Opéra Bastille, Le Barbier de Séville
Reprise de la production bien connue de Damiano Michieletto, avec une distribution de qualité… et un ténor en état de grâce !
Figaro ou Almaviva ?
Un ténor en état de grâce
Il est connu que, le soir de la création romaine, Rossini et son librettiste, Sterbini, avaient remplacé le titre de leur source française par Almaviva, o sia l’inutil precauzione, vraisemblablement afin d’éviter la comparaison avec Paisiello et peut-être Petrosellini. Mettant ainsi l’accent sur le ténor en tant que rôle-titre, les auteurs ne faisaient qu’officialiser la suprématie de leur interprète, Manuel Garcia, sur ses acolytes. Force est de constater que, à ce stade de sa carrière, René Barbera s’accommode très bien de cette supériorité, livrant au public parisien un comte de grande classe, faisant état d’un superbe legato dès son air de présentation, d’une diction superlative, qui ressort tout particulièrement dans la romance du premier acte, irrévérencieux à souhait dans le finale central, souverain dans son dernier air, y compris dans l’éblouissante cabalette. Il retrouve ce soir la production qu’il avait inaugurée en septembre-octobre 2014, puis reprise à l’hiver 2018.
Une distribution de qualité
Cependant, cette prépondérance ne nuit nullement aux autres chanteurs qui, par ailleurs, ne sont pas du tout en reste. De Figaro, Andrzej Filończyk a l’aisance scénique et à la fois une ligne belcantiste à toute épreuve. Dès lors, son duo avec Almaviva n’en apparaît que plus brillant, les deux interprètes, d’une complicité sans faille, étalant une projection insolente. Déjà annoncé dans ce rôle à l’hiver 2020, le baryton polonais s’était vu annuler ses représentations. Il n’est nul besoin de rappeler, qu’avant la pandémie, l’Opéra national de Paris avait déjà souffert du chamboulement du calendrier à cause d’une série de grèves réitérées. Rosina contralto, Aigul Akhmetshina campe une pupille à l’autorité assumée, notamment nourrie par un grave envoûtant, à l’agilité époustouflante et aux vocalises bien assurées. Elle porte ainsi à l’incandescence son duo avec le barbier et le trio de l’acte II est un véritable moment de pure extase. Après avoir joué ce personnage à Zurich en janvier 2021, elle fait maintenant son entrée sur la première scène opératique nationale par la grande porte.
Aussi à ses débuts dans la maison, Renato Girolami est un Bartolo désopilant et il connaît son tuteur sur le bout des doigts, pour l’avoir sans cesse incarné depuis une bonne dizaine d’années, surtout dans les pays germanophones. Il impressionne singulièrement par un chant syllabique saisissant, surtout dans l’allegro vivace de son air de l’acte I. Basilio idiomatique d’Alex Esposito et Berta scéniquement impayable de Katherine Broderick, occupant l’espace tout le long de la soirée, pour aboutir à une aria da sorbetto de l’acte II de bonne facture, par ailleurs bien intégrée à l’ensemble de la production.
Des interlocuteurs bien rodés
Sans être un habitué de l’Opéra, Roberto Abbado n’est pas à son premier essai dans ses murs pour y avoir dirigé Lucia di Lammermoor au printemps 1995 et La donna del lago en juin-juillet 2010, à Garnier. Sa baguette experte se met alors au service d’une ouverture impeccable, d’où ressortent tout particulièrement des vents tout aussi prodigieux que dans l’orage.
Damiano Michieletto est à l’honneur à Paris en ce printemps 2022, où il a créé Giulio Cesare in Egitto de Haendel au Théâtre des Champs-Élysées en mai dernier. Sa conception est bien connue du public de la capitale et pas seulement, depuis la production de Genève de 2008. Sauf erreur, il s’agit maintenant de la cinquième série de représentations de cette réalisation. Il est donc superflu de s’appesantir sur cette Séville à la Almodovar dont on retient néanmoins l’édification d’un mur sur le balcon de chez Don Bartolo, de manière à souligner davantage, s’il en était besoin, l’inutilité de bien des précautions, la distribution de journaux à scandale pendant l’air de la calomnie, le rassemblement de la foule sous les fenêtres du vieux barbon, lorsque font irruption les gardes, dans une sorte de théâtre dans le théâtre, auquel participe bien évidemment le chœur, secondé par le décor tournant au rythme effréné du concertato, le tourne-disque qui est censé émettre les notes nostalgiques de cet air démodé que chantait jadis Cafariello, ou encore les habitants de l’immeuble se hâtant de rentrer leur linge à l’annonce de l’averse. Et, pour l’anecdote, l’affiche de Johnny Depp, maintenant réhabilité, dans la chambre de Rosina… Mais ce n’est là que le hasard du calendrier, bien évidemment…
Une petite réflexion
S’agissant d’un opéra italien tiré d’une source française, l’actualité opératique nous inspire une brève considération allant au-delà du spectacle de ce soir. Faisant le compte rendu de Dangerous Liaisons, une sorte de pastiche tiré du roman épistolaire de Choderlos de Laclos, sur la musique de Vivaldi, agrémentée par le compositeur contemporain Vanni Moretto, un confrère de la presse écrite concluait en émettant le vœu d’entendre l’œuvre bientôt en France mais dans des dialogues traduits, arguant qu’il serait difficile de concevoir les personnages s’exprimer autrement. C’est renier quelque peu l’histoire de l’opéra lui-même. Souhaiterions-nous le retour de ce temps révolu où les opéras étaient donnés dans la traduction de la langue du pays dans lequel ils étaient représentés ? Il barbiere di Siviglia en français sous le couvert de Beaumarchais ? Encore que l’action se déroule en Andalousie… Que dire alors de La traviata ou de La bohème pour ne prendre que des exemples du grand répertoire ? D’Andrea Chénier et d’Adriana Lecouvreur ? L’Euridice de Peri et une grande partie du répertoire des deux premiers siècles en grec ancien ? L’Armide de Lully, puis de Gluck, en italien, puisque tirée du Tasse ? Norma donnant la réplique en gaélique à Pollione qui lui répondrait en latin ? Et pourtant, le propre de l’opéra est de parler à toutes les cultures, indépendamment de la langue dans laquelle il est chanté… il aurait suffi de voir le public de ce soir, par ailleurs très jeune, pour comprendre sa portée universelle et sans frontières…
Nous vivons une drôle d’époque, pour utiliser un euphémisme, où les nationalismes reprennent le dessus, du reste pas que dans des contrées reculées. Que penserait notre confrère si nous lui proposions un Faust ou un Werther en allemand ou, pire, une Carmen en espagnol, le titre de Bizet n’ayant que des personnages et des décors ibériques, mais pas la source littéraire ? Il serait bon de laisser la musique, et l’opéra, en dehors de tout cela, dernier havre de paix… « Ecco che fa un’Inutil precauzione ».
Il conte d’Almaviva : René Barbera
Bartolo : Renato Girolami
Rosina : Aigul Akhmetshina
Figaro : Andrzej Filończyk
Basilio : Alex Esposito
Berta : Katherine Broderick
Fiorello : Armando Noguera
Un ufficiale : Christian Rodrigue Moungoungou
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Roberto Abbado
Mise en scène : Damiano Michieletto
Il barbiere di Siviglia
Opera buffa en deux actes de Gioachino Rossini, livret de Cesare Sterbini d’après Beaumarchais, créé au Teatro Argentina de Rome le 20 février 1816.
Opéra Bastille, samedi 4 février 2022
1 commentaire
Come sempre grazie prof. Faverzani della presentazione di un’opera che, se « vista » con occhi speciali, dona sempre nuove emozioni!
Concordo sul lasciare l’opera riposare sul « pensiero » del suo autore che, di sicuro, l’ha amata anche nella sua possibile imperfezione! Inutile precauzione è cercare di migliorare quello che non si può, altrimenti avremmo altra cosa! E noi melomani non vogliamo un’altra cosa! Vogliamo Gioacchino! Per me, Il barbiere, è ancora quella rappresentazione in cui apparve sparuto un gatto che faticava a trovare l’uscita; suscitò tante risate, tanta gioia nel tentativo di rovinare un giovane troppo promettente! Il barbiere, un monumento all’opera, all’italianità che riesce a risolvere i problemi improvvisi, ai gatti che possono miagolare, o soffiare a più non posso ma che, grazie a Rossini, non raggiungeranno mai le stelle!