La voix humaine/Point d’orgue, doublé intense et intime à Saint-Etienne
C’est une lapalissade d’affirmer qu’une production évolue au fil des reprises. Le cas du doublé La Voix humaine/Point d’orgue présente aussi la particularité de mettre en avant des facettes différentes – et en fin de compte complémentaires – de la création de Thierry Escaich. Réalisé dans les ateliers de l’Opéra de Saint-Etienne, le décor unique de la mise en scène d’Olivier Py pour les deux ouvrages, où le noir domine, amplifiant le tropisme des scénographies de Pierre-André Weitz, s’articule autour d’une chambre au centre d’un dispositif rotatif aux allures d’antique combiné téléphonique, dans un cadrage idéal avec l’espace du plateau. Les lumières de Bertrand Killy accompagnent le ballottement des affects et des sentiments en même temps que le repaire de la vacuité d’une intimité abandonnée : rouge, puis vert, la pièce comme la tête de l’héroïne de Cocteau et Poulenc tangue dangereusement, avant de finir sa fuite en avant au pied de l’immeuble, confirmant l’efficace polysémie du décor. Dans Point d’orgue, la vue se fait un peu plus synoptique, la chambre sale du compositeur en déréliction amoureuse, mais aussi artistique, étant encadré par un corridor en trompe-l’œil à gauche et la salle de bain à droite, dévoilés au fil des coulissages de la machinerie. Mais l’impression de huis clos demeure pour cet autre ressassement de la souffrance, que l’intervention de la compagne délaissée, Elle, ne pourra rompre.
La lecture musicale contribue à renouveler l’approche du spectacle. Dans La Voix humaine, Camille Poul livre une incarnation nerveuse, avec un timbre précis et projeté, moins évanescente qu’une Patricia Petibon, au Théâtre des Champs Elysées, et sans doute moins sur le fil des mots qu’Anne-Catherine Gillet, à Bordeaux, sans manquer de trouver un intéressant équilibre entre jeunesse de l’émission et sincérité intense. Sous la baguette de Giuseppe Grazioli, l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, fait vivre la fébrilité de la partition de Poulenc, dans une approche charnue de la pâte sonore qui souligne par ailleurs de manière instinctive les ressacs et les ressassements de l’opéra de Thierry Escaich, Point d’orgue. Certes, les cuivres accusent quelques crudités, les cordes servent cependant le maelström de cette descente aux enfers sado-masochiste, tandis que les pupitres placés en coulisse distillent l’effet de distance voulue par le compositeur, avec vraisemblablement le calibrage le plus juste des trois séries de représentation. Si Camille Poul revient dans l’imploration d’Elle, l’ouvrage se construit autour de la confrontation entre Lui, confié à un Lionel Peintre, attentif à la lisibilité du texte, et plus proche des inflexions naturelles de la déclamation, là où Jean-Sébastien Bou mettait plus d’impulsion théâtrale, et l’Autre, que Peter Tantsits, palliant l’indisponibilité de Cyrille Dubois, porte jusqu’à une hystérie méphistophélique aux accents un peu allophones que l’engagement évident pardonne.
Les vérités d’une création sont multiples et la contribution de la série stéphanoise se révèle loin d’être secondaire, enrichissant significativement l’approche, tant formelle que théâtrale, du deuxième opus lyrique de Thierry Escaich, dont Lyon proposera en mai le baptême du troisième, Shirine.
La Voix : Camille Poul
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Elle : Camille Poul
Lui : Lionel Peintre
L’Autre : Peter Tantsits
Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire
Giuseppe Grazioli direction musicale
Olivier Py mise en scène
La Voix humaine
Tragédie lyrique en un acte de Francis Poulenc (1899-1963) créée le 6 février 1959 salle Favart à Paris d’après un monologue théâtral de Jean Cocteau
Point d’orgue
Création mondiale publique
Opéra en un acte de Thierry Escaich (1965) sur un livret d’Olivier Py créé le 6 mars 2021 au Théâtre des Champs-Élysées .
(Commande du Théâtre des Champs-Elysées, et des Opéra de Dijon, Opéra National de Bordeaux, Opéra de Saint-Étienne, Opéra de Tours)
Opéra de Saint-Etienne, France
Représentation du 4 mars 2022, 20h