Le nouveau RIGOLETTO de la Scala

La Scala propose une nouvelle production de Rigoletto, tournant le dos à la tradition (pas de palais ducal du XVIe siècle sur scène !) et proposant une relecture de l’œuvre prenant place dans un monde contemporain particulièrement noir et sordide…

C’est Mario Martone qui signe la mise en scène, laquelle prend appui sur un découpage quasi cinématographique, très moderne, permettant de clairement différencier l’univers  brillant et luxueux du duc, un monde où les nouveaux riches et les jeunes entrepreneurs organisent des fêtes au cours desquelles on drogue les filles afin de les transformer en poupées sexuelles (difficile, pour un spectateur milanais, de ne pas voir ici une allusion à l’affaire de la « Terrazza sentimento », lieu milanais où étaient jusqu’à il n’y a guère organisées des fêtes privées et où eurent lieu divers scandales sexuels ayant impliqué son propriétaire), et le monde du petit peuple, caractérisé par la pauvreté et la misère, auquel appartient Rigoletto. Pour rendre cette opposition visible, Mario Martone utilise une structure tournante à deux visages mais qui, in fine, semblent  révéler une unique et triste condition humaine, dominée par la misère de sentiments crus, égoïstes, serviles, chacun étant assujetti à / corrompu par un seul Dieu : l’Argent.

Dans cet univers sordide, Gilda seule fait preuve de pureté et parvient à s’élever au-dessus de la fange. Elle est interprétée par l’excellente Nadine Sierra dont la voix douce, ambrée, caressante (ses points forts résident dans ses superbes piani et pianissimi), à l’émission ronde – comme l’exige le style belcantiste – parvient à exprimer, avec une belle maîtrise et une grande subtilité dans le phrasé (porté par un souffle très long), toutes les émotions et les sentiments de cette jeune fille amoureuse, combattive, douce, passionnée, respectueuse de son père et prête à sacrifier sa vie pour protéger et sauver son duc bien-aimé (quand bien même elle s’aperçoit que ce dernier est un libertin au cœur sec méprisant toutes femmes dont il fait la conquête). Tout au plus pourrait-on regretter une forme de retenue sur certaines notes aiguës, quand l’écriture vocale mais aussi et l’évolution dramatique du personnage nécessiteraient une émission plus franche à certains moments stratégiques de l’ouvrage.  

Le personnage du duc de Mantoue est interprété par le ténor Piero Pretti, lequel possède une voix adaptée au rôle, avec un timbre suffisamment « impertinent » et dur pour rendre pleinement justice au caractère du personnage. Cependant, l’émission – et par conséquent la ligne de chant – ne sont pas toujours parfaitement homogènes : certaines notes, surtout dans le registre inférieur, paraissent insuffisamment soutenues (comme dans « Parmi veder le lagrime ») ; notons par ailleurs que le ténor s’est parfois trouvé en difficulté rythmiquement, comme dans la cabalette « Possente Amor »… Peut-être est-ce dû à la direction orchestrale, qui fait alterner certains passages trop rapides avec d’autres trop lents ? Il s’agit peut-être d’un choix du jeune chef d’orchestre Michele Gamba, mais au cours de l’opéra, à plusieurs reprises, entre la fosse et la scène, certains petits décalages ont été entendus…

Nous en arrivons au protagoniste du rôle-titre : Rigoletto, interprété par le baryton mongol Amartuvshin Enkhbat. Ce chanteur possède de très beaux moyens vocaux en termes de couleur de timbre et de ligne de chant. En revanche, le phrasé reste perfectible et doit être varié, notamment dans les récitatifs (qui sonnent parfois dans un style non strictement verdien mais presque déjà vériste…), afin de ne pas engendrer une forme de monotonie. Notons également, pour ce qui concerne son émission vocale, que certains sons de stentor sont parfois suivis d’autres, moins soutenus et assez « ouverts » dès lors que le baryton s’aventure dans le registre aigu…

Au total, la soirée est un succès, le public étant venu particulièrement nombreux pour applaudir cette œuvre phare du répertoire.

Les artistes

Rigoletto : Amartuvshin Enkhbat
Le Duc de Mantoue : Piero Pretti
Sparafucile : Gianluca Buratto
Monterone : Fabrizio Beggi
Marullo : Costantino Finucci
Matteo Borsa : Francesco Pittari
Ceprano : Andrea Pellegrini
Un page : Mara Gaudenzi
Gilda : Nadine Sierra
Maddalena : Marina Viotti
Giovanna : Anna Malavasi
La Comtesse : Rosalia Cid

Chœurs et Orchestre de la Scala de Milan, dir. Michele Gamba

Mise en scène : Mario Martone
Décors : Margherita Palli
Costumes : Ursula Patzak

Le programme

Rigoletto

Opéra en trois actes  de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo, créé le 11 mars 1851 à Venise (La Fenice). 

Représentations du lundi 27 juin 2022, Scala de Milan