Premier spectacle présenté cette saison à l’Opéra de Paris, 7 Deaths of Maria Callas, dans la présentation qui en était faite, laissait pour le moins perplexe : que penser d’un spectacle qui prétend rendre hommage à la Divine à travers sept de « ses plus grands rôles », quand presque la moitié des airs inclus dans le programme (3 sur 7) n’appartiennent (presque) pas à son répertoire ? Tout amateur d’opéra sait parfaitement que Callas ne chanta Butterfly qu’une fois (à Chicago en 1955), et n’interpréta jamais ni Desdemona, ni Carmen sur scène…
On redoutait donc un spectacle faisant de Callas un simple prétexte pour évoquer artificiellement certaines thématiques aujourd’hui incontournables (le sort des réfugiés, la place des femmes, l’avenir de la planète,…). Au total, 7 Deaths of Maria Callas, sans être selon nous un spectacle parfaitement abouti, se révèle être un moment de théâtre intéressant et plus d’une fois assez émouvant.
Le spectacle se scinde en deux volets. Dans une première partie, Callas, couchée dans son lit, à droite du plateau, semble dormir et se remémorer sept des rôles censés avoir marqué sa carrière : Violetta, Tosca, Desdemona, Butterfly, Carmen, Lucia et Norma. Chacun de ces rôles est incarné par une femme habillée en femme de chambre (s’agit-il de la fidèle Bruna, compagne des dernières heures de Maria Callas ?), traversant la scène de gauche à droite tandis qu’est projeté un film en lien plus ou moins direct avec le personnage interprété (une chute vertigineuse de Tosca se jetant dans le vide du haut d’un building, Desdémone étranglée par un immense serpent apporté par un homme,…). Chaque scène est reliée par une bande-son donnant à entendre une musique fantomatique (dans laquelle se reconnaissent très difficilement certains motifs des opéras interprétés) tandis que sont projetées des images (un peu kitsch) d’un ciel tantôt apaisé, tantôt torturé.
Lors du second volet, nous sommes dans l’appartement de Callas, 36 rue Georges Mandel, dont plusieurs éléments (la fenêtre, le buffet surmonté d’un miroir), bien connus grâce à certaines photographies, sont reproduits fidèlement. Callas (ou Marina Abramović ?) repose dans son lit, énumère les objets meublant son appartement, égrène le nom des hommes ayant compté dans sa vie (Luchino, Pier Paolo, Giuseppe, Mario,…), respire l’air de Paris à sa fenêtre, se dirige lentement vers une salle où elle disparaît (la salle de bain où la cantatrice fit son malaise cardiaque ?) tandis que les femmes de chambre ayant interprété les airs de la première partie réapparaissent et recouvrent d’un voile noir les différents meubles et objets de la pièce. Marina Abramović réapparaît dans une belle robe dorée, tandis qu’un extrait de « Casta diva », interprété cette fois par Callas elle-même, se fait entendre…
Si l’émotion jaillit à plus d’une reprise, c’est de l’adéquation des images filmées à la partie sonore du spectacle : ni leur contenu, ni leur rythme ne heurtent la musique – les quelques concessions à l’air du temps (les femmes ne sont-elles pas un peu hommes ? d’où Carmen habillée en torero ; les hommes ne sont-ils pas un peu femmes ? d’où Willem Dafoe déguisé en diva) restant cosmétiques et apparaissant même assez sages… L’ensemble est cependant un peu long (seconde partie), et le dispositif dramaturgique de la première partie, certes sobre et efficace, se révèle quelque peu répétitif.
N’étaient une ou deux lourdeurs (les ponctuations de l’orchestre avant « Ardon gli incensi » de Lucia) ou quelques baisses de tension (la section médiane de l’air de Butterfly : « Qui sarà ? chi sarà ? »), Yoel Gamzou accompagne efficacement les sept jeunes artistes, sopranos prometteuses faisant toutes leurs premiers pas sur la scène de l’Opéra de Paris. Si Gabriella Reyes et Lauren Fagan dont des Cio-Cio-San et Norma sensibles et engagées (malgré un souffle un peu court pour la seconde), la voix de Selene Zanetti a paru un peu sous-dimensionnée pour le « Vissi d’arte » de Tosca. Hera Hyesang Park interprète un émouvant « Addio del passato » (malgré des aigus qui plafonnent un peu) ; l’Ave Maria (Otello) de Leah Hawkins, à la ligne de chant sobre et épurée, permet à la cantatrice de faire valoir un timbre aux couleurs riches et serait quasi parfait si l’aigu final était chanté piano… Adèle Charvet, déjà bien connue du public français, délivre une habanera de Carmen (rôle qu’elle vient d’aborder à Bordeaux) sobre et stylée, aux respirations discrètes et habilement négociées. Enfin, Adela Zaharia remporte un beau succès dans la folie de Lucia. La voix, ample, au médium riche et nourri (ce qui n’empêche nullement la soprano de chanter piano l’aigu final de la scène), est très éloignée des soprani légers habituellement distribués dans le rôle, et renoue précisément avec la vocalité dramatique de Callas dans ce même rôle… On pourrait tout au plus reprocher à la chanteuse un « Alfin son tua » un peu inexpressif. Mais sans doute a-t-on trop en mémoire l’émotion incroyable dont Callas chargeait cette mélodie, et dont bien peu de chanteuses, depuis, ont pu ne serait-ce qu’approcher…
Un spectacle qui trouve sa place auprès de ceux déjà consacrés à la Divine : Maria Callas, master class bien sûr (où s’illustrèrent Fanny Ardant et Marie Laforêt), mais aussi le très beau Callas, joué naguère par Elisabeth Macocco (sur des textes rassemblés par Jean-Yves Picq), et le très émouvant Vissi d’arte, je vécus pour Maria (de Roberto d’Alessandro – un spectacle au cours duquel « Bruna » recevait le public dans l’appartement de Callas pour livrer son point de vue sur la diva…).
Actrice film et performance : Marina Abramović
Acteur Film : Willem Dafoe
Violetta Valéry : Hera Hyesang Park
Floria Tosca : Selene Zanetti
Desdemona : Leah Hawkins
Cio-Cio-San : Gabriella Reyes
Carmen : Adèle Charvet
Lucia Ashton : Adela Zaharia
Norma : Lauren Fagan
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris, dir. Yoel Gamzou
Mise en scène, décors : Marina Abramović
Costumes : Riccardo Tisci
Réalisation film : Nabil Elderkin
Vidéo intermezzos : Marco Brambilla
Lumières : Urs Schönebaum
7 Deaths of Maria Callas
Conception : Marina Abramović
Livret : Petter Skavlan, Marina Abramović
Musique : Marko Nikodijević
Scènes d’opéras de Bellini, Bizet, Donizetti, Puccini, Verdi
Paris, Palais Garnier, représentation du mercredi 1er septembre 2021