NICE : UN MACBETH À L’HEURE DU FEMINISME…
Macbeth à l’Opéra de Nice
En transposant le chef-d’œuvre de Verdi dans l’Écosse des lendemains de la Première Guerre mondiale, époque de révolution sociale pour le statut de la femme, le metteur en scène Daniel Benoin permet à un nouveau public – venu largement remplir, en ce soir de première, le magnifique écrin de la rue Saint-François de Paule – de (re)trouver dans Macbeth des préoccupations d’actualité.
Des sorcières devenues ouvrières… sur fond de luttes de pouvoir et de guerre des gangs
Après un prélude permettant à la vidéographie du très talentueux Paulo Correia – quasi omni-présente dans ce spectacle – de plonger le spectateur dans l’enfer du déluge de feu et de boue des lieux des combats de la Première Guerre mondiale, le rideau se lève sur un impressionnant décor, signé Jean-Pierre Laporte, reproduisant en fond de scène une usine et ses machines modernes et, au premier plan, une perspective de corons aux briques sombres, tels que l’on pouvait en trouver dans les grandes villes minières d’Europe : du plus bel effet scénique, ce qu’il nous paraît indispensable de souligner à une époque où l’importance du décor d’opéra est souvent reléguée au second plan !
Représentation symbolique de la force de travail dont – compte tenu du conflit et de la place rendue soudain libre par l’absence des hommes – se sont emparées des communautés de femmes devenues autonomes, l’usine fonctionne ici de façon identique à l’antre des sorcières, au milieu de la bruyère, dans l’original shakespearien et son adaptation pour l’opéra dans le livret de Francesco Maria Piave : c’est un lieu que Banquo et Macbeth, revenus de la guerre, ne parviennent plus à reconnaître et qui, pourtant, comme pour beaucoup d’autres hommes, leur a été autrefois familier. De fait, il nous a paru scéniquement cohérent de montrer que les hommes, de retour du front, essaient de se réapproprier ce lieu, soit par la séduction (les deux personnages masculins tentent d’emblée de conquérir physiquement certaines de ces mystérieuses créatures), soit par la force, ce qui donnera lieu, sur la musique du ballet à l’acte III, à une scène muette très réussie où des hommes armés pénètrent dans les groupes d’habitation pour s’emparer des outils de travail, farouchement défendus par leurs opposantes, et finiront par être chassés de l’usine, le contremaître avec eux !
Tant chez Shakespeare que dans la partition de Verdi, la lutte pour le pouvoir est primordiale dans Macbeth : le propos scénique qui nous est présenté ici, loin de l’oblitérer, la fait ainsi passer de l’ordre du particulier – en montrant combien Lady Macbeth a su, en l’absence de son époux, s’emparer de ses rênes – à l’ordre du général, que la transposition dans le monde de l’entre-deux guerres permet de mieux rendre explicite. À plusieurs occasions, la référence à la série télévisée britannique sur le gang des Peaky Blinders nous traverse l’esprit…
Si le fantastique et le côté lugubre, autres passages obligés de l’ouvrage, sont loin d’être absents de cette production, avec en particulier une présence régulière de la pluie et une belle palette de couleurs entre le noir, le gris et le bordeaux, on le doit de nouveau au mapping vidéo nous permettant, enfin, par de magnifiques projections de style troubadour – les influences de la série Game of Thrones ! – de voir défiler la lignée de Banquo, dans la scène des apparitions, sans pouffer de rire !
Si les ensembles réussissent plutôt à Daniel Benoin – on pourrait d’ailleurs y ajouter la scène du banquet à l’acte II conférant, dans un salon de style art déco et par la beauté des costumes « Années folles » conçus par Nathalie Bérard-Benoin, une ambiance décadente bienvenue -, on est moins séduit par la manière dont le metteur en scène expose la folie des personnages et, en particulier, celle du principal d’entre eux que l’on a connu plus inquiétant dans nos souvenirs scéniques… mais, après tout, n’est-ce pas là un parti pris visant à le montrer dans son a-moralité et l’effrayante banalité de ses crimes ? Macbeth, pour lequel la vie ne signifie rien, pourra mourir en dictateur, livré à la haine de son peuple. Plus intéressante dans sa conception scénique, sa Lady apparaît bien comme étant cette femme de poigne (elle n’hésite pas à gifler son mari lors de son délire pendant le banquet !) qui a sans doute elle aussi profité de la période du conflit pour découvrir sa sexualité et son goût effréné du pouvoir.
Daniele Callegari, artisan du succès musical du spectacle
Nous l’avions déjà écrit lors du concert symphonique inaugural du 7 avril dernier avec l’orchestre dont il est désormais le chef principal, la présence de Daniele Callegari à Nice commence déjà à faire sentir ses effets en termes de complicité entre les musiciens, de mise en valeur des différents pupitres et, pour le dire d’un seul mot, de beau son ! Lors de cette première, ce qui nous a le plus frappé – mais que nous avions déjà pu remarquer lors de mémorables soirées verdiennes dirigées par le maestro à Parme ou Monaco – c’est l’architecture globale que, du prélude au chœur final, le chef italien parvient à ériger non seulement à la tête d’un orchestre en très grande forme mais aussi du chœur – parfaitement préparé par son directeur Giulio Magnanini – que l’on aura rarement entendu, ces derniers temps, si précis et si rigoureux dans ses interventions. Avec quelques recrutements supplémentaires, en particulier dans les soprani, l’ensemble se hissera rapidement au haut niveau d’excellence indispensable à cette maison d’opéra. Que d’attentions du geste et du regard de la part du maestro pour l’ensemble de ses effectifs et pour ses solistes sur le plateau ! De fait, les époustouflants concertati des actes I et II compteront parmi les moments mémorables de la soirée tout comme, bien évidemment, un « Patria oppressa ! » salué par des « bravo maestro ! » dans le public et même un « Viva V.E.R.D.I ! » parfaitement adapté, à cet instant précis, au souffle risorgimental de cette direction. Un véritable bonheur pour les oreilles !
Une distribution parfaitement homogène
Monter Macbeth en 2022 nécessite de disposer de voix solides et endurantes – sans être nécessairement de grands noms de l’art lyrique international – totalement engagées dans le projet scénique : c’est ce que propose l’affiche réunie par Bertrand Rossi. Ainsi, on a pu entendre des Macbeth au volume vocal plus imposant que Dalibor Jenis, baryton à l’organe changeant de couleur selon les moments de la soirée… Mais, une fois que l’on s’est (re)dit que l’ère des Bruson, Cappuccilli et autres Nucci est définitivement (?) close – mais qui le saura encore parmi les nouveaux publics de l’art lyrique ? – on se doit de reconnaître que la ligne de chant est nuancée et que la voix du baryton slovaque sait parfaitement se projeter dans le vaisseau niçois : cela nous permet d’entendre un « Pietà, rispetto, amore » au legato rigoureux, sans effets outrecuidants.
Si l’on est davantage réservé sur l’adéquation du ténor Samuele Simoncini avec l’émission vocale foncièrement romantique exigée par le rôle de Macduff, on serait heureux de réentendre dans un emploi plus important le ténor David Astorga dont les interventions en Malcom sont remarquables tout autant que celles de la soprano lyrique Marta Mari, au parcours déjà plus que prometteur, en servante. On ne peut, en outre, que s’incliner sur l’endurance vocale de Giacomo Prestia, Banquo de grande classe, qui aura donné à l’art lyrique, après plus de trente ans de carrière, quelques soirées mémorables, chez Verdi en particulier !
Quant à la Lady Macbeth de Silvia Dalla Benetta, récemment applaudie dans la rarissime version française de l’ouvrage, on se réjouissait de la réentendre à l’Opéra de Nice, scène où elle avait déjà incarné des Semiramide et Marguerite de Valois des Huguenots de belle facture. Si la voix est souvent métallique dans sa partie la plus haute, ce qui, dans ce rôle, n’est pas particulièrement un handicap, l’interprète force le respect par une endurance vocale salutaire lui permettant de traverser tous les écueils d’une partition qui n’en manque pas, cueillant à froid toute soprano, dès la lecture de la lettre de Macbeth achevée ! La somptueuse « Luce langue » avec sa brillante partie finale constitue pour nous la plus belle réussite vocale de la soirée mais la scène de somnambulisme est loin de démériter avec, même non chanté piano, un contre ré-bémol final bien en place.
Dans un théâtre plein à craquer et à la qualité d’écoute superlative, ce Macbeth post-crise sanitaire, exécuté enfin à plein effectif d’orchestre et de chœur, semblait donner le véritable signal du retour du beau chant dans la cité niçoise. On ne peut que s’en réjouir !
Macbeth : Dalibor Jenis
Lady Macbeth : Silvia Dalla Benetta
Macduff : Samuele Simoncini
Banco : Giacomo Prestia
Malcom : David Astorga
Une servante : Marta Mari
Un docteur : Geoffroy Buffière
Chœur de l’Opéra de Nice, direction : Giulio Magnanini
Orchestre philharmonique de Nice, direction : Daniele Callegari
Mise en scène et lumières : Daniel Benoin
Décors : Jean-Pierre Laporte
Costumes : Nathalie Bérard-Benoin
Vidéo : Paulo Correia
Macbeth
Macbeth, opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piaved’après la tragédie homonyme de William Shakespeare, crée au Teatro della Pergola de Florence le 14 mars 1847. Deuxième version au Théâtre Lyrique de Paris (19 avril 1865).
Opéra de Nice, représentation du samedi 21 mai 2022