Nous l'Europe, banquet des peuples
La place d’un opéra dans la cité ne se limite pas à la défense de répertoire et des créations lyriques – même si cette mission constitue le cœur de sa raison d’être. Si les programmes pédagogiques et d’initiation auprès des enfants et du public dit « empêché », car éloigné socialement ou géographiquement des creusets culturels, font désormais partie, à des degrés divers, du paysage de toutes les institutions théâtrales et musicales de France, sinon d’ailleurs, l’Opéra de Limoges fait montre d’un investissement qui se démarque dans cette voie, avec OperaKids, atelier participatif initié par Eve Christophe permettant à des élèves de classes des quartiers prioritaires de l’agglomération limousine de non seulement découvrir le chant et l’opéra, mais également jouer dans certaines productions lyriques de la saison. Ce croisement émulant entre politique sociale et artistique trouve son prolongement à la fois dans les familles des enfants, qui découvrent également, en les accompagnant, un univers qu’elles leur croyaient interdit, mais également dans 1Chant, 1Chance !, la formule pour adulte, conduite aussi par la soprano française.
Cet engagement dans la vie de la cité ne pouvait manquer de se traduire dans l’étape limougeaude de Nous l’Europe, banquet des peuples, spectacle interrogeant le vécu de la construction européenne que Roland Auzet avait conçu avec Laurent Gaudé pour le Festival d’Avignon en 2019. Au-delà des polémiques politiciennes, l’écrivain et le compositeur et metteur en scène ont imaginé un poème choral polyglotte, à la mesure de l’identité plurilinguistique d’un continent qui ne se limite pas à des règlements économiques et bureaucratiques. C’est le désir d’un destin social et politique commun, dépassant les violences d’une histoire multiséculaire, qui est ici interrogé, jusque dans les ressacs de la vie quotidienne. Cette mosaïque de témoignages – qui fait appel au regard des enfants d’OperaKids lors de la représentation du 16 décembre dans une séquence sollicitant le lendemain les réactions du réalisateur Stéphane Brizé, quand à Avignon c’étaient les improvisations de politiciens – prend l’allure d’un véritable manifeste utopique, scandé par des séquences électroniques, des déflagrations musicales et des chansons rock, ainsi que l’énergie des mouvements chorégraphiques réglés par Joëlle Bouvier, où s’exprime la soif de lendemains différents avec une rage qui sature parfois un espace acoustique conçu pour le plein air de la Cour des Papes. Réalisée par Roland Auzet avec la complicité de Bernard Revel et Juliette Seigneur, la scénographie de matelas à même le sol prend le parti de donner la voix aux peuples, mêlant celles de comédiens, chanteurs – à l’exemple de la mélopée fragile du contre-ténor Rodrigo Ferreira – et du chœur de l’Opéra de Limoges, préparé par Edward Ananian-Cooper, avec des participants du programme 1Chant, 1Chance !, tandis qu’un arrière-plan vidéo, modulé par Pierre Laniel, accompagne la partition sonore. Ce refus de l’esthétisation se retrouve dans les costumes de Mireille Dessingy, et contribue à l’immersion poétique au cœur de la cité que propose Nous l’Europe, banquet des peuples, dont l’engagement trouve un écho avec celui de l’Opéra de Limoges.
Roland Auzet : conception, musique et mise en scène
Karina Beuthe Orr, Robert Bouvier, Nina Dipla/Artemis Stavridi, Rodrigo Ferreira ; Ysain Huicha, Rose Martine, Dagmara Mrowiec-Matuszak, Stanislas Roquette ; Thibault Vinçon, la Nébuleuse d’HIMA (Faustine Berardo, Bro’Lee, Maxime Pillard)
Nous l’Europe, banquet des peuples
Spectacle de Roland Auzet, Opéra de Limoges, représentation du 16 décembre 2021