À l’Opéra-Comédie de Montpellier, les jeunes d’Opera Junior exhument Les Aventures du roi Pausole d’Arthur Honegger (1930), hymne à l’amour libre et bisexuel. L’utopie libertine et sexiste des Années folles anime le plateau de l’Opéra-Comédie, tandis que les effluves du music-hall font tanguer chants et danses.
Comment représenter aujourd’hui la sur-érotisation du royaume de Pausole ?
En 1903, Claude Debussy écrivait à l’ami Pierre Louys : « Tu es bien le père de ce Roi Pausole que j’aime tant et qui devrait bien régner pendant quelque temps sur notre belle France ». Pendant l’entre-deux guerres, Arthur Honegger et le librettiste Albert Willemetz donnent vie au souhait debussyste en adaptant le roman de Louys en l’opérette Les Aventures du roi Pausole. Pour la plus grande joie des publics des Bouffes-Parisiens, plus de 500 représentations se succèdent après la création du 12 décembre 1930 ! Le Roi Pausole règne sur un royaume dont les journées sont rythmées par les plaisirs que lui offrent 365 épouses-reines … (le record de l’opérette Les Cent vierges est battu …). Lorsque sa fille s’enfuit avec un [mauvais] sujet d’une troupe de ballet, le Roi révise son code permissif et part à sa recherche, tour à tour conseillé par son ministre eunuque et le bel éphèbe Giglio.
Certes, l’adaptation de Willemetz, roi de l’opérette parisienne et de la chanson (Mon homme d’Edith Piaf) capte l’utopie libertine des années 30. Mais comment mettre en scène le sexisme permanent et la sur- érotisation du royaume de Pausole à l’heure de #MeToo ? D’autant que ce sont des adolescentes (chœur des 365 épouses du Harem du roi) et des jeunes adultes qui jouent les rôles solistes. Sur les trois actes, cette sur-érotisation affecte toutes les relations – amicales, amoureuses, de pouvoir – et imprégnent les blagues sexistes (dialogues parlés) à la cour de Tryphême. Après quelques coups de griffe à la société contemporaine – parodie de l’autoritarisme, de la justice – il faut attendre la fin du second acte pour que la mise en scène de Damien Robert (créateur de l’opéra participatif Un Barbier) puisse enfin marquer une distanciation, sans fausser le pas à l’intrigue. Dès lors, la révolte des femmes du Harem s’affiche avec les armes actuelles : panneaux féministes, Cancel culture en parallèle du chœur revendicatif « Nous demandons qu’on nous foute la paix ! » Entretemps, le portrait décomplexé du travesti Mirabelle, amant.e de la fille du Roi, est sans entrave pour célébrer la bisexualité (duo Aline / Mirabelle). Par là, la liberté des mœurs des années 30 résonne avec bonheur dans notre présent. Ce que la production de Mireille Larroche à l’Opéra-Comique (2004) réactualisait.
Plus souvent à contre-courant qu’en phase avec notre temps, ce sexisme est minoré par l’humour et le raffinement d’Arthur Honegger (1892-1955), jusqu’alors compositeur sérieux du Roi David (1921). Portant l’esthétique divertissante du Groupe des Six, matinée d’accents jazzy, il surfe sur la vogue de Phi-Phi (1918), signée de Willemetz et de son compatriote suisse, Henri Christiné. Certains auditeurs se délectent de l’ironie musicale lors de subtiles parodies de Gounod, de Berlioz et même de l’hispanisme (chœur « Boire le chocolat chaud espagnol »). Au 3e acte, la mise en scène finit de renverser les codes de l’hétérotopie du royaume pour afficher une contre-société permissive. L’abdication de Pausole y est adroitement exploitée lorsque le Roi énonce en guise de finale :« J’émancipe toutes mes femmes ». Les Françaises devront cependant attendre 1944 pour le droit de vote !
Vivent les jeunes d’Opéra Junior !
Au fil de deux heures de spectacle non-stop, le public de l’Opéra-Comédie est en phase avec l’euphorie et le dynamisme des jeunes d’Opéra Junior, qui composent tous les rôles de l’opérette ! Fondé il y a 30 ans par V. Kojoukharov, Opéra Junior est une structure montpelliéraine qui propose aux jeunes de 7 à 25 ans, de tout milieu social, de se former – au chant, à la danse et au théâtre – afin de participer à des spectacles réalisés dans des conditions professionnelles. En 2015, leur production de L’Enfant et les sortilèges était une réussite. Ici, bien que l’inégalité des talents vocaux soit perceptible, leur engagement est sans faille sur la base d’une préparation sur les rails le jour de la première. Si les micros dissimulés devant la scène tentent de renforcer quelques solistes en difficulté, nous retenons la prestation de deux jeunes artistes prometteurs. Le ténor Léo Thiery (Giglio, le page du roi) est un musicien accompli dont le placement vocal et l’aisance scénique sont indéniables, toujours justes dans la situation. Dans le rôle d’Aline, fille du roi, le soprano Maéva Mercat fait montre d’une justesse d’intonation pour ce rôle le plus vocalement exposé, tandis que les dialogues parlés de sa comparse en travesti, Finoana Beulque (Mirabelle), sonnent avec réalisme. Une mention spéciale au chœur féminin, si actif dans la partition (y compris en contrepoint), ainsi qu’au savoureux quintette masculin des Métayers (2e acte). La production a évité l’étalage de beautés dénudées, habituel dans ce genre de production. Costumées en Miss France, les Reines du harem paraissent avec naturel et ne maquillent pas leur accent méridional. Quant au burlesque Roi Pausole, sa vision politique recueille les rires des spectateurs, une semaine après le second tour des Présidentielles : « Vous êtes heureux et libres /Le budget est en équilibre /Vous n’avez pas un seul chômeur / Votre argent garde sa valeur / Même lorsque la Bourse baisse […] C’est pourquoi certains étrangers / Avec nous voudraient bien changer / Et font entendre un bruit de bottes. »
La chorégraphie et les décors stylisés (Thibault Sinay) apportent la touche légère de comédie musicale qui ravit les jeunes et les familles composant majoritairement le public ; toutefois le cadrage symétrique des acteurs autour du podium (1er et 2e actes) manque d’inventivité. Si l’humour sexiste laisse l’auditoire froid, les ensembles vocaux et les danses séduisent. Au parterre, quelques enfants sont même tentés de fredonner à l’unisson du chant de leurs aînés sur le plateau.
Sous la direction de Jérôme Pillement, l’Orchestre national de Montpellier tente d’accorder son volume et ses couleurs aux possibilités des chanteurs, ce qui n’est pas simple. On apprécie le phrasé du saxophoniste et de la tromboniste, privilégiés par l’orchestration.
Le roi Pausole : Tony Garnier
Taxis l’eunuque : Marceau Mesplé
Aline, fille du roi : Maéva Mercat
Mirabelle : Finoana Beulque
Chœur et rôles d’Opéra Junior, Vincent Recolin (chef de chœur), Orchestre National Montpellier Occitanie, dir. Jérôme Pillement
Damien Robert, mise en scène
Thibault Sinay, décors
Irène Bernaud, costumes
Mathieu Cabanes, lumières
Les Aventures du roi Pausole
Opérette d’Arthur Honegger, livret d’Albert Willemetz, d’après le roman de Pierre Louÿs, créée le 12 décembre 1930 au Théâtre des Bouffes-Parisiens.
Représentation du 29 avril 2022, Opéra-Comédie de Montpellier.