Créée en 2018 à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy, et couronnée alors par le Prix Claude Rostand du meilleur spectacle lyrique en régions du Syndicat de de la Critique, reprise au printemps 2021 à Montpellier, la production de Werther réglée par Bruno Ravella affirme une épure d’une évocation historique. Dessinée par Leslie Travers, la scénographie d’antichambre tapissée de décors pastoraux aux teintes de gravures ou d’eaux-fortes délavées par le temps résume, comme les costumes, avec une certaine fidélité poétique sans trop s’appesantir sur les détails, l’époque du Sturm und Drang du roman de Goethe, tout en suggérant efficacement la constante tension sous-jacente du drame, jusqu’au dénuement onirique du dernier acte, sous les flocons, le tout sous les lumières évocatrices de Malcolm Rippeth. Répondant le plus souvent aux contraintes sanitaires, la direction d’acteurs participe de cette représentation d’un amour impossible.
Cette sobriété se fait un écrin idéal pour l’investissement des interprètes, en premier lieu la Charlotte d’Antoinette Dennefeld. La franchise d’une alchimie entre féminité et pudeur jusqu’au bout de la ligne vocale sert une incarnation d’une émouvante sincérité. La fraîcheur d’un timbre rond, au medium aéré, sait se voiler délicatement pour faire affleurer l’indicible, avec un calibrage naturel et instinctif de l’affect, sans intellectualisme. Si le Werther de Thomas Bettinger affiche la couleur dolente qui sied plus au personnage qu’à l’accomplissement de l’orthodoxie de la tessiture, c’est surtout dans les demi-teintes et les nuances mezza-voce de la reddition face au Destin que le lyrisme du ténor se révèle à son meilleur, dans une saisissante complexité de l’évolution psychologique. En Albert, Marc Scoffoni met en valeur l’autorité de la bienveillance et du bonheur, dans un métal non monolithique, que fragilisent les doutes et les évidences, avec une remarquable vérité où la justesse musicale rejoint le théâtre. Quant à Sophie, le quatrième élément de ce malheureux croisement des sentiments, elle respire avec le juvénile élan de Ludivine Gombert, non dénué de la touche de timidité qui convient pour le personnage.
Le reste du plateau complète harmonieusement le tableau de cette tragédie domestique. Marc Barrard se distingue dans la robustesse paternelle du Bailli, avec une pâte reconnaissable, peut-être légèrement moins dense que de coutume, mais non moins chantante. Marc Larcher compose un Schmidt alerte aux côtés du Johann un peu rustre de Jean-Marie Delpas. La Kätchen d’Emilie Bernou forme un couple complémentaire avec le Brühlman de Cédric Brignone, quand les interventions de la gouvernante reviennent à Maïté Estorez. Préparés par Samuel Coquard, les enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône s’égaient sur scène et en coulisses dans les strophes de Noël. Sous la belle baguette de Victorien Vanoosten, qui, lauréat du concours de l’Opéra de Marseille, avait été nommé chef assistant de Lawrence Foster en 2015, avant de seconder Daniel Barenboïm à Berlin depuis 2018, l’orchestre de la maison provençale magnifie la vigueur et les tendresses de la partition de Jules Massenet. Un nom de chef à retenir, qui avait déjà marqué les esprits dans une splendide Reine de Saba en octobre 2019.
Charlotte : Antoinette Dennefeld
Sophie : Ludivine Gombert
Kätchen : Emile Bernou
La gouvernante : Maïté Estorez
Werther : Thomas Bettinger
Albert : Marc Scoffoni
Le Bailli : Marc Barrard
Johann : Jean-Marie Delpas
Schmidt : Marc Larcher
Brühlman : Cédric Brigone
Orchestre de l’Opéra de Marseille, dir. Victorien Vanoosten
Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Mise en scène : Bruno Ravella
Werther
Opéra en quatre actes de Jules Massenet, livret d’Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann, d’après Goethe, créé à Vienne (en allemand) puis à Genève en 1892.
Opéra de Marseille, représentation du mardi 15 mars 2022.