiro : Morgan Pearse
Pantano : Rocco Cavalluzzi
Celindo : Juan Sancho
Dorillo : Anita Rosati
Innsbrucker Festwochenorchester, dir. Alessandro de Marchi
Mise en scène : Alessandra Premoli
Scénographie : Nathalie Deana
Costumes : Anna Missaglia
Lumières : Antonio Jesús Castro Alcaraz
Idalma overo Chi la dura la vince
Opéra en trois actes de Bernardo Pasquini, sur un livret de Giuseppe Domenico de Totis, créé à Rome (Teatro Capranica) le 06 février 1680 ; nouvelle édition par Giovanna Barbati et Alessandro De Marchi, basée sur le manuscrit V. m. 4.19 de la Bibliothèque Nationale de France.
Innsbrucker Festwochen der alten Musik, Haus der Musik. Représentation du 12 août 2021
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