Rigoletto à l’Opéra de Lyon – Y a des bouffons dans ma cité
Donné en ouverture de son « Festival », le Rigoletto monté par Axel Ranisch pour l’Opéra de Lyon a hélas fait un peu l’effet d’un pétard mouillé. La transposition vers notre époque – et plus précisément vers une morne banlieue composée de barres d’immeubles – est devenue un lieu commun, et le metteur en scène allemand, lorsqu’il ne sait trop quoi demander aux chanteurs, semble avoir pour principale solution d’occuper le plateau par des vidéos qui racontent une autre histoire, version banalisée du drame hugolien. Dans ce Rigoletto lyonnais, il n’y a finalement plus un bouffon, mais deux, trois, voire quatre. Dans le monde de jeux d’arcade et de pole dance sur lequel règne le Duc, au milieu d’une faune mâle arborant coquille de protection par-dessus le jean, Rigoletto trouve un premier alter ego en la personne de Monterone, vêtu exactement comme lui, manière de montrer que la fille du bouffon sera consommée par le Duc comme l’a été la fille du comte. Mais ça ne suffit pas : avant le début de la représentation, un film nous montre un homme visionnant un DVD de Rigoletto et s’apprêtant à se suicider, l’individu en question apparaissant ensuite en chair et en os sur le plateau pour ne plus le ne quitter un seul instant, tandis que d’autres vidéos nous raconteront tout son parcours, qui relève davantage du grotesque que du sublime. La belle idylle censée avoir uni Rigoletto à son épouse défunte est en fait une histoire bien plus sordide, et Gilda n’est même pas réellement la fille du bouffon. Les projections reviennent si fréquemment qu’elles finissent par tourner au remplissage, comme ces chorégraphies qui permettent de meubler « Questa o quella » ou « La donna è mobile ». À la fin, Gilda se suicide, tandis que le Duc est repris en mains par son épouse visiblement bien plus âgée que lui. Pourquoi pas, mais d’autres productions ont su actualiser l’œuvre sans la dépouiller de sa grandeur ou de sa poésie.
Heureusement, l’oreille est à la fête grâce à la direction de Daniele Rustioni, qui creuse notamment les grands accords du Destin avec une force et une intensité stupéfiantes, faisant de l’orchestre un protagoniste essentiel du drame. Une lecture aussi puissante aurait mérité un spectacle plus stimulant, d’autant que le chœur de l’Opéra de Lyon, réduit à ses pupitres masculines, livre lui aussi une prestation de très haute tenue, malgré la vulgarité du jeu qui lui est parfois imposé. C’est également du chœur que proviennent les titulaires de plusieurs petits rôles, entre autres Sylvie Malardenti en comtesse de Ceprano, Marie-Eve Gouin en page ou Paolo Stupenengo en huissier (mais pourquoi avoir fait de celui-ci une sorte de travesti en imperméable transparent ?). Le Borsa percutant de Grégoir Mour impressionne par ses qualités de danseur, Daniele Terenzi révélant un joli timbre en Marullo. Dommage que Roman Chabaranok manque d’autorité et de projection, son Monterone passe presque inaperçu, d’autant plus que l’autre basse de la distribution est, elle, magistrale : Gianluca Buratto (en alternance avec Stefan Cerny) est un Sparafucile absolument somptueux, dont on espère qu’il trouvera bientôt à incarner les plus grands rôles du répertoire. Gaînée de cuir comme son frère, Maddalena trouve en Agata Schmidt une interprète éloquente qui sait imposer sa présence dans le quatuor du dernier acte. Dans le rôle-titre, Dalibor Jenis joue en vieux routier de toutes les ficelles du métier, son expressivité faisant oublier un grave confidentiel et pas mal de phrases plus jouées que véritablement chantées. Hélas un peu livrée à elle-même sur le plan théâtral (la direction d’acteur se borne à lui demander de faire de la balançoire et à vaguement caresser les montants du portique rouillé pendant « Caro nome »), Nina Minasyan s’affirme au fil de la représentation et propose une Gilda touchante, la couverture vocale retirant un peu d’impact à sa diction mais nous épargnant toute acidité dans le suraigu. Reste le cas d’Enea Scala : dommage que le ténor se sente obligé de systématiquement pousser sa voix, car lorsqu’il renonce à son émission en force, le timbre redevient bien plus agréable à écouter, le comédien étant tout à fait convaincant et réussissant l’exploit de rendre le Duc bien moins antipathique qu’il ne devrait le paraître.
Le duc de Mantoue Enea Scala
Rigoletto Dalibor Jenis
Gilda Nina Minasyan
Sparafucile Gianluca Buratto
Maddalena Agata Schmidt
Monterone Roman Chabaranok
Marullo Daniele Terenzi
Borsa Grégoire Mour
Ceprano Dumitru Mădăraşăn
La comtesse Sylvie Malardenti
Giovanna Karine Motyka
Un page Marie-Eve Gouin
Un huissier Paolo Stupenengo
Hugo (rôle muet) Heiko Pinkowski
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon
Chef des chœurs Benedict Keams
Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène et vidéo Axel Ranisch
Décors et design vidéo additionnelle Falko Herold
Costumes Alfred Mayerhofer
Lumières Michael Bauer
Dramaturgie Rainer Karlitschek
Chorégraphie Daphné Mauger
Rigoletto
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo, créé le 11 mars 1851 à Venise (La Fenice).
Opéra de Lyon, Festival Secrets de famille, représentation du vendredi 18 mars 2022, 20h