Une fois dûment balancé, le Porc peut et doit être rééduqué. Telle est, semble-t-il, l’une des leçons qu’il faut tirer de la nouvelle production d’Ariane et Barbe-Bleue présentée à l’Opéra de Lorraine. Si Ygraine, Bellangère et les autres refusent finalement de quitter le château, c’est parce qu’elles ont l’intention de faire subir à leur tortionnaire une sorte de révolution culturelle : passé à tabac par les paysans (croisement de Gilets Jaunes et d’attaquants du Capitole de Washington), menacé par le club de golf que lui a confisqué Ariane, affublé d’un bonnet phrygien, Barbe-Bleue ne sera pas envoyé en camp de travail, mais sera obligé de se plonger dans de saines lectures qui lui feront prendre conscience que tout a changé. Dans cette grande villa où se déroule l’action – beau décor signé Nina Wetzel, tournant et parsemé de néons, comme ceux de Pierre-André Weitz –, les cinq premières épouses rêvent déjà de révolte car, lors de l’ouverture des portes, une vidéo réalisée en direct nous les montre adoptant divers déguisements de femmes rebelles. La rébellion se concrétisera au dernier acte, lorsqu’elles prendront le costume de leurs modèles, suffragette, Greta Thunberg ou Uma Thurman dans Kill Bill. Vêtements et décors se couvrent de slogans « révolutionnaires », mais Ariane ne parviendra pas à les convaincre d’aller porter à l’extérieur leur message anti-porcs. Ariane et Barbe-Bleue est une œuvre difficile à monter de manière convaincante, car elle inclut un certain nombre de passages où l’action se relâche ; certains optent pour le mythe, comme Stefano Poda à Toulouse dernièrement, d’autres pour la transposition vers notre réalité, comme le fait cette fois Mikaël Serre à Nancy.
Que l’on adhère ou non à cette vision de l’opéra de Dukas, l’unanimité se fera autour du versant musical de cette production, dont la réussite est incontestable. L’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine sonne magnifiquement, et Jean-Marie Zeitouni arrive à concilier rutilance et clarté, sans que jamais le résultat ne semble pâteux ou opaque, alors même que se superposent orchestre en fosse, chœur en coulisses, solistes sur scène et même dans la salle (les quatre paysans du premier tableau). Malgré la densité « straussienne » de la partition, la lisibilité est constante, et les couleurs sont superbes, le chœur contribuant lui aussi à ce beau résultat.
C’est bien sûr autour de Catherine Hunold qu’a été construit le projet de cette Ariane. Même si la récente production toulousaine a prouvé la validité de l’option mezzo pour le rôle-titre, on est heureux d’entendre cette fois un grand soprano dramatique de format wagnérien. Dès les premiers mots de l’héroïne, c’est un flot de volupté sonore qui envahit l’auditeur, la beauté du timbre se combinant à une diction superlative ; scéniquement, le personnage éblouit lors de son entrée en vamp toute de strass et de fourrure vêtue. Déjà nourrice à Lyon au printemps dernier, Anaïk Morel semble davantage s’approprier le personnage, cette fois, et l’on saluera chez toutes les chanteuses le soin apporté à l’articulation du texte de Maeterlinck. Héloïse Mas campe une Sélysette de grand luxe, avec une ampleur vocale qui laisse présager de grandes incarnations futures. Clara Guillon est une Ygraine percutante, Tamara Bounazou une Bellangère d’une belle densité, et Samantha Louis-Jean une Mélisande affirmée. Malgré le peu de notes qu’il a à chanter, Vincent Le Texier confirme en Barbe-Bleue une santé vocale retrouvée et impose une forte présence théâtrale.
Ariane : Catherine Hunold
Barbe-Bleue : Vincent Le Texier
La Nourrice : Anaïk Morel
Sélysette : Héloïse Mas
Ygraine : Clara Guillon
Mélisante : Samantha Louis-Jean
Bellangère : Tamara Bounazou
Alladine : Nine d’Urso
Voix isolées / Paysans : Benjamin Colin, Ill Ju Lee, Christophe Sagnier, Ju In Yoon
Choeur et orchestre de l’Opéra national de Lorraine, dir. Jean-Marie Zeitouni
Chef de choeur : Guillaume Fauchère
Mise en scène : Mikaël Serre
Décors et costumes : Nina Wetzel
Vidéo : Sébastien Dupouey
Lumières : Franck Evin
Dramaturgie : Jens Hillje
Ariane et Barbe-bleue
Opéra en trois actes de Paul Dukas, livret de Maurice Maeterlinck, créé en 1907 à l’Opéra-Comique (Paris)
Opéra national de Lorraine, représentation du vendredi 28 janvier 2022, 20h.
1 commentaire
OMG… Mais pourquoi tant de laideur ??