Ce 17 mai était « célébrée » la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Sans rapport aucun, à l’issue de cette représentation de La Périchole à l’Opéra Comique, une question ne cessait pourtant de nous turlupiner : « Sommes-nous gais ? »
Cette interrogation, c’est aussi celle de Don Andrès, vice-roi du Pérou dont c’est aujourd’hui la fête. Son peuple se doit d’être heureux. Le contraire risquerait même de lui en coûter. Les femmes, surtout la Périchole, sont tenues de l’aimer. Cette pauvre chanteuse de rue, artiste sans le sou et affamée, est acculée à dîner avec lui en attendant du plus lubrique, quand la volonté de l’homme de pouvoir fera loi.
Le lecteur pourrait voir s’esquisser ici les ressorts bien connus et souvent attendus d’une grammaire théâtrale interrogeant les grands enjeux sociétaux du moment. La metteuse en scène Valérie Lesort aurait pu faire de cette Périchole le miroir cruel d’une société jamais à court d’idées quand il s’agit de brider la femme, et plus encore la femme-artiste, en quête de libertés et d’émancipation. Elle a pris le parti de se concentrer sur la farce. Au spectateur donc de lire dans la parodie lyrique de Jacques Offenbach la charge politique et la satire sociale. Place au rire, aux gags, aux numéros de marionnettes et aux danses enlevées.
Valérie Lesort est bien libre de faire ce qu’elle veut. Combien de fois avons-nous vu des spectacles se transformer en tract de propagande là où nous souhaitions juste du divertissement et de la légèreté ? Ce soir, nous aurions pu être comblés.
Cette nouvelle production de La Périchole ne manque pas de qualités et d’inventivité. À chaque situation son lot de pitreries bien réglées le plus souvent fort amusantes. Dans un sobre décor signé Audrey Vuong se succèdent ou plutôt se superposent et se mêlent les marionnettes hilarantes de Carole Allemand, les chorégraphies précises et inventives de Yohann Têté, les costumes colorés et délirants de Vanessa Sannino et la direction d’acteur toujours pertinente de Valérie Lesort. Les rires fusent dans la salle. L’humour fait mouche et pourtant, nous n’aurons pas été touchés. Peut-être n’étions-nous pas d’humeur ? Nous manquaient une grande arche narrative plus dessinée, quelques calmes moments d’émotion et une ou deux touches de folie supplémentaires pour atteindre l’ivresse. Nous avons dû nous contenter du doux engourdissement d’un premier verre.
Si la mise en scène de Valérie Lesort ne manque pas de rythme, la direction musicale de Julien Leroy, quant à elle, en déborde. Les tempi surprennent, les nuances aussi. Là où une certaine lenteur sied parfois à l’orchestration ingénieuse d’Offenbach, la rapidité emporte dans sa précipitation la diction et le murmure tait le sens et la couleur des mots. Solistes, chœur et instrumentistes se cherchent souvent et nous perdent en même temps. Dans la chaleur de la fosse d’orchestre, l’Orchestre de Chambre de Paris brille par son investissement même si l’homogénéité de l’ensemble est parfois prise en défaut, emportée par quelque excès de vitesse. Pas de sortie de route malgré quelques virages en épingle habillement négociés du côté du chœur Les éléments toujours excellemment préparé par Joël Suhubiette. Rarement l’écriture chorale du « petit Mozart des Champs-Elysées » n’aura été rendue avec autant de sens de la ligne et de justesse polyphonique.
En Périchole, Stéphanie d’Oustrac fait preuve de son habituel abattage où se mêle en un même ample et vibrant instrument la gouaille de la chanteuse de rue et la superbe de la femme libre. Elle est idéalement appariée au Piquillo bien chantant de Philippe Talbot. Son amoureux bêta est une petit bijou d’humour et de poésie. Tassis Christoyannis est un Don Andrès de Ribeira plus vrai que nature, roué et ridicule à souhait. La science du mot du magnifique chanteur de mélodies françaises qu’est le baryton grec fait merveille dans ce répertoire. Don Miguel de Panatellas et Don Pedro de Hinoyosa sont tenus par des Éric Huchet et Lionel Peintre en grande forme scénique et vocale. Thomas Morris est un Vieux prisonnier à longue barbe inquiétant, étrange croisement entre Le Comte de Monte-Cristo et le Père Fouras.
Julie Goussot , Marie Lenormand et Lucie Peyramaure sont impayables en cousines et en dames de la cour où elles sont rejointes avec talent par Julia Wischniewski. Les danseuses et danseurs Lucille Daniel, Alexandre Galopin, Véronique Laugier, Jocelyn Laurent, Maria McClurg et Gaétan Renaudin complètent avec souplesse et énergie cette distribution scénique.
Et donc, à l’issue de cette représentation de La Périchole à l’Opéra Comique, que pouvons-nous répondre à la question « Êtes-vous gais ? ». Peut-être que le coming-out reste une chose bien difficile, même en 2022 en France…
La Périchole : Stéphanie d’Oustrac
Berginella / Fraquinella : Marie Lenormand
Mastrilla / Branbilla : Lucie Peyramaure
Guadalena, Manuelita :Julie Goussot
Ninetta : Julia Wischniewski
Piquillo : Philippe Talbot
Don Andrès : Tassis Christoyannis
Don Miguel de Panatellas : Éric Huchet
Don Pedro de Hinoyosa : Lionel Peintre
Premier notaire / Tarapote / Le vieux prisonnier : Thomas Morris
Second notaire : Quentin Desgeorges
Chœur Les éléments • Orchestre de Chambre de Paris, dir. Julien Leroy
Mise en scène : Valérie Lesort
La Périchole
Opéra bouffe de Jacques Offenbach, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Mérimée, créé le 06 octobre 1868 au Théâtre des Variétés dans une version en deux actes.
Paris, Opéra Comique, Représentation du mardi 17 mai 2022.