Chorégies d’Orange : un Elisir d’amore réjouissant !
Pour son édition 2022, les Chorégies d’Orange ont mis à l’affiche, outre divers concerts et le ballet Giselle, deux opéras : L’ Elisir d’amore de Gaetano Donizetti pour le mois de juillet et La Gioconda d’Amilcare Ponchielli pour le mois d’août. Si le second de ces ouvrages se situe par sa dimension dramatique et vocale en parfaite adéquation avec l’ampleur du théâtre antique à l’instar de « grosses machines » telles qu’Aïda, Turandot, Nabucco ou Samson et Dalila, L’Elisir d’amore (tout comme d’ailleurs Il Barbiere di Siviglia représenté in loco en 2018) paraît, a priori, surdimensionné en pareil lieu, le caractère intimiste de l’œuvre comme sa fine écriture belcantiste semblant davantage correspondre aux dimensions d’une salle fermée que d’un tel vaisseau de plein air.
Pourtant, la mise en scène d’Adriano Sinivia pour cet ouvrage (créée à l’Opéra de Lausanne en octobre 2012 avec des reprises à l’Opéra de Monte-Carlo en février 2014, à l’Opéra de Tours en mars 2018 et à l’Opéra de Bordeaux en avril 2022) s’accommode parfaitement, en la circonstance, de la vaste scène d’Orange avec les impressionnants éléments décoratifs de Cristian Taraborrelli qui occupent tout l’espace : gigantesque roue de tracteur, épis de blé et coquelicots… Le metteur en scène vénitien nous invite ainsi à tourner les pages d’un somptueux livre d’images bucoliques où des lilliputiens auraient émigré dans le pays des géants avec un malicieux clin d’œil aux Minimoys de Luc Besson. Tout l’espace scénique est entièrement occupé pour cette délirante fantaisie où surgissent de drôles de machines : boite de conserve en forme de tank pour les conscrits de Belcore ou pouvant être utilisée par le docteur Dulcamara pour faire une entrée remarquée, on retrouve plus tard ce curieux accessoire autour d’une énorme bouteille de vin propulsée par un ventilateur sous laquelle est installé le rideau d’un mini-théâtre ambulant s’ouvrant sur le flacon précieux. Les costumes d’Enzo Iorio séduisent, pour leur part, par leur originalité comme les suggestives lumières de Patrick Méeüs. Tout au long de l’ouvrage, des projections vidéo (Davide Pellizoni) nous font découvrir à travers deux imposantes fenêtres un chat à l’affut d’oiseaux et libellules, tandis que se faufilent au raz du sol des rats et une salamandre. C’est dire que l’attention du public est sans cesse sollicitée par cette faune/flore foisonnante et ces mini-personnages. Au deuxième acte, au centre du plateau, un manège tourne avec deux chevaux de bois empruntés d’abord par les enfants (qui sont en quelque sorte les clones de Nemorino et d’Adina) lesquels laissent ensuite place à une séquence particulièrement cocasse où Belcore tente de convaincre Nemorino de s’engager comme soldat. Le manège se mettant à tourner à l’envers finit par déséquilibrer le présomptueux sergent qui n’en peut mais. Et on pourrait citer encore une multiplicité d’exemples de ce type tant cette production sollicite de manière permanente l’œil du spectateur, d’autant que des acrobates exécutent divers numéros et offrent même pendant l’entracte une amusante et sonore pantomime… Pour tout ce peuple en miniature dont les habitants ne cessent de grouiller à chaque instant, Adriano Sinivia a créé une sorte de chorégraphie entrainant dans un tourbillon effréné l’ensemble des protagonistes et du chœur, le tout réglé au cordeau comme sa direction d’acteurs toujours extrêmement pertinente.
Bien entendu, aux Chorégies d’Orange, l’éternel compagnon de voyage est le vent ! Il n’a pas manqué d’être, en la circonstance, au rendez-vous, ce qui rend d’autant plus méritoire la prestation des chanteurs dans cet imposant vaisseau. Après l’avoir admirée à l’Opéra de Paris dans Violetta de La Traviata et Manon de Massenet, on a avec plaisir retrouvé la soprano Pretty Yende fêtée depuis un certain nombre d’années sur les scènes lyriques internationales. Le rôle d’Adina est parfaitement dans ses cordes et il émane de cette artiste un charme et une joie de jouer communicative. Elle sait à la fois égrener des suraigus cristallins tout en ayant une assise suffisante dans le médium pour rendre justice à des rôles belcantistes. On a particulièrement aimé les passages adagio où Adina exprime la véracité de ses sentiments envers Nemorino. Le jeune paysan naïf devait être incarné par le ténor René Barbera qui, souffrant, a dû annuler sa participation. Il a été remplacé, quasiment au pied levé, par le ténor sarde Francesco Demuro qui connaissait parfaitement le rôle et qui doit d’ailleurs le chanter à la rentrée à l’Opéra de Vienne. On est immédiatement frappé chez lui par la qualité de son phrasé et le soin qu’il sait conférer à son articulation, chaque syllabe étant percutante. Francesco Demuro – qui avait fait forte impression en 2019 à l’Opéra de Paris en chantant I Puritani de Bellini – maîtrise de bout en bout la partie vocale de Nemorino, avec un timbre parfaitement clair sans jamais être tenté d’élargir la voix qu’il circonscrit dans la tessiture de ténor lyrique, veillant à ne se départir à aucun moment de l’allègement qui sied dans pareille œuvre. Tous ses duos avec Adina, Belcore ou Dulcamara ont été parfaitement négociés et le comédien vaut le chanteur (mais ce compliment peut s’adresser également aux autres interprètes de la production). Bien évidemment, il était attendu à l’air célébrissime « Una furtiva lagrima » qu’il a même bissé (chose assez rare de nos jours) et où il a fait preuve de qualités afférentes au contrôle du souffle et à l’art de la demi-teinte. Ovationné en ces mêmes lieux, en 2018, dans Mefistofele, on a retrouvé avec un immense plaisir Erwin Schrott en Dulcamara mi-docteur mi-druide. On continue à saluer l’interprète uruguayen comme l’un des plus grands chanteurs de la planète et comédien éprouvé. Capable à chaque instant d’agrémenter son jeu d’une improvisation inattendue, il va de soi qu’il brûle les planches dans pareil emploi auquel il apporte sa faconde et son abattage exceptionnels. La découverte est venue de l’excellent Belcore incarné par le baryton polonais Andrzej Filończyk : belle prestance, voix sonore et parfaitement assurée dans le registre aigu. La distribution est complétée par l’éloquente Gianetta d’Anna Nalbandiants.
Il faut dire tout ce que le spectacle doit également à l’excellent Orchestre Philharmonique de Radio France sous la baguette d’une absolue précision de Giacomo Sagripanti qui, de surcroît, dirige sans partition ce qui lui permet de s’attacher avec un soin particulièrement scrupuleux aux chanteurs comme au chœur, qui réunissait en l’occurrence les phalanges de l’Opéra de Monte-Carlo et de l’Opéra Grand Avignon particulièrement méritantes tant sur le plan vocal que sur celui du théâtre et de la danse.
Le spectacle a été diffusé en direct sur France Musique et enregistré par Act4 Productions pour être retransmis le 22 juillet à 21H00 sur France 5.
Nemorino : Francesco Demuro
Adina : Pretty Yende
Belcore : Andrzej Filończyk
Dulcamara : Erwin Schrott
Giannetta : Anna Nalbandiants
Orchestre philharmonique de Radio France, Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte-Carlo, dir. Giacomo Sagripanti
Mise en scène : Adriano Sinivia
Décors et vidéo : Cristian Taraborrelli
Costumes : Enzo Iorio
Éclairages : Patrick Méeüs
Récitatifs et études musicales : Kira Parfeevets
Créateur d’environnement vidéo : Davide Pellizoni
Coordination chorale : Stefano Visconti
Assistant chef de chœur / pianiste : Aurelio Scotto
L’Elixir d’amour
Melodramma giocoso en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de Felice Romani, créé à Milan le 12 mai 1832.
Chrogéies d’Orange, représentation du vendredi 08 juillet 2022