Situé à une vingtaine de kilomètres de Nice entre Carros et Saint-Laurent-du-Var sous la chaîne des Baous, Gattières ne pourrait être que l’un des pittoresques villages perchés dominant la vallée du Var dans le parc naturel régional des Préalpes d’Azur. Et pourtant cette commune typique avec ses rues étroites, ses maisons en pierres de taille et ses places au charme attachant d’où émane la douceur de vivre est beaucoup plus que cela : depuis 1989, elle organise sous la dénomination « Opus » un festival d’art lyrique dans un lieu de plein air d’une capacité d’environ 250 places (avec 4 ou 5 représentations). Des artistes éminents comme – entre autres – Stuart Maunder metteur en scène devenu directeur de l’Opéra de Sidney, Alain Garichot autre metteur en scène réputé, attaché de longues années à la Comédie Française et à l’Opéra de Paris, les barytons Franck Ferrari et Jonathan Veira, se sont produits à Gattières. 33 années de Festival – grâce à la ténacité de la municipalité complètement impliquée, d’une équipe extrêmement motivée (sous la présidence actuelle d’Elisabeth Blanc) et mobilisée sans relâche pour assurer pendant toutes ces décennies cette manifestation – constituent évidemment une performance qu’il convient de saluer pour un village de 4.000 habitants !
Après les succès enregistrés avec Rigoletto en 2018 (Pierre-Yves Pruvot et Amélie Robins) La Périchole en 2019 (Marie Kalinine) et La Fille du Régiment en 2021 (Jeanne Crousaud), Cavalleria Rusticana de Mascagni est à l’affiche de l’édition 2022 avec l’une des étoiles françaises actuelles de l’art lyrique : Catherine Hunold, spécialiste du répertoire wagnérien (Isolde dans Tristan und Isolde, Sieglinde et Brünnhilde dans Die Walküre, Ortrud dans Lohengrin, Kundry dans Parsifal, Senta dans Le Vaisseau Fantôme) mais qui s’est également illustrée avec Ariadne dans Ariadne auf Naxos, Marie dans Wozzeck, Kostelnička dans Jenufa (récemment à Toulouse), tout en servant un large répertoire français : La Damnation de Faust de Berlioz, La Nonne Sanglante de Gounod , Françoise de Rimini de Thomas, Le Mage et La Vierge de Massenet, Les Barbares de Saint-Saëns, Dialogues des Carmélites de Poulenc, Bérénice de Magnard, Pénélope de Fauré, Sigurd de Reyer, Ariane et Barbe Bleue de Dukas…Catherine Hunold a reçu le 13 juin dernier le prix de la personnalité musicale de l’année, décerné par le Syndicat de la critique Théâtre, Musique et Danse. Saluons le tour de force de l’Opus Opéra de Gattières d’avoir réussi à se l’attacher pour sa prise de rôle en Santuzza ! La cantatrice l’aborde avec l’investissement dramatique qui sied et que l’on attend dans pareil emploi. La voix puissante s’appuie sur une tessiture longue avec des aigus percutants et des graves sonores (puisant dans les ressources de la fréquentation des Lady Macbeth ou Leonora de La Forza del Destino).
À ses côtés, en Turiddu : Luca Lombardo. Comment ne pas être admiratif devant les qualités du ténor marseillais qui, après presque quarante années de carrière, a conservé cette voix naturelle jamais forcée, toujours ample et qui lui permet dans les éclats du duo « Tu qui, Santuzza » de faire, dans la vaillance, jeu égal avec Catherine Hunold ? Un rôle qu’il maîtrise de manière confondante de bout en bout et qu’il avait, à ses débuts, chanté 18 fois à l’Opéra de Sidney sous la direction de Carlo Felice Cillario. Il est vrai que son parcours est éloquent avec une multitude d’engagements dans les théâtres les plus célèbres de la planète (avec notamment plus de 200 Don José dans Carmen !) et de prestigieux partenaires comme Riccardo Muti, Edita Gruberova, Mariella Devia… pour n’en citer que quelques-uns. Nous avions gardé de la mezzo-soprano Svetlana Lifar l’excellent souvenir de sa Pauline de La Dame de Pique à l’Opéra de Monte-Carlo (2009) ainsi que de sa Suzuki de Madame Butterfly à l’Opéra de Nice (2013). Les ressources de la chanteuse comme de la comédienne permettent de faire de Mamma Lucia une protagoniste de premier plan. Richard Rittelmann insuffle à l’implacable Alfio la véhémence, l’incisivité, le mordant du charretier trompé et le duo avec Santuzza, qui conclut la première partie de l’ouvrage, est un moment intense de cette production. La séduisante Laeticia Goepfert sait parfaitement mettre en valeur le personnage de la frivole Lola, tant par son abattage scénique que par son bagage de musicienne accomplie.
Avec à son actif quelque soixante chorégraphies en Italie et en Russie, une quarantaine d’opérettes et une quinzaine de comédies musicales en Italie et en France, notamment à l’Opéra de Nice et au Théâtre Musical de Lyon, Serge Manguette met à contribution sa solide expérience dans ce Cavalleria Rusticana où les tons prédominants noir, gris et blanc des costumes ne sont pas sans rappeler la grande époque du cinéma néoréaliste italien de Vittorio de Sica ou Roberto Rossellini. Profitant des multiples plans offerts par le théâtre de plein air, Serge Manguette (bien secondé par les lumières de Bernard Barbero, chef éclairagiste de l’Opéra de Nice) les utilise à plein et avec discernement : frondaisons, muret en forme de descente vers la place, plateau de scène, église. La maison au lointain devient la demeure d’Alfio livrant l’image de Lola enveloppée d’un drap blanc, après son étreinte nocturne avec Turiddu. Plus tard, elle étendra les draps comme pour effacer les traces d’une nuit d’amour adultère et à l’annonce de la mort de Turiddu, c’est un immense tissu rouge, symbole du sang versé, sur lequel se refermeront inexorablement les volets pour clore les affres d’une implacable tragédie. Tout est ici pensé, soigné, précis, évocateur. Utilisant une réduction écrite par Mascagni lui-même, Bruno Membrey dirige avec autant de soins que d’efficacité la formation orchestrale qui accompagne, lors du célèbre intermezzo, l’« Ave Maria » de Mascagni chanté par Svetlana Lifar. Une mention spéciale pour le chœur sous la houlette de Matthieu Peyrègne. Les voix juvéniles qui composent cette phalange apportent à l’oeuvre une fraicheur appréciable.
La deuxième partie est consacrée à une série de mélodies et chansons italiennes, orchestrées par les soins de Bruno Membrey et mises en scène et chorégraphiées pour les interprètes et le chœur par Serge Manguette. Saisissant contraste avec ce qui précède, car la fête est ici joyeuse et débridée chacun s’en donnant à cœur joie. Si l’on reste dans le vérisme avec « Serenata » (Mascagni) interprétée par Catherine Hunold et « Mattinata » (Leoncavallo) par Svetlana Lifar, on se livre sans réserve au plaisir avec « La Danza » (Rossini) par Laeticia Goepfert ainsi qu’avec les mélodies napolitaines « Funiculì Funiculà » (Denza) par Luca Lombardo, « Core’ngrato » (Cardillo) par Catherine Hunold, « Dicitencello Vuje » (Falvo) par Luca Lombardo et quelques chansons italiennes capiteuses comme « Mamma » (Bixio) par Laeticia Goepfert, « Non ti scordar di me » (De Curtis) par Svetlana Lifar, « Parla piu piano » (Nino Rota) par Richard Rittelmann, avec accompagnement humoristique à la clavietta par Bruno Membrey, « Con te partirò » (Sartori) par Richard Rittelmann et en bis, avec toute la troupe, « Volare » (Modugno), réglé au cordeau à la manière d’un final de comédie musicale puis l’incontournable « O sole mio » (Di Capua).
Une soirée à la gloire du chant italien sous tous ses aspects.
Santuzza : Catherine Hunold
Mamma Lucia : Svetlana Lifar
Turiddu : Luca Lombardo
Alfio : Richard Rittelmann
Lola : Laeticia Goepfert
Formation orchestrale et chœurs (dir. Matthieu Peyrègne), dir. Bruno Membrey
Mise en scène : Serge Manguette
Lumières : Bernard Barbero
Cavalleria Rusticana
Opéra en 1 acte de Pietro Mascagni, livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci d’après la nouvelle de Giovanni Verga, créé au Teatro Costanzi, Rome, le 17 mai 1890
Chanson italiennes (Mascagni, Leoncavallo, Rossini, Denza, Cardillo, Falvo, Bixio, De Curtis, Rota, Sartori, Modugna, Di Capua)
Festival Opus Opera de Gattières, représentation du dimanche 17 juillet 2022