Partenope de Händel : Joyeux marivaudage napolitain à l’Opéra Royal de Versailles
La Partenope d’Händel enlevée avec brio par les solistes de William Christie
Est-ce parce que Partenope, l’opéra d’Händel de 1730, se passe à Naples, patrie de l’opera buffa et de Pulcinella où le Caro Sassone effectue un bref séjour pendant ses années italiennes, que sa partition respire le charme, la poésie et la gaité ? Sur la trame extravagante au potentiel dramatique des amours contrariées de la reine de Naples que courtisent trois prétendants, son opéra offre l’agréable surprise d’un dénouement joyeux et apaisé. Pourtant, avec un roi de Cumes belliqueux et une princesse de Chypre jalouse travestie en homme pour confondre un amant parjure, on pourrait craindre le pire. Surtout quand une aria di furore et une aria di vendetta échappés de l’opera seria multiplient les éclats de voix, les sauts d’intervalles, les coloratures vindicatives, les accents et les attaques faits pour exprimer des sentiments exacerbés et emporter l’enthousiasme du public. À de tels excès, le compositeur oppose des pages poétiques et pastorales avec ici un solo de flûte, là de hautbois pour éclaircir la palette des cordes et à ceux qui redoutent les redites de l’aria da capo, il offre un air de chasse avec cors obligés ou l’éclat martial d’une trompette solo, des duos et même de petits ensembles, indice d’une concorde retrouvée. Pas étonnant que Partenope fasse partie des quelques opéras d’Händel repris à Londres de son vivant.
La mise en espace de cette version de concert de l’opéra que signe Sophie Daneman témoigne aussi d’un dynamisme propre à la comédie, qu’accentuait l’absence d’entractes. Dynamisme des corps, avec des chanteurs qui évoluent sur la totalité du plateau et entourent l’orchestre dans un cercle magique et dont l’implication physique et le jeu n’est rien moins qu’admirable dans la mobilité et la souplesse des attitudes et des visages, surtout lorsqu’il faut par ailleurs défendre une partie vocale d’une extrême virtuosité. Humour aussi, avec cet assaut d’Emilio, le prétendant martial, transformé en partie de dés, avec ces gants de boxe rouges et ces costumes contemporains aux couleurs vives ou ternes selon les tempéraments des personnages. Merci pour cette scénographie discrète qui laisse parler la musique.
Le plateau vocal comprenait les six lauréats de la dixième édition du Jardin des Voix, l’académie pour jeunes chanteurs des Arts Florissants de William Christie dont on célèbre le 20e anniversaire. Pleins de fougue, convaincants chacun dans son rôle comme dans sa voix, égaux dans la virtuosité, difficile de distinguer l’un plus que l’autre et ils ont été chaudement applaudis. Honneur aux dames, avec la Partenope d’Ana Vieira Leite, soprano pleine de grâce royale et de poésie mutine dans son air du papillon. Helen Charlston, mezzo, dans le double rôle de Rosmira, la princesse outragée, et du chevalier Eurimene, a su donner à sa douleur d’amante délaissée la noblesse et la rage, avec de beaux aigus bien ronds. Le baryton Matthieu Walendzik s’est acquitté du rôle d’Ormonte avec élégance et efficacité. Dans le rôle d’Armindo, l’amant qui souffre en silence, Alberto Miguélez Rouco, contre-ténor, est parfait de rondeur de timbre et de chagrin contenu. On reste stupéfait devant la performance physique du ténor Jacob Lawrence, Emilio le fier à bras, vibrionnant comme un farfadet et impeccable dans ses vocalises, et devant la puissance de Hugh Cutting, l’autre contre-ténor, dans le rôle d’Arsace, l’amant parjure. Il allie assurance, virtuosité et timbre éclatant, et sera capable de faire oublier à ceux qui en auraient encore leurs préventions vis-à-vis de ce type vocal. Est-ce parce qu’il est anglais et vient d’un pays où les contre-ténors n’ont jamais disparu ? Un dernier mot sur la direction transparente de William Christie, qui laisse souvent ses instrumentistes, et notamment son remarquable continuo, s’exprimer en soliste. Il fait passer sur cette musique un peu de l’air de ses extraordinaires jardins de Vendée où l’opéra a été présenté en août dernier. Si vous ne connaissez pas l’œuvre, courez-y.
Partenope : Ana Vieira Leite
Eurimene/ Rosmira : Helen Charlston
Arsace : Hugh Cutting
Armindo : Alberto Miguélez Rouco
Emilio : Jacob Lawrence
Ormonte : Matthieu Walendzik
Les Arts Florissants, dir. William Christie
Mise en espace : Sophie Daneman
Partenope
Opéra en trois actes de George Friedrich Handel (1685-1759), sur un livret de Silvio Stampiglia, créé à Londres en 1730.
Opéra Royal de Versailles, représentation du vendredi 28 janvier 2022