Une Fairy Queen jubilatoire à Tourcoing
S’appuyant sur la pièce de Shakespeare Le songe d’une nuit d’été, le semi-opéra de Purcell The Fairy Queen joue avec les codes et les mises en abyme théâtrales, non sans humour, ce que Jean-Philippe Desrousseaux a bien compris pour la production jubilatoire qu’il présente à l’Atelier Lyrique de Tourcoing. Dans un décor de bois aux allures de nef d’église anamorphosée en contre-plongée, agrémenté d’accessoires jardiniers, et rehaussé par les lumières de François-Xavier Guinnepain, le metteur en scène français s’amuse des codes du théâtre universitaire et académique, empruntant le prestige du nom d’Oxford, et introduit, pour les divertissements, des personnages emblématiques de la modernité britannique – la reine Elisabeth II, Lady Di, Margaret Thatcher, Boris Johnson, et même le Prince Charles dans un soldat de plomb accompagné d’un tambour aux couleurs du drapeau espagnol – sans pour autant céder à la littéralité des ressemblances, et en jouant jusqu’au bout la carte des travestissements, avec la complicité du vestiaire dessiné par Alice Touvet. Si l’appareil met un peu de temps à monter, une fois prise, cette pâtisserie dramaturgique devient rapidement irrésistible, sinon addictive.
On peut compter, pour cela, sur certaines incarnations impayables. La Queen Elisabeth de Chantal Cousin conserve une certaine sobriété. Benedict Hymas assume les évanescences de Lady Di – et l’enthousiasme étourdi de Puck. Alain Buet se glisse avec gourmandise dans le costume de Boris Johnson et ses foucades, et l’on retrouve également la solidité et l’heureuse surprise de la définition d’une basse désormais émérite dans les interventions d’Egeus. Mais c’est indéniablement, campée par Steven Player, l’extraordinaire Margaret Thatcher – reconnaissable, dans un brushing et un tailleur bleu qui ne la distinguent pas tout à fait absolument, à son sac à main où est glissée une théière ne contenant sans doute pas qu’un innocent breuvage –, et ses numéros de fausse gaucherie chorégraphique maîtrisée, dans une réinterprétation de la danse baroque, qui marquent les zygomatiques, et pas seulement, de la plus indélébile des manières. Le danseur ajoute par ailleurs quelques accompagnements de guitare à la liste de ses talents.
Le dédoublement d’Obéron et Titania en couple professeur-étudiante est servi avec élan par Robert Getchell et Coline Dutilleul, tandis que Rachel Redmond révèle une bonne au soprano léger et fruité. Le quatuor amoureux augural ne manque pas de piquant, avec Linfeng Zhu en Hermia – aussi Mortdefaim – et François Mulard en Héléna – à qui est dévolu de plus un solo de flûte, tandis que les prétendants mâles sont confiés à Victor Duclos, Lysandre qui endosse également la défroque du jardinier et de Derrière, et Vincent Violette, Démétrius et Coing, comédien, maître de cérémonie et de narration. On n’oubliera pas Alice Pech, Irina Golovina, Magali Aguirre Zubiri et Audrey Dandeville, les quatre fées et étudiantes d’Oxford, confiées, comme d’autres rôles, à des membres de l’Ensemble vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, ainsi que le maniement des marionnettes de Punch & Judy par Jack Ketch.
À la tête de son ensemble Les ambassadeurs, aux pupitres enrichis par ceux de La grande écurie, Alexis Kossenko fait valoir les valeurs et les vitamines d’une partition jamais sacrifiée à certaines impatiences contemporaines, et participe aux vertus jubilatoires de cette Fairy Queen, que l’on retrouverait avec plaisir sur d’autres scènes.
Un professeur d’Oxford, Obéron : Robert Getchell
La bonne : Rachel Redmond
Margaret Thatcher : Steven Player
Une étudiante d’Oxford / Titania : Coline Dutilleul
Boris Johnson / Egeus : Alain Buet
Lady Di / Puck : Benedict Hymas
Elizabeth II, reine d’Angleterre : Chantal Cousin
Etudiantes d’Oxford : Alice Pech , Irina Golovina , Magali Duthilleul, Audrey Dandeville
Coing / Démétrius : Vincent Violette
Derrière / Lysandre : Victor Duclos
Mortdefaim / Hermia : Linfeng Zhu
Flûte / Héléna : François Mulard
Punch & Judy : Jack Ketch
Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie, dir. Alexis Kossenko
Mise en scène : Jean-Philippe Desrousseaux
Chorégraphies, danseur et guitariste : Steven Player
Décor : Jean-Philippe Desrousseaux
Scénographie, lumières : François-Xavier Guinnepain
Costumes : Alice Touvet
Maquillage et coiffure : Élise Herbe
Assistante à la mise en scène : Joséphine Kirch
Création des marionnettes : Petr et Katia Řezáč
The Fairy Queen
Semi-opéra en cinq actes de Henry Purcell, livret anonyme d’après Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, créé le 2 mai 1692 au Dorset Garden Theatre (Théâtre de la Reine) à Londres.
Atelier lyrique de Tourcoing, représentation du 24 février 2022.