Le Stadium de Vitrolles accueille une version avec haut-parleurs de la Symphonie n°2 « Résurrection » en ut mineur (1895) de Gustav Mahler, par les Chœurs et l’Orchestre de Paris dirigés par Esa-Pekka Salonen, Golda Schultz soprano, Marianne Crebassa alto, mise en scène de Romeo Castellucci.
© Nicolas Darbon
Les habitants de la région d’Aix-en-Provence connaissent bien ce bâtiment cubique gigantesque sur les contreforts de la ville voisine. Le Stadium de Vitrolles, par surcroît, surgit dans un vaste écrin de nature encore sauvage striée de ravines rouges qui dévalent sous le bleu du ciel. Personne ou presque n’y a jamais mis les pieds depuis la disparition de l’éphémère club de handball local et la décision de l’ancien maire Bruno Maigret de l’abandonner. Ce bunker géant « Le Quasimodo » de 5000 places, noirâtre et tagué, est resté une énigme jusqu’à ce jour où, ô surprise, le Festival d’Aix y installe un concert de musique romantique. Spectacle croustillant que ce public classieux en talons aiguilles et tenues de soirée au milieu des cailloux, au sortir d’un parking rock-n roll bordé de camps de roms, s’engouffrant dans un bouche d’entrée underground.
© Nicolas Darbon
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Un partenariat a été monté avec le festival d’Aix pour y donner la Symphonie « Résurrection ». Outre son titre, l’œuvre possède des dimensions monumentales et un scénario « à la Mahler » menant des ténèbres à la lumière. Les cinq mouvements durent près de 80 minutes, avec voix et chœur mixte ; l’orchestre démesuré contient, entre autres, 10 cors, 10 trompettes, 7 timbales, un orgue, 3 cloches… et même un groupe instrumental en coulisse.
Cette musique à programme en cinq mouvements pose des questions existentielles et finit par le Jugement dernier et la Résurrection. Esa-Pekka Salonen prend un tempo relativement lent, privilégiant la ductilité des matériaux thématiques ; il perd de cette fougue que l’on peut attendre du 1er thème, mais d’autres moments sont, au contraire, extrêmement intenses ; la superposition répétée des 7e de dominante et 7e majeures au 1er mouvement fomente par exemple un acide très corrosif. L’intérêt du lieu est également de permettre au public de surplomber et de saisir la subtilité ou la circularité des pupitres (dans le 3e mouvement par exemple).
La mise en scène frappe d’emblée : un plateau grand comme un stade rempli d’une boue épaisse sur laquelle passe un cheval blanc magnifique de puissance. Une personne arrive, puis toute une équipe, qui découvrent peu à peu des cadavres ; l’excavation d’un charnier durera toute l’œuvre, corps après corps – le principe est la multiplication –, avec des camionnettes floquées UNHCR montant sur scène, accompagnées d’une pelleteuse, sous l’objectif d’un caméraman. Les ouvertures vers l’extérieur justifient certaines symboliques. Ainsi, s’opposent nettement le statisme de la mise en scène minimaliste, et la richesse dramatique et chatoyante de la symphonie viennoise. Une telle redondance (sur le mode funéraire) peut être perçue comme une contradiction (avec les moments heureux, l’élan vers la lumière de la musique). Les couleurs grises-noires font échos aux collines du lieu, sa mort artistique, et rappellent les constructions de Rudy Riciotti (le Pavillon noir à Aix, le Mucem à Marseille…) ; et le sujet des réfugiés et de la guerre sale est bien sûr dans toute les consciences.
La mezzo française Marianne Crebassa possède une voix très timbrée, veloutée, ronde mais aussi claire et homogène, avec un bonne diction ; une technique sans reproche, au service d’une expression intense. Avec autant de talent, mais peut-être un peu plus de singularité vocale, la soprano lyrique sud-africaine Golda Schultz possède un timbre chaud, brillant avec des aigus aisés et magnifiquement timbrés. Des doublures instrumentales, par exemple avec la trompette solo, sont admirables. Le chœur est scindé en deux, les femmes à gauche, les hommes à droite, avec parfois des effets de lointain. Toute les parties vocales servent le texte à en donner des frissons. Bien que l’Orchestre de Paris ait joué la veille l’opéra Salomé (nous pensons à l’endurance des vents…), aucune anicroche n’est à déplorer. Bien au contraire, il démontre qu’il est l’un des meilleurs au monde.
Les saluts des artistes... et les six haut-parleurs. (© Nicolas Darbon)
Mais peut-on réellement l’affirmer ? Qu’entend vraiment le public ? Lui offre-t-on les sonorités de cet orchestre ? S’il vient au concert classique, c’est justement pour y trouver autre chose que ce qu’il trouve dans les médias et les productions de musiques dites actuelles. Le festival d’Aix tombe dans la facilité en amplifiant l’orchestre : six gigantesques HP trônent au niveau des auditeurs ; placés en hauteur, ils diffusent, délocalisent, et, même très peu, transforment, accentuent, arrangent « virtuellement » les sons émis par les instruments, qu’on le veuille ou non. Ceux-ci sont certes situés dans une sorte de fosse au moins deux fois plus grande qu’à la normale, rassemblant toute la phalange ; les cordes pourraient être couvertes par l’harmonie… On entend hélas des sons ultra graves résonnant à la façon de guitares basses saturées de décibels, l’édifice tremble des maxi grosses caisses… Va-t-on vers des concerts de classique-punk comme il est de la pop-philosophie ? L’équation entre exigence artistique et réalité acoustique est difficile à résoudre ; en tout cas, le public a fortement apprécié ce concert choc et a chaudement applaudi.
Soprano : Golda Schultz
Alto : Marianne Crebassa
Acteurs et actrices : Maïlys Castets, Simone Gatti, Michelle Salvatore, Raphaël Sawadogo-Mas
Chœur de l’Orchestre de Paris, Jeune Chœur de Paris, Orchestre de Paris, dir. Esa-Pekka Salonen
Mise en scène, décors, costumes, lumière : Romeo Castellucci
Symphonie n°2 Résurrection en ut mineur pour soprano, alto, chœur mixte et orchestre en 5 mouvements de Gustav Mahler, créée le 13 décembre 1895 à Berlin.
Représentation du 10 juillet 2022, Stadium de Vitrolles, Festival d’Aix-en-Provence
1 commentaire
Je serais beaucoup plus sévère que Nicolas Darbon. Castellucci ne provoque même plus, il est juste dégoûtant. Après tout c’est un créneau… Quant à la sonorisation, j’imaginais qu’elle était rendue indispensable par la configuration du lieu. Absolument pas. La jauge doit être à 1000/15000 spectateurs maxi, rien à voir avec Bercy !!! On agrandit la fosse pour sortir les cordes qui sont enterrées, on sollicite un acousticien pour gérer le plafond et c’est bon. Au lieu de ça nous avons eu un son infâme s’apparentant à une innommable bouillie que n’importe quel rappeur refuserait ! Qu’un artiste aussi exigeant qu’Esa-Pekka Salonen ait accepté de participer à ce naufrage total est parfaitement incompréhensible