Bien que théâtre privé, c’est à une vraie mission de service public que s’attelle le TCE en proposant à un public scolaire (et à leurs familles) un opéra participatif, en l’occurrence une version du Rigoletto de Verdi. Une vraie réussite !
Après Les Noces de Figaro en 2020, ou encore Un Elixir d’amour en 2021 (qui malheureusement n’avait pu être donné en public du fait de la pandémie, mais dont le DVD existe), le TCE renoue avec le concept d’opéra participatif en proposant une version de Rigoletto adaptée pour des enfants en âge scolaire. Il s’agit d’un véritable tour de force, car le défi est multiple : initier le jeune (voire très jeune) public à la représentation théâtrale, à l’opéra, à la culture occidentale, au chant lyrique… ; faire en sorte que des enfants s’intéressent à une œuvre aussi complexe (et aussi adulte) que Rigoletto ; et, enfin, faire chanter tout un théâtre…
C’est une réussite. Tout d’abord, l’œuvre est réduite à un spectacle d’1h15, en français, et prend des accents d’opéra-comique puisque certains passages sont résumés par des dialogues. Mais l’essentiel y est : les principaux airs, duos, quatuor, ensembles sont préservés, et c’est bien à Rigoletto que l’on assiste, même s’il s’agit d’une version épurée. La mise en scène, signée, Manuel Renga, œuvre également à renforcer la lisibilité de l’œuvre : en s’engageant résolument sur le chemin de la Commedia dell’arte, elle choisit de souligner à gros traits les émotions et ressorts principaux du drame, et réussit non seulement à expliquer le concept du théâtre, mais aussi à soutenir l’attention d’enfants qu’une œuvre aussi complexe pourrait rebuter ou ennuyer. Cela fonctionne (plus ou moins bien en fonction de l’âge des enfants, bien sûr : selon nous, ce Rigoletto ne s’adresse pas aux tout petits mais plutôt à des enfants en âge d’être en CM1 ou CM2…) et, globalement, réjouit les parents. Un seul petit bémol peut-être : le célèbre quatuor de l’acte IV est traité en mode bouffe (deux personnages renforcent l’image de bellâtre du Duc en faisant le paon), ce qui nuit au sublime de la page… mais enfin, les enfants rient, et mêmes les plus jeunes qui auraient décroché sont ainsi ramenés dans l’histoire.
Les chanteurs, fort jeunes sont tous en début de carrière – même si Marion Lebègue, Comtesse Ceprano et Maddalena pleine d’assurance, a déjà une belle expérience de la scène. Dans ce qui est avant tout le travail d’une équipe soudée et homogène, on hésite à isoler tel ou tel interprète. Signalons toutefois le Rigoletto sobre et émouvant d’Ivan Thirion, le Duc impliqué de Diego Godoy (qui, deux heures plus tard, donnait la réplique à Plácido Domingo dans I due Foscari salle Gaveau !), au timbre plus sombre que celui de Sahy Ratia qui alterne avec lui dans le rôle, et surtout la Gilda raffinée, au timbre fruité et chaleureux, de Jeanne Gérard. Les chanteurs et l’Orchestre de chambre de Paris sont placés sous la direction précise et élégante de Victor Jacob.
Enfin et surtout, il y a le côté participatif de l’opéra. Il ne s’agit pas seulement, à certains moments, de faire chanter le public avec les artistes, mais bel et bien de donner au public un rôle, des rôles : à de nombreuses reprises, la salle se rallume, et, pendant quelques mesures, la foule des enfants interprète d’une seule voix et en chœur, comme les grands, des répliques entières de Rigoletto, des courtisans, du Duc… ou même du vent (tempête de l’acte III) ! Ce dialogue d’égal à égal avec la scène constitue sans aucun doute l’aspect le plus émouvant du spectacle, et également son challenge le plus accompli ; de fait, de nombreuses classes de Paris et d’Île de France ont travaillé bien en amont ces chants tout au long de l’automne, et des répétitions étaient même organisées au TCE une semaine avant le spectacle, sous la houlette notamment d’Aurélie Reybier, qui a manifesté pour l’occasion de beaux talents de pédagogue (faire répéter quelque 700 enfants pendant 2 heures n’est pas un mince exploit !). Le résultat permet de mesurer tout le travail accompli, car répéter et apprendre par cœur en classe des bouts de phrases, des chants, et les interpréter le jour J, dans le cadre du vrai spectacle, en temps réel, pile au bon moment, c’est autre chose !…
Bien sûr, ce samedi 12 février, l’effet était moyenné par un public mixte, composé d’enfants ayant travaillé la partition… et de parents ne la connaissant pas nécessairement. Mais en semaine et en journée ont lieu des représentations constituées uniquement de scolaires : c’est là que le concept fonctionne à plein régime !
L’œuvre se clôt par un beau tableau final où La Donna e mobile, dotée de nouvelles paroles, détend l’atmosphère après la mort de Gilda : Chantons ensemble, chantons ensemble, / Pour les artistes, et pour l’orchestre, / Chantons ensemble, chantons ensemble, / Pour le théâtre, et la musique, / Fini le drame, les cris, les larmes, / Et maintenant… On applaudit !
La graine lyrique est semée, la relève sera bientôt là !
Sahy Ratia / Diego Godoy Le Duc de Mantoue
Florent Karrer / Ivan Thirion Rigoletto
Emy Gazeilles / Jeanne Gérard Gilda
Nathanaël Tavernier Sparafucile / Le Comte Monterone
Marion Lebègue Maddalena / La Comtesse Ceprano
Sévag Tachdjian Marullo
Hugo Santos Ceprano
Benoît-Joseph Meier Borsa
Chiara Serangeli, Matteo Prosperi, Vincent Petit comédienne et acrobates
Orchestre de chambre de Paris
Victor Jacob direction
Manuel Renga adaptation et mise en scène
Aurelio Colombo scénographie et costumes
Léo Courpotin lumières
Henri Tresbel adaptation et traduction du livret
Un Rigoletto
d’après l’opéra éponyme de Giuseppe Verdi
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Représentation du samedi 12 février 2022, 16h00