Parsifal et le gourou de Montsalvat ou le chevalier du Graal aux prises avec une secte

L’Opéra national de Paris reprend le Parsifal de Richard Jones créé à Bastille en 2018. L’action est transposée dans l’univers mortifère d’une secte au sein de laquelle la communauté du Graal est enfermée dans des rituels toujours identiques jusqu’à la rédemption finale qui brise le sortilège.

Cosima Wagner a entretenu, tant qu’elle a pu, la flamme sacrée parsifalienne et a retardé le moment où le Bühnenfestspiel (« festival sacré ») que constitue Parsifal, serait représenté et applaudi sur toutes les scènes du monde. C’est en songeant à cette dimension quasi-religieuse de l’œuvre que le metteur en scène londonien Richard Jones choisit de transposer l’univers des chevaliers du Graal au sein d’une secte. L’idée se défend : il est vrai que la religiosité qui se dégage de la musique malade du vieil enchanteur, selon les mots de Nietzsche, est fort ambiguë. Les tableaux qui sont donnés à voir sur l’immense scène de l’Opéra Bastille témoignent d’une belle maîtrise de l’espace et de la scénographie. De quel culte s’agit-il ? Le buste au visage glabre qui orne les jardins des lieux peut tout aussi bien représenter un Wagner jeune qu’un Louis II de Bavière lui-même fasciné par le compositeur. L’on songe aux jardins de la Villa Wahnfried de Bayreuth.

Pourtant le spectacle peine à convaincre. Est-ce par lassitude de ces mises en scène où le jogging est devenu la tenue obligée ? Cela vient-il de la chorégraphie, entre une gestuelle des chevaliers peu signifiante et celle, obscène, des filles-fleurs ? Ce tableau du second acte n’est pas sans beauté, mais l’on aurait aimé que la mise en scène joue pleinement la carte de la pornographie et de la violence sexuelle infligée à ce gros bébé de Parsifal au lieu de s’abriter derrière le grotesque pour ne pas dire le burlesque. Quant à un Klingsor en généticien fou réalisant ses expériences dans une nurserie où seule perce la lumière des lampes chauffantes, soit, mais était-ce bien nécessaire ? Il n’en reste pas moins que le baryton-basse Falk Struckmann incarne un très sardonique magicien tout droit sorti du cinéma expressionniste allemand.

À voir ce spectacle pourtant fort élaboré, composé de tableaux qui ne sont pas sans beauté, mais où nombre d’inutilités agacent, comme ces dictionnaires bleus dont se saisissent en permanence les chevaliers, on se prend à rêver à un nouveau Wieland Wagner et à un Parsifal débarrassé des scories qui encombrent bien des lectures – pour employer un vilain mot – contemporaines. Il n’est certes pas aisé de prendre au sérieux le sous-titre voulu par Wagner sans tomber dans la grandiloquence.

La direction d’orchestre est fort remarquable et choisit de souligner la narrativité de l’œuvre, ce qui s’accorde avec les choix de mise en scène. Aussi Simone Young tire-t-elle de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris d’amples phrases ponctuées d’une violence contenue, alors que la communauté du Graal survit dans le monde étouffant de Montsalvat. C’est un long récit musical que construit l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. La scène figure en plan de coupe les intérieurs d’une institution des années cinquante. Le décor coulisse de gauche à droite, révélant le jardin, les cuisines et l’amphithéâtre où se déroulent les assemblées. Ce mouvement, d’un tableau l’autre, épouse la narration. Le Gurnemanz de la basse coréenne Kwangchul Youn impressionne et paraît conduire l’histoire de sa voix profonde et claire tout à la fois. Le mariage avec la direction énergique de Simone Young est fort réussi. La voix cuivrée de Reinhard Hagen frappe d’autant plus qu’elle est projetée de la coulisse, alors que le personnage de Titurel est campé sur scène par un vieillard chancelant soutenu par ses compagnons, qui tient de la marionnette désarticulée.

L’acte II est le plus convaincant car, dès lors qu’apparaissent les filles-fleurs dont les accents tentent de séduire Parsifal, le spectateur est transporté dans l’univers scénique d’Olivier Py. Le praticable sur lequel reposent les jeunes femmes que le génie génétique a transformées en épis de maïs géants s’éloigne dans l’obscurité pour laisser la scène vide où, comme sur un ring, se déroule le duel vocal entre Kundry et Parsifal dans une mise à nu des êtres dépouillés de leur vêtements. Les deux voix dialoguent, s’affrontent et se mêlent avec une grande force et, même, avec une sorte de sauvagerie. La mezzo Marina Prudenskaja impose, de sa voix ample et colorée, une indiscutable présence à laquelle se heurte le Parsifal de Simon O’Neill. Le ténor néo-zélandais joue ici le destin de son personnage et sa métamorphose en homme.  

Les chœurs, préparés par Ching-Lien Wu sont remarquables et riches en nuances, de la suavité des filles-fleurs aux amples chœurs des chevaliers. Ces derniers en particulier tendent à rappeler en quoi l’opéra de Wagner tient de l’oratorio.

Les artistes

Parsifal : Simon O’Neill
Amfortas : Brian Mulligan
Titurel : Reinhard Hagen
Gurnemanz : Kwangchul Youn
Klingsor : Falk Struckmann
Kundry : Marina Prudenskaya
Erster Gralsritter : Neal Cooper
Zweiter Gralsritter : William Thomas 
Vier Knappen : Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Tobias Westman, Maciej Kwaśnikowski
Klingsors Zaubermädchen : Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Claudia Huckle
Eine Altstimme aus der Höhe : Claudia Huckle

 

Orchestre  et chœurs de l’Opéra national de Paris (cheffe des choeurs Ching-Lien Wu), dir. Simone Young

Mise en scène : Richard Jones
Décors et costumes : ULTZ
Lumières : Mimi Jordan Sherin
Chorégraphie : Lucie Burge

Le programme

Parsifal

Festival scénique sacré en trois actes de Richard Wagner, livret du compositeur, créé à Bayreuth le 26 juillet 1882

Opéra national de Paris Bastille, représentation du 24 mai 2022