Présentée au Théâtre du Capitole avant la pandémie, la mise en scène d’Ariane à Naxos de Strauss réglée par Michel Fau et reprise ici à Montpellier par Tristan Gouaillier, prend le parti délibéré de la théâtralité, voire de l’emphase. Les exubérances colorées des décors signés par David Belugou n’y sont pas étrangères. Dans l’habile découpe de la scène pendant le Prologue, les coulisses et ses intrigues se déroulent sous une réplique bigarrée de rideau de scène devant laquelle le Majordome de Florian Carove se délecte d’une caricature de domestique viennois ironique et hautain aux confins de l’hystérie, avec un irrésistible amphigouri déclamatoire, parfois même au-delà du nécessaire. Le Compositeur incarné par Hongni Wu contraste par une homogénéité de l’émission qui tamise la réserve et la pudeur des contradictions du jeune musicien, d’une beauté vocale qui prend le pas sur la psyché torturée que d’autres ont davantage mise en avant dans le rôle. Les controverses entre la robustesse du Maître de Musique de William Dazeley et la légèreté discrètement affectée du Maître à danser aux moyens calibrés de Manuel Nuñez Camelino ponctuent des préparatifs houleux au milieu desquels passent le Perruquier de Jean-Philippe Elleouët-Molina, le Laquais de Laurent Sérou et l’Officier de Hyoungsub Kim.
L’acte d’opéra accentue, sous les modulations oniriques des lumières de Joël Fabing, l’esthétique carnavalesque du spectacle. La gestuelle et les maquillages surlignés des deux protagonistes, Ariane et Bacchus, que l’on voit apparaître brièvement en première partie dans leur trivialité d’interprète, Primadonna et Ténor, se dessinent sur fond de toiles naïves mêlant masque de Moloch de pierre, verticales frondaisons et motifs circulaires aux oscillations ça et là vaguement psychédéliques. En Ariane, Katherine Broderick se distingue par une voix solide et un engagement équilibré entre la crédibilité expressive et les intentions scénographique. Robert Watson révèle en Bacchus une vaillance évidente dans une partie réputée, à juste titre, presque inchantable dans un registre de ténor pour lequel Strauss nourrissait une hostilité vraisemblablement plus que purement musicale. L’émission en poitrine exigée et assumée n’évite pas des vulnérabilités sensibles dans le haut de la tessiture – que certes l’écriture n’aide aucunement. En Zerbinette, Hila Fahima condense la volubilité et l’abattage attendus, à défaut de dépasser une certaine banalité de sentiment que d’aucunes coquettes coloratures ont su transfigurer – notamment dans la leçon finale, glissant comme un voile sur l’extase amoureuse des déités. Autour d’elle gravitent le quatuor de commedia dell’arte de bonne tenue, avec l’Arlequin de Nikolaj Trabka, le Scaramouche d’Alexander Sprague, le Truffaldino de Nicholas Crawley et le Brighella d’Antonio Figueroa. Le trio formé par la Naïade de Samantha Gaül, la Dryade de Julie Pasturaud et l’Echo de Norma Nahoun individualise de manière reconnaissable et bienvenue les trois solistes, qui se réunissent en un ensemble tout aussi cohérent.
Cette joyeuse mise en abyme est portée par la baguette inspirée de Christian Arming, avec un enthousiasme parfois audible. Non seulement le chef autrichien fait chanter les couleurs et les textures des pupitres de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, mais il sait conduire avec un instinct sûr la souplesse des métamorphoses continuelles des lignes et des registres, qui font tout le sel de cet anastomose théâtrale et lyrique qu’est Ariane à Naxos.
Primadonna / Ariane : Katherine Broderick
Ténor / Bacchus : Robert Watson
Le Compositeur : Hongni Wu
Zerbinette : Hila Fahima
Le Maître de Musique : William Dazeley
Arlequin : Nikolaj Trabka
Le Maître à danser : Manuel Nuñez Camelino
Le Majordome : Florian Carove
Scaramouche : Alexander Sprague
Truffaldino : Nicholas Crawley
Brighella : Antonio Figueroa
Naïade : Samantha Gaül
Dryade : Julie Pasturaud
Écho : Norma Nahoun
Le Perruquier : Jean-Philippe Elleouët-Molina
Le Laquais : Laurent Sérou
L’Officier : Hyoungsub Kim
Hermès : Benjamin Kahan
Michel Fau : mise en scène
Ariane à Naxos
Opéra en un prologue et un acte de Richard Strauss, livret d’Hugo von Hofmannsthal, créé le Neues Königliches Hoftheater de Stuttgart.
Représentation du dimanche 10 avril 2022, Montpellier (Opéra Comédie)