L'Elisir d'amore ouvre l'édition 2021 du Festival Donizetti de Bergame
Le festival Donizetti de Bergame s’est ouvert dans une ambiance de fête, avec un Élixir d’amour très abouti musicalement, mais à la mise en scène bien terne.
La réflexion...
Cette année, le festival Donizetti de Bergame, qui en est à sa septième édition, ne dénichera pas de joyaux cachés dans le catalogue infini de l’illustre citoyen. En effet, 2021 ne verra le bicentenaire d’aucun de ses opéras, le dernier ayant eu lieu en 2019 avec Pietro il Grande, créé à Venise en 1819. Le prochain anniversaire devrait avoir lieu l’année prochaine avec Zoraide di Granata, l’opera seria créé à Rome en janvier 1822.
C’est en tout cas une occasion de réfléchir que nous offre cette édition du festival de Bergame, en cette année de réouverture des théâtres – mais le Festival Donizetti ne s’est à vrai dire pas vraiment arrêté, même en 2020, avec trois productions jouées sans public et diffusées en direct en streaming : Marino Faliero, Belisario et Le nozze in villa. Cette année sont présentés deux chefs-d’œuvre absolus de la maturité du compositeur : le melodramma giocoso L’elisir d’amore de 1832 et l’opéra-comique La fille du régiment de 1840. Une œuvre du professeur de Donizetti, Simone Mayr, Medea in Corinto, un melodramma tragico de 1813, a également été mis en scène.
C’erano una volta due bergamaschi, Teatro Sociale, Bergame, 18 novembre 2021
L’édition 2021 du festival Donizetti comporte en quelque sorte un prologue, avec un opéra-spectacle inédit intitulé C’erano una volta due bergamaschi (Il était une fois deux Bergamasques) présenté au Teatro Sociale le jeudi 18 novembre. Avec une dramaturgie signée Alberto Mattioli, cet agréable spectacle a réuni sur scène la grande basse Alex Esposito et les élèves de la Bottega Donizetti, six voix prometteuses qui ont eu la chance de travailler les arts vocal et scénique avec Esposito lui-même, Francesco Micheli, Damiano Michieletto et d’autres illustres protagonistes du monde du théâtre italien. La vie de deux grands Bergamasques, Donizetti et Esposito, qui avaient en commun la passion de la musique, un registre vocal grave, le besoin impérieux de satisfaire leur soif de réussite en dehors de leur ville, le drame du choléra pour le compositeur du XIXe siècle et celui de la Covid pour le chanteur d’aujourd’hui, a été racontée sur scène. Les morceaux musicaux choisis – de Donizetti bien sûr, mais aussi d’Offenbach, Rossini, Mozart, Boito et Berlioz – ont mis en valeur l’excellence bien connue de la basse bergamasque et les qualités des jeunes interprètes. Une bonne occasion de « repenser le métier, ses astuces mais aussi son éthique. Faire de l’opéra comme nous le souhaitons : un théâtre du présent pour le présent, tourné vers l’avenir », comme le dit Francesco Micheli, l’infatigable et attachant directeur artistique du festival. C’est d’ailleurs le thème du colloque Opera Europa, intitulée cette année Elixir de vie, qui réunit ces jours-ci à Bergame les responsables internationaux de 215 théâtres et festivals de 43 pays.
... et la fête !
Mais c’est avec le véritable Elisir d’amore que s’ouvre le festival commence, alors que le théâtre Donizetti est inauguré après d’importants travaux de rénovation. Avant la représentation, un orchestre jouant la musique de l’opéra attire les passants pour une représentation du théâtre de marionnettes de Daniele Cortesi, que l’on retrouvera ensuite sur scène, qui présente les aventures de Nemorino & Co. « aux jeunes et aux moins jeunes ». Cette implication de la ville est un des nombreux mérites de ce festival, qui transforme Bergame en un Salzbourg piémontais grouillant d’étrangers, lesquels, cette année encore – et malgré la pandémie – constituent le noyau dur du public de la manifestation. L’air de fête qui règne à l’extérieur se retrouve dans le théâtre, dans les nouveaux locaux et dans la salle rénovée : les spectateurs reçoivent des petits drapeaux avec le texte du refrain du chœur par lequel l’opéra reprend après l’entracte. Tout le public est ainsi impliqué dans l’événement, et chante joyeusement « Cantiamo, facciam brindisi a sposi così amabili« .
Une interprétation historiquement informée
Surtout, la musique de cet Elisir est une véritable fête. Elle comporte certaines pages jamais entendues auparavant, comme la cabaletta d’Adina qui conclut la huitième scène du deuxième acte après « Prendi ; per me sei libero » : en passant du fa au la, la musique mais aussi les paroles changent radicalement (« Ah fu con te verace, | se presti fede al cor » devient « Ah l’eccesso del contento | non si dice con l’accento« ) pour se terminer par une démonstration d’agilité et d’aigus qui était à l’origine destinée à mettre en valeur les qualités vocales de la prima donna dans l’une des reprises de l’œuvre, peut-être Fanny Tacchinardi Persiani pour la reprise parisienne de 1839.
Le directeur musical Riccardo Frizza dirige l’orchestre Gli Originali sur des instruments anciens sans faire de coupures dans la partition – une pratique vertueuse qui ne devrait pas être réservée aux festivals, et qui consiste à nettoyer l’interprétation musicale de pratiques fallacieuses héritées d’une tradition mal comprise. Le son obtenu est très particulier, d’autant que c’est un diapason inférieur qui est adopté (d’environ un demi-ton en dessous par rapport à ce que nous entendons habituellement). Cela favorise la transparence de l’instrumentation et la pureté des lignes mélodiques, même si, sur les instruments originaux, l’intonation devient plus précaire, surtout pour les instruments à vent. Aucun problème, cependant, pour les deux précieuses reliques de la collection de la Villa Medici Giulini utilisées pour cette représentation et placées dans les deux loges de l’avant-scène : à droite un pianoforte construit par Gaetano Scappa en 1796, à gauche une harpe Érard construite sur un modèle de 1839. La mise en œuvre d’une interprétation historiquement informée « peut réactiver, par l’abandon de certaines habitudes d’écoute, notre attention envers l’opéra […] en mettant fin à la relation passive qui s’établit avec lui, en raison de la répétition d’une tradition interprétative jamais renouvelée » écrit Livio Aragona dans le programme. C’est ce que réussit magistralement Riccardo Frizza, interprète confirmé de ce répertoire. Le choix des tempi et l’équilibre sonore entre la fosse d’orchestre et la scène sont parfaits et les chanteurs, tous de grand calibre, en profitent. Javier Camarena offre une prestation sans faille dans laquelle phrasé et mezza voce servent à dessiner au mieux le personnage de Nemorino, malgré le rôle d’idiot du village que lui impose le metteur en scène, qui charge son jeu de gags inutiles – comme dans le duo avec Adina au premier acte. Le Belcore de Florian Sempey est élégamment stylé et l’on admire la présence vocale et scénique assurée du baryton français. Roberto Frontali peut décevoir ceux qui espèrent un Dulcamara à la grande force comique : le baryton romain n’est certainement pas un buffo, mais son interprétation, préservée de toute exagération bouffe, est bien caractérisée et met en valeur les particularités vocales d’un rôle libéré des mauvaises habitudes de la tradition. Enfin, Adina est incarnée par Caterina Sala, une jeune soprano de Côme possédant une voix à la projection facile, une technique vocale précise et proposant une interprétation sûre, même si les aigus sont parfois un peu perçant. Intrépide dans la virtuosité de sa « nouvelle » cabaletta, Caterina Sala a déclenché l’enthousiasme du public, qui a massivement ovationné les interprètes de la partie musicale.
Une mise en scène bien terne
La scénographie de Federica Parolini fait de cet Elisir une production in situ : la silhouette omniprésente de la façade du théâtre Donizetti et la reconstitution – certes bien pauvre avec ces draps peints – du Centro piacentiniano situe l’histoire dans un contexte urbain étranger au ton rural de l’histoire – » Tu ferais mieux d’aller en ville rendre visite à ton oncle » dit Adina à Nemorino à un moment donné – et au caractère naïf des personnages. La mise en scène de Frederic Wake-Walker, du moins, ne fait pas fait pire qu’à la Scala avec Le nozze di Figaro et Ariadne auf Naxos ; mais il faudra bien qu’un jour le metteur en scène écossais apprenne à faire bouger les personnages et le chœur. Et peut-être même avoir quelques bonnes idées de mise en scène…
Adina : Caterina Sala
Giannetta : Anaïs Mejías
Nemorino : Javier Camarena
Belcore : Florian Sempey
Dulcamara : Roberto Frontali
Maestro delle cerimonie : Manuel Ferreira
Orchestra Gli Originali, Coro Donizetti Opera (chef des chœurs Fabio Tartari), dir. Riccardo Frizza.
Pianoforte : Federica Cipolli
Mise en scène : Frederic Wake-Walker
Décors : Federica Parolini
Costumes : Daniela Cernigliaro
L’elisir d’amore
Melodramma giocoso en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de Felice Romani, créé au Teatro alla Cannobiana le 12 mai 1832.
Festival Donizetti de Bergame, 18 novembre 2021