Crédit photos : © Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz
Le Comte Ory à l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
Pour l’ouverture de sa saison lyrique 2021-2022, l’Opéra-Théâtre de Metz confie à une équipe exclusivement féminine la mise en scène et la direction musicale de la partition la plus libertine du cygne de Pesaro.
Le comte est bon
Se laisser surprendre par une œuvre du répertoire et avoir le sentiment jouissif de la redécouvrir : c’est très exactement ce que propose l’Opéra-Théâtre de Metz en ouvrant sa nouvelle saison avec Le Comte Ory. Moins connue que celle du Viaggio a Reims à laquelle elle emprunte cependant l’essentiel de ses mélodies, cette partition rossinienne trouve en la baguette endiablée de Corinna Niemeyer une avocate qui permet de lui restituer toute sa place dans l’histoire de l’opéra français du XIXème siècle, à l’intersection des chemins musicaux qui mènent de Boieldieu à Offenbach. Sous la direction de cette jeune cheffe allemande surdouée, l’ouverture du Comte Ory donne à la fois à entendre les accents troubadours de La Dame blanche créée trois ans plus tôt et annonce en même temps la verve d’Offenbach que Rossini lui-même adouba du sobriquet de « petit Mozart des Champs-Elysées ». C’est là que réside le talent prometteur de Corinna Niemeyer : parce qu’elle est parvenue à s’approprier la quintessence du style rossinien, elle réussit à fouetter l’Orchestre national de Metz et à lui insuffler la part de folie qu’exige l’exécution d’une partition aussi périlleuse. Le travail paye et cela s’entend : dans la fosse, tous les pupitres sont d’une précision métronomique, à commencer par les cuivres et les vents si caractéristiques de l’écriture de Rossini (la scène de l’orage à l’acte II), et sur le plateau la distribution est à l’unisson de l’énergie qui circule entre les musiciens dont certains – les cordes et la cheffe – sont installés aux premiers rangs du parterre dégarnis de leurs fauteuils de manière à respecter les règles de distanciation.
Silhouette filiforme dominant ses camarades de la tête et des épaules, Patrick Kabongo parait aussi à l’aise sous la bure du bon ermite que sous la cornette de sœur Colette et se joue des difficultés du rôle du Comte Ory dont il fréquente la partition depuis près d’une décennie. Projetée crânement, sa voix vif-argent est idéale pour interpréter toutes les parties composées par Rossini pour une tessiture de ténor léger : très à l’aise dans son air de présentation « Que les destins prospères », l’artiste semble encore gagner en confiance dès que son timbre s’associe à celui du reste de la distribution et que la partition lui offre l’occasion de scintiller dans les nombreux points d’orgue qui ponctuent le quatuor « Moi je réclame » ou la chanson paillarde « Buvons, buvons ». L’impression d’aisance que délivre Patrick Kabongo donne envie de le réentendre très vite dans des rôles de la même veine que le Comte Ory comme celui de George Brown, dans La Dame blanche, qu’il chantera à Nice au cours de cette saison 2021-2022.
Les voix féminines qui donnent la réplique à Patrick Kabongo sont toutes rompues au style rossinien elles-aussi. Dans l’ordre d’apparition sur scène, Cécile Galois est une impayable Dame Ragonde aux allures de douairière. Avoir roulé sa bosse dans la plupart des théâtres de France confère à cette artiste attachante la gouaille et la fantaisie nécessaires pour incarner efficacement ce personnage de caractère. Physiquement très crédible dans un rôle travesti, Catherine Trottmann prête au page Isolier son joli timbre de soprano colorature et trouve dans le duo « Une dame de haut parage » l’occasion de montrer aussi bien la souplesse de son instrument que ses talents de comédienne.
Auréolée de l’accueil enthousiaste qu’elle a reçu dans ce rôle à l’opéra de Rouen en 2019, Perrine Madoeuf aborde la comtesse Adèle avec prudence : la première partie de l’air « En proie à la tristesse » est négociée avec retenue mais la voix se libère dès la cadence « Céleste providence » et l’artiste peut dès lors donner libre cours à sa fantaisie tout en délivrant dans l’acte II – l’acte des femmes – une série de notes aigues toujours parfaitement placées et stylistiquement impeccables.
Les rôles du gouverneur et de Raimbaud bénéficient chacun d’un air somptueux ciselé de main d’orfèvre par Rossini et sont servis par deux chanteurs attachants. En léger décalage avec l’orchestre dans la scène introductive « Jouvencelles, venez-vite », Armando Noguera prend rapidement confiance en son timbre de baryton bouffe et délivre au 2ème acte une interprétation convaincante de l’air « Dans ce lieu solitaire » malgré le tempo infernal imposé par la battue de la cheffe Corinna Niemeyer. En gouverneur ganache chevauchant un destrier de bois, Leonardo Galeazzi réussit à la fois à composer un personnage dépassé par la rouerie de son élève et à incarner avec toutes les nuances nécessaires le plus bel air de toute la partition : « Cette aventure fort singulière ».
Sollicité d’un bout à l’autre du spectacle, le chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz s’avère aussi juste et précis que les solistes. Tous ont d’ailleurs en partage une diction parfaitement idiomatique du français et n’oublient aucune liaison, indice supplémentaire du travail réalisé conjointement avec la Maestra Corinna Niemeyer et la cheffe de chœur Nathalie Marmeuse.
Desperate Housewives
Pour servir d’écrin à cette distribution homogène et à cette interprétation endiablée du Comte Ory, l’Opéra-Théâtre de Metz a confié à une équipe entièrement féminine le soin de monter cette production d’une œuvre qui, sous l’apparence d’une farce rabelaisienne, pose des questions aussi essentielles que celles du désir féminin et de l’hypocrisie religieuse.
Assistée de la costumière Giaovanna Fiorentini, la metteuse en scène Sylvie Laligne fait le choix d’ancrer le spectacle dans un Moyen-Age de fantaisie : poulaines et hennins rattachent l’esthétique du spectacle au goût troubadour des années 1820 qui virent la composition de la partition mais sans pour autant céder à la facilité d’une production historisante. Le Moyen-Age de Sylvie Laligne regarde plutôt du côté des pochades des Monty Python et de l’esprit de la troupe de Jérôme Deschamps et, même lorsqu’une grande toile peinte descend des cintres pour évoquer le château de Formoutiers, son académisme est tempéré par les chevaux de bois du Gouverneur et d’Isolier qui apportent simultanément un second degré rafraichissant.
Au centre d’un dispositif associant quelques pans de murailles sur lesquels veillent la silhouette d’un clocher, le décor du 1er acte fait la part belle à un gigantesque pommier dont le tronc abrite l’ermitage du Comte Ory. Comment ne pas penser au générique de la série des années 2000 Desperate Housewives qui mettait elle aussi en scène l’ennui de plusieurs femme confrontées à leur désir et à la vacuité de leur existence ? Abordée sous cet angle, la partition du Comte Ory se révèle d’une étonnante modernité, ce que souligne d’ailleurs les éléments de chorégraphie contemporaine que s’approprient les chanteurs et qui permettent à Patrick Kabongo de laisser entrapercevoir la silhouette du rappeur macho sous la défroque de Tartuffe.
A l’acte II, un large lit à baldaquin remplace le pommier au centre du décor et s’impose comme l’autel sur lequel sera sacrifiée symboliquement la chasteté de la comtesse Adèle dans une scène ô combien érotique qui joue à la fois de l’ambiguïté du déguisement du comte Ory en pélerine et de l’interprétation du page Isolier par un soprano travesti. A l’heure de #MeToo, les femmes tournent en dérision le désir masculin et le Comte Ory est placé face à l’échec de son libertinage, révélant la modernité d’une œuvre qu’on croyait engluée dans une esthétique démodée.
Au rideau final, les spectateurs messins n’ont pas ménagé leurs applaudissements ni pour les artistes, ni pour l’équipe de la production venue les rejoindre à l’avant-scène. La musique de Rossini est souvent le gage d’une soirée lyrique réussie, mais le plaisir en est accru lorsqu’elle permet de voir réunis dans la même salle des solistes talentueux et une mise en scène inventive.
Le comte Ory Patrick Kabongo
La comtesse Adèle Perrine Madoeuf
Isolier Catherine Trottmann
Dame Radegonde Cécile Galois
Raimbaud Armando Noguera
Le gouverneur Leonardo Galeazzi
Alice Aurore Weiss
Coryphée 1 Yannick Adam
Coryphée 2 Thomas Roediger
Acrobates Jérémy Duval, Séraphin Hadengue
Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, dir. Nathalie Marmeuse
Orchestre national de Metz, dir. Corinna Niemeyer
Mise en scène Sylvie Laligne
Le comte Ory
Opéra en deux actes de Gioacchino Rossini, livret d’Eugène Scribe et Charles-Gaspard Delestre-Poirson. Créé à l’Académie Royale de Musique à Paris le 20 août 1828.
Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, vendredi 1er octobre 2021
2 commentaires
Ça a l’air très beau ! Sait-on déjà si cette production sera reprise dans d’autres villes ? Metz est un peu le bout du monde pour moi…
Sauf erreur, ce spectacle est une coproduction de l’opéra-théâtre de Metz et de l’opéra de Massy. Je suppose qu’il y sera donc donné au cours de cette saison.