Crédits photos : © Sébastien Mathé / OnP
S’il faut assister à l’Iphigénie en Tauride programmée ces jours-ci à l’Opéra Bastille, c’est avant tout pour la remarquable direction de Thomas Hengelbrock : l’orchestre, sous sa baguette, acquiert une légèreté, une transparence, une précision étonnantes, au point qu’en jetant les yeux dans l’immense fosse de Bastille, on est presque surpris d’y découvrir les forces de l’Opéra de Paris et non pas celles d’un orchestre baroque ! S’ajoute à ces qualités un choix de tempi toujours idoines, toujours les plus à même de susciter l’émotion, ainsi qu’une attention extrême aux chanteurs – le chef s’efforçant de soutenir les voix sans jamais les couvrir. Une très belle réussite, qui nous rend particulièrement impatient de découvrir sa lecture d’Alcina (en novembre-décembre prochains) et de Faust (en juin-juillet).
Autre motif de satisfaction : l’Oreste formidable de Jarrett Ott, jeune baryton américain que nous entendions pour la première fois. La voix est très belle, le timbre clair, la ligne de chant impeccablement conduite, la diction remarquable. Il sera Énée dans Didon et Énée de Purcell à Lille en décembre : puissions-nous réentendre souvent cet excellent baryton sur les scènes françaises !
Tara Erraught, arrivée in extremis pour remplacer la chanteuse initialement prévue dans le rôle, campe une Iphigénie convaincante – d’autant qu’elle a dû apprendre le rôle en une semaine : un exploit ! Les moyens sont réels, la prononciation du français correcte, et la chanteuse se glisse habilement dans cette tessiture qui peut se révéler dangereusement tendue pour une mezzo. Ce qui manque en ce soir du 16 septembre, c’est la petite flamme qui rendrait la prestation réellement émouvante, l’interprétation restant globalement trop lisse. Au crédit de la chanteuse, il faut signaler que les choses sont allées en s’améliorant de façon très sensible au fil de la soirée ! L’interprétation de Pylade par Julien Behr suit une trajectoire inverse : au-delà des qualités de style et de diction qu’on lui connaît, la voix, malgré toute l’attention que le chef porte au plateau, perd en puissance au fil de la représentation (elle est plus d’une fois couverte par l’orchestre), et semble bien fatiguée à la fin du spectacle… Quant au rôle du brutal Thoas, il se prête souvent à certaines exagérations interprétatives que n’évite pas toujours Jean-François Lapointe… Mais les seconds rôles sont excellents, et l’on regrette que leurs interventions (notamment celle de Marianne Croux en Diane et Paul Gay en Scythe) soient si courtes !
Le spectacle de Warlikowski a ses adeptes, dont nous ne sommes pas. La vision de l’œuvre par le metteur en scène (un EHPAD dont les pensionnaires se remémorent un drame qu’ils ont autrefois vécu) est non seulement éculée mais pourrait être transposée à absolument n’importe quel autre titre du répertoire, avec les mêmes costumes et les mêmes décors (j’espère ne pas donner d’idées au directeur de l’Opéra…). Fauteuils roulants, chaises renversées, lavabos, parois réfléchissant l’image du public, projections vidéo : ce spectacle restera sans doute dans les annales, comme réceptacle de tous les tics qui auront encombré 80% des mises en scène d’opéras au début du XXIe siècle. C’est bête, laid et parfaitement inutile.
Ô toi qui, avec cette reprise, prolongeas les jours de cette navrante production, Alexander Neef, je t’implore, arrêtes-en le cours…
Iphigénie : Tara Erraught
Oreste : Jarrett Ott
Pylade : Julien Behr
Thoas : Jean-François Lapointe
Diane, Première prêtresse : Marianne Croux
Un Scythe, un ministre : Paul Gay
Iphigénie (comédienne) : Agata Buzek
Chœurs et orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Thomas Hengelbrock
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Iphigénie en Tauride
Tragédie lyrique en quatre actes de C.W. Gluck, livret de N.-F. Guillard, créée en 1779 à l’Académie royale de musique.
Représentation du 16 septembre 2021, Opéra Bastille (Paris)