Réjouissante reprise de la Platée de Rameau au Palais Garnier
Emmenée par une distribution de très grande qualité, cette reprise de la mise en scène endiablée de Laurent Pelly réjouira les sceptiques les plus rebelles.
Il est rare de sortir d’une salle d’opéra aussi revigoré que je le fus vendredi dernier après avoir assisté, que dis-je, vibré à la première de la reprise de cette Platée de Rameau, prêt à affronter de manière équanime et la chaleur sous laquelle suffoquait la capitale (pauvres chanteurs et danseurs !) et le long trajet vers ma banlieue royale où le chef d’œuvre comique de Rameau fut créé en 1745. Rendons ici hommage à Laurent Pelly qui a su inscrire dans sa mise en scène les décalages subtils et burlesques du livret et retrouver l’esprit du Virgile travesti du poète Scarron, ancêtre littéraire de nos opéras-bouffes. Jamais vulgaire, ni appuyée, avec ses décors inventifs et élégants, elle relève facilement le défi que représente l’étrange entreprise de faire rire les honnêtes gens, dixit Molière. Le Prologue de Pelly, ambiance Cinema Paradiso et années 1950, aura peut-être intrigué certains par son absence notable de références à la mythologie mais il sert surtout, en faisant des acteurs sur scène les spectateurs de ceux de la salle, à instaurer une complicité avec le public et à souligner l’universalité du thème de cette nymphe ridicule qui se croit aimée du plus grand des dieux. Ce faisant, comme en faisant dialoguer Julie Fuchs et Marc Minkowski par-dessus la fosse d’orchestre, il fait sauter le quatrième mur du théâtre et renforce cette complicité. Vieux stratagème hérité du Baroque, le spectacle dans le spectacle a encore de beaux jours devant lui.
Rendons aussi hommage à la chorégraphe Laura Scozzi et aux costumes de Laurent Pelly pour animer le plus possible ces ballets, parfois interminables, qui obéissent aux règles du genre comédie-ballet, mais qui ici font partie de l’action, suivant le principe bien compris du musical américain. Certains sont hilarants comme ces cygnes grotesques échappés du Swan Lake de Matthew Bourne qui entourent la Folie. D’autres sont plus poétiques, comme ces Aquilons en béret basque et bas à rayures que bannit Jupiter. J’avoue que, comme Platée elle-même, je m’impatientais un peu au troisième acte en attendant la déconfiture promise à la fiancée bernée. Soulignons enfin le rythme soutenu dans lequel s’inscrit tout le spectacle dont le mot d’ordre semble « Enchainez ! Pas de blanc » et la précision de tous dans l’exécution des gags qui demande une immense concentration. Dommage que certains spectateurs viennent à Garnier en bermuda et vieux T-shirt, (c’est cool !) boivent leur eau minérale et mangent leurs macarons dans la salle comme du popcorn au cinéma. Se rendent-ils comptent de la prise de risque des acteurs de toute représentation lyrique ? « Mes amis le respect s’en va ! — Que pouvons-nous faire à cela ? » Si au moins leur plumage était en accord avec les costumes de scène…
Une très belle distribution
Saluons enfin, last but not least, la troupe des chanteurs aux grands talents d’acteurs. Quels trésors d’énergie ne déploient-ils pas ! Diction quasi parfaite, maîtrise et grâce dans l’exécution de leurs ornements, timbres ronds et chauds à peine soutenus par l’orchestre (pas de doublage de voix chez Rameau), un plateau vocal d’une grande homogénéité, une distribution idéale avec des habitués du Baroque, de Rameau comme du classique ou du contemporain. Jean Teitgen (Jupiter) aux graves méphistophéliques, et les Ramistes Nahuel di Pierro (Cithéron) et Marc Mauillon (Momus) offraient une large palette de voix graves de timbres et de couleurs diverses. Autre Ramiste, Reinoud van Mechelen, sémillant Mercure, confirmait sa maîtrise des rôles hautes-contre à la française. Chez les dames, Tamara Bounazou prêtait son timbre piquant de soubrette à l’Amour et Clarine tandis qu’Adriana Bignani-Lesca (Junon), au timbre aussi velouté que sa robe, endossait dignement le rôle de l’épouse trop souvent bafouée. Julie Fuchs, (Thalie | la Folie), visiblement attendue par tous ses admirateurs, a fait preuve d’un abattage époustouflant et d’une drôlerie digne de la future Zerbinetta qui sommeille en elle, rivalisant de cocasserie avec la Platée de Lawrence Brownlee, stupéfiant dans une performance d’acteur à la vaste palette d’émotions, tissant dans une voix à la ligne toujours sûre et au timbre séduisant, suffisance, espoir, joie et douleur. Quel courage d’affronter ce rôle écrasant par une chaleur pareille, car si le public, du moins celui de l’orchestre, était relativement à la fraîche, chanteurs et danseurs se démenaient sous le gril des projecteurs. Je n’oublie pas Marc Minkowksi, soulignant là quelque trait d’orchestre spirituel ou se démenant comme un beau diable à la tête de ses Musiciens du Louvre pour nous faire vivre l’énergie de cette ouverture ou de ces ballets parodiques, ni les Chœurs de l’Opéra national de Paris préparés par Ching-Lien Wu. Dommage que la politique actuelle, Covid oblige, soit de limiter les applaudissements. Ce spectacle en valait bien d’autres. Courez-y.
Platée : Lawrence Brownlee
Thalie | la Folie : Julie Fuchs
Un satyre | Cithéron : Nahuel di Pierro
Momus : Marc Mauillon
Mercure : Reinoud van Mechelen
L’Amour | Clarine : Tamara Bounazou
Jupiter : Jean Teitgen
Junon : Adriana Bignani-Lesca
Chœurs de l’Opéra national de Paris (cheffe de chœur Ching-Lien), Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowksi
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Décors : Chantal Thomas
Chorégraphie : Laura Scozzi
Platée
Comédie lyrique (ballet bouffon) en un prologue et trois actes, livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville (d’après Jacques Autreau), créé dans la Grande Écurie de Versailles, le 31 mars 1745 à Versailles.
Palais Garnier (Paris), représentation du 17 juin 2022