À l’issue de la première parisienne de Coronis (la production créée à Caen en novembre 2019 aurait dû terminer sa tournée Salle Favart au printemps 2021), on se dit, le cœur plein d’une gaieté enfantine, que tout cela va de soi : toute cette beauté, cette légèreté, cet humour, cela paraît si facile. Mais dès que le spectateur redescend un peu sur terre, dès qu’il songe à tous les spectacles ratés qu’il a pu voir ici et là, il se rend compte que la réussite de Coronis est en réalité la conjonction miraculeuse d’un ensemble d’intelligences et de talents.
Il faut évidemment commencer par remercier Vincent Dumestre, dans son exploration des origines européennes de l’art lyrique, de s’être penché sur le cas espagnol pour monter une œuvre qui a de grandes chances d’être la toute première à avoir été intégralement chantée (mérite-t-elle donc réellement d’être qualifiée de zarzuela ? laissons les spécialistes en débattre) sur une scène ibérique. La musique attribuée à Sebastián Durón – son nom ne figure pas sur l’unique partition conservée – reflète manifestement l’influence de l’Italie, mais elle est aussi truffée de traits tout à fait espagnols, parfaitement mis en valeur par l’interprétation énergique du Poème Harmonique, où guitare et castagnettes introduisent toute la couleur locale voulue.
Il faut aussi saluer l’admirable travail réalisé par Omar Porras. Le choix d’un metteur en scène hispanophone semblait logique, mais ce n’est pas tout : pour nous intéresser à l’affrontement de Neptune et d’Apollon se disputant les faveurs des humains, et plus particulièrement de la nymphe Coronis, également courtisée par un triton, commentée par quelques paysans ridicules, il fallait trouver le juste mélange de comique et de tragique, le moyen d’évoquer le faste des spectacles de cour sans rien de pesant (superbes costumes colorés et inventifs, décors soulignant l’artifice théâtral), et faire de tout cela une fête continue. Le pari est relevé haut la main, comme si la chose était des plus faciles.
Et bien sûr, il faut enfin applaudir chacun des artistes présents sur le plateau, qu’il s’agisse des six danseurs et acrobates dont la présence ne paraît jamais gratuite, ou des neuf chanteurs presque constamment en scène. Si l’on est ébloui par l’autorité divine qu’incarnent avec un aplomb magistral Caroline Meng et Marielou Jacquard, on s’amuse beaucoup des chamailleries des « villageois » campés par le couple à la Laurel et Hardy que forment Anthea Pichanick et Victoire Bunel, sans oublier Eugénie Lefebvre et Stephan Olry. En Protée, Cyril Auvity échappe enfin aux rôles de jeunes amants que lui réserve l’opéra français, mais ce sont surtout les deux principaux protagonistes qui forcent l’admiration : Isabelle Druet est un Triton tantôt risible, tantôt émouvant, et toujours avec une aisance vocale souveraine, tandis que Marie Perbost (nouvelle venue remplaçant Ana Quintans, qu’on peut entendre sur le disque récemment paru chez Alpha) est une Coronis sensuelle, remuante, dansante, sensible, et elle aussi superbement en voix. Là encore, tout paraît si facile que l’on en oublierait presque tout le travail sur lequel repose cette splendide réussite, encore à l’affiche pour trois soirs.
Coronis : Marie Perbbost
Triton : Isabelle Druet
Protée : Cyril Auvity
Apollon : Marielou Jacquard
Neptune : Caroline Meng
Ménandre : Anthea Pichanick
Sirène : Victoire Bunel
Iris : Eugénie Lefebre
Marta : Stephan Olry
Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre
Mise en scène et chorégraphie : Omar Porras
Décors : Amélie Kiritzé-Topor
Costumes : Ateliers MBV Bruno Fatalot
Lumières : Mathias Roche
Coronis
Zazuela en deux journées de Sebastián Durón (vers 1705)
Représentation du lundi 14 février 2022, Opéra-Comique (Paris)