Nouvelle apparition de La Dame blanche à l’Opéra de Nice !

Suite à la crise sanitaire et à la version en streaming à laquelle nous avions pu assister pour Première Loge il y a un an, nous nous réjouissions par avance de ré-entendre La Dame blanche. Spectacle à l’origine co-produit avec l’Opéra-Comique, il était indispensable de découvrir, dans des conditions optimales, la vision d’ensemble de la production de Pauline Bureau, réalisée ici par Valérie Nègre, dans la scénographie d’Emmanuelle Roy avec ses mapping vidéos et ses tours de magie si indispensables à un ouvrage dans lequel, si l’on ne « marche pas », on a quelques difficultés à adhérer du strict point de vue scénique.

Malheureusement, il n’en aura pas été ainsi puisque les grands chantiers en cours dans la ville bouleversent totalement la localisation des spectacles. Ainsi, l’Opéra Nice Côte d’Azur, pour certaines des œuvres à l’affiche cette saison, est contraint de sortir des murs – pour laisser place au théâtre parlé – et à se replier sur la Diacosmie, son atelier de production et salle de répétition, qui fonctionne comme une deuxième scène. Au-delà des sempiternelles questions liées à l’acoustique qui ne manquent pas de ressurgir dans ce type de situation, c’est davantage l’amputation du projet scénique initial qui nous a gêné. La mise en scène est donc bel et bien devenue une mise en espace de Valérie Nègre, dont nous avions déjà salué les bonnes idées toujours présentes, mais le manque d’opportunités de l’espace dévolu – où tout est « visible » – empêche de pleinement profiter d’un discours scénique sensé plonger le spectateur dans une fantasmagorie entre rêve et réalité.

Une soirée reposant avant tout sur une distribution à l’enthousiasme bienvenu

Même sans évocation scénographique de l’esthétique néo-gothique que certains passages de la partition reflètent admirablement, le souffle du fantastique et de la couleur locale arrive à se frayer un chemin grâce à une distribution qui, identique à l’an dernier, nous a paru davantage encore sollicitée sur le plan scénique. C’est ainsi que Sophie Marin-Degor qui, outre son parcours de chanteuse, dispose d’un cursus significatif en danse, est amenée à se joindre aux comédiens-acrobates et à participer aux danses de la scène du baptême au premier acte et que les principaux protagonistes, lors d’une scène lugubre dans le château d’Avenel, vont jusqu’à faire entendre – miracle de la voix humaine ! – les sonorités du vent sifflant dans l’inquiétante demeure : du meilleur effet !

Dans des costumes signés Alice Touvet, rescapée de la production d’origine, qui mêlent intelligemment tradition (les kilts pour Dickson et les siens sont toujours là !), romantisme et vêtements actuels (pour le chœur en particulier), le work in progress que nous avions pu découvrir l’an dernier reste de mise, dévoilant des artistes qui s’habillent sur le plateau pendant l’ouverture puis s’adonnent à des exercices vocaux pendant « l’entracte ». Cela fonctionne toujours, même si on aura pu trouver certains solistes, assis autour de la scène et assistant aux numéros chantés de leurs collègues, parfois moins concernés qu’il ne le faudrait…

Comme nous l’avions déjà souligné, la production présentée garde l’essentiel du livret tout en parvenant, grâce à la réduction entreprise par Valérie Nègre, à faire oublier certaines des longueurs et incohérences de celui qui allait pourtant devenir l’un des plus grands dramaturges de son temps : Eugène Scribe.

https://www.youtube.com/watch?v=TTgBHGZXtVE

Un orchestre philharmonique de Nice débordant d’énergie

On a déjà insisté sur la dimension musicologique de cette partition si originale pour 1825, l’importance donnée au chœur en tant qu’authentique protagoniste de l’action – ce que Valérie Nègre et Giulio Magnanini, son chef titulaire, ont parfaitement su exprimer – ou encore ce mélange délicieux et sans effets superflus de fraîcheur mélodique et d’énergie distinguée. C’est bien davantage vers Weber que vers le Romantisme italien à venir que prend sa source ici Boïeldieu, même si quelques airs pourront évoquer des compositions à venir (l’air de Georges Brown « Ah ! quel plaisir d’être soldat » pouvant évoquer celui de Tonio, dans La fille du régiment, « Ah, mes amis ! » sans parler du quasi-plagiat que fera, un jour, Tchaïkovski pour ses couplets de M. Triquet d’Eugène Onéguine, irrésistiblement ici dans notre oreille au IIIe acte !).

Alexandra Cravero, au parcours lyrique balayant tous les styles et toutes les époques, dirige de nouveau avec le plus grand soin des contrastes et des couleurs cette partition pour laquelle elle fait ressentir au public tout son amour. Nous avons encore davantage apprécié sa direction énergique du trio Brown-Jenny-Dickson à la fin du premier acte ou son concertato à l’impulsion toute déjà rossinienne, lors de la vente aux enchères, à la fin du deuxième.

Un Georges Brown de classe…

Le fait que dans cette partition tout soit écrit avec le plus grand soin et sans nécessité d’en rajouter rend encore plus indispensable une équipe de chanteurs à la fois stylistiquement rigoureux mais également d’une grande simplicité dans l’approche de leur incarnation. C’est donc avec le plaisir des oreilles et des yeux que l’on retrouve tout d’abord le couple Jenny-Dickson, confié à Sophie Marin-Degor et Luca Lombardo. On a trouvé la voix de ce dernier d’une belle clarté et d’une assurance de projection qui force le respect tout comme le souci poétique du détail dans la ballade « D’ici, voyez ce beau domaine » encore plus en situation pour cette soprano au parcours sans faute.

Le baryton basse belge Laurent Kubla a, pour sa part, évolué dans son approche du personnage de Gaveston : avec un volume sonore toujours aussi impressionnant, il dégage ici les traits d’un « méchant » à la psychologie plus fine. Marie Kalinine, elle aussi, nous paraît avoir gagné en réalisme scénique et vocal par rapport à sa précédente prestation dans le rôle de Marguerite, gouvernante bienveillante certes mais qui doit impérativement imposer un personnage essentiel à l’avancée de l’action dramatique. Le juge Mac-Irton de Mickael Guedj donne, en outre, à ce rôle de composition une touche burlesque bienvenue.

Si Amélie Robins, à la patine vocale mêlant délicieusement le cristallin de l’aigu à un médium corsé, évolue comme un poisson dans l’eau dans ce type d’emploi qui semble avoir été écrit pour elle, c’est le Georges Brown de Patrick Kabongo qui nous a le plus convaincu lors de cette soirée.

En comparaison avec la matinée de janvier 2021, ce jeune ténor, originaire du Congo, force l’admiration par le travail accompli sur son instrument : à partir d’un volume sonore modeste, ce musicien accompli parvient à parfaitement projeter sa voix , beaucoup plus homogène sur tout l’ambitus qu’il y a un an, ce qui lui permet, d’emblée, de maîtriser la vocalise de son air d’entrée « Ah, quel plaisir d’être soldat » et d’exécuter les périlleux écarts de « Viens, gentille dame » avec une belle assurance. De même, l’interprétation est désormais beaucoup plus fouillée et à la poésie de phrases telles que « Cette main si jolie d’un doux plaisir fait palpiter mon cœur » (pour nous l’un des moments les plus intéressants de la partition) vient s’adjoindre avec bonheur une vis comica que Patrick Kabongo nous révèle avec gourmandise.

Il faudra sans doute attendre désormais quelque temps avant de voir réapparaître cette Dame blanche… mais grâce soit encore rendue à l’Opéra de Nice de nous permettre ainsi d’entendre notre patrimoine musical et de mieux saisir à travers lui une certaine idée du bon goût

https://youtu.be/pjox4GK-pqA
Les artistes

Georges Brown Patrick Kabongo
Anna Amélie Robins
Jenny Sophie Marin-Degor
Gaveston Laurent Kubla
Marguerite Marie Kalinine
Dickson Luca Lombardo
Mac-Irton Mickael Guedj

Mise en espace Valérie Nègre d’après la mise en scène de Pauline Bureau
Costumes Alice Touvet
Lumières Bernard Barbero

Chœur de l’Opéra de Nice Côte d’Azur   dir. Giulio Magnanini
Orchestre Philharmonique de Nice   dir. Alexandra Cravero

Le programme

La Dame blanche
Opéra-comique en trois actes
Musique : François Adrien Boïeldieu
Livret : Eugène Scribe d’après Guy Mannering et The Monastery de Walter Scott
Création à l’Opéra-comique, Paris, 10 décembre 1825

Version semi-scénique

Opéra Nice Côte d’Azur, Nice
La Diacosmie (deuxième scène)

Représentation du vendredi 21 janvier 2022, 20h