Le festival Rossini de Bad Wildbad propose la rare Adina dans lequel triomphe Sara Blanch
Après la magie noire d’Armida et le tragique intense d’Ermione, le festival de Bad Wildbad a proposé une pause rafraîchissante avec la charmante Adina, œuvre de commande composée par Rossini en 1818 à la demande du préfet de police de Lisbonne, créée en cette même ville huit ans plus tard seulement – pour disparaître pendant 135 ans avant d’être reprise à Sienne en 1963. Le livret, signé Gherardo Bevilacqua-Aldobrandini, n’est qu’une énième turquerie mettant en scène un couple d’amoureux, Adina et Selim, tentant d’échapper à un Calife ayant jeté son dévolu sur la jeune fille avant de s’apercevoir, in extremis, qu’il s’agit de sa propre fille. Les assez nombreux emprunts de cet opéra à d’autres ouvrages, de même que son intitulé (« farsa ») et sa courte durée (un peu plus d’une heure) expliquent sans doute l’indifférence dans laquelle il a longtemps été tenu, avant que d’intéressantes reprises, à Pesaro notamment (en 2018, avec Lisette Oropesa, Lévy Sekgapane et Vito Priante), ne permettent d’en redécouvrir les beautés. Au nombre de celles-ci, citons le duo entre Adina et le Calife (« Se non m’odi, o mio tesoro »), le trio « Oh qual notte orrenda è questa ! », rappelant d’assez près les tourbillonnants finales des premiers actes du Barbier ou de Cenerentola, et surtout la très belle scène que chante Adina lorsqu’elle croit que son bien aimé est mort (« Dove sono? Ancor respiro ? ») – une scène où la farce fait momentanément place aux accents on ne peut plus graves du registre serio. Signalons également que pour pallier l’absence d’une page (non composée par Rossini), Fabio Tranchida a eu l’idée d’insérer un extrait de La Schiava in Bagdad de Pacini entre le chœur « Vezzosa Adina » et le duo « Se non m’odi ». La progression dramatique gagne ainsi en fluidité, et musicalement la page de Pacini s’insère tout à fait naturellement dans la partition.
Dans l’adorable et minuscule Königliches Kurtheater, Jochen Schönleber a réglé un spectacle simple et efficace, faisant alterner quelques trouvailles amusantes (la floppée de cadeaux sous laquelle le Calife noie Adina au début de l’ouvrage), d’autres moins heureuses (les journalistes griffonnant des notes et prenant des photos pendant la scène finale, un procédé déjà vu maintes fois et finissant par devenir gênant quand il dure trop longtemps), mais enfin le spectacle se regarde agréablement et il faut bien reconnaître qu’il est assez difficile de faire original avec un canevas aussi rebattu !
Si la soirée est musicalement un succès, le mérite en revient peut-être avant tout à Luciano Acocella qui, à la tête d’un Chœur et d’un Orchestre Philharmoniques de Cracovie précis et alertes, propose une direction vive, légère, dynamique, qui épouse les contours de l’intrigue aussi bien dans ses aspects comiques que dans les couleurs plus sombres qui se font jour dans les scènes finales.
Vocalement, le plateau est un peu inégal, sans que personne démérite pour autant. Shi Zong est un amusant Mustafà ; mais si la ligne de chant paraît un peu plus fermement dessinée que dans son Astarotte d’Armida, la basse chinoise doit encore travailler sa prononciation de l’italien afin de rendre ses interventions plus idiomatiques. La voix d’Aaron Godfrey-Mayes est, quant à elle, bien projetée et le chant du jeune ténor britannique caractérise efficacement le personnage d’Ali. Dommage que de temps en temps la ligne de chant se déchire quelque peu, dans l’aigu forte notamment, produisant des effets expressifs peu compatibles avec l’esthétique belcantiste… Petits défauts qu’il devrait être possible de corriger aisément ! Après la bonne impression produite par César Arrieta en Ubaldo dans Armida, nous étions heureux de retrouver le jeune ténor vénézuélien dans le rôle plus conséquent de Selimo. Le timbre est toujours aussi joli et la ligne de chant soignée ; mais les vocalises sont encore un peu précautionneuses et le registre aigu doit gagner en fermeté et en assurance. Emmanuel Franco est un excellent Calife, au chant incisif (peut-être plus à l’aise, pour l’instant du moins, dans la virtuosité que dans le cantabile, qui peut encore gagner en suavité) et au jeu scénique plein d’assurance. Ce chanteur mexicain semble déjà prêt pour les premiers emplois de barytons rossiniens bouffes (Don Magnifico n’est pas très loin dans l’air d’entrée du Calife)… ou sérieux ! Enfin, Sara Blanch triomphe. Très remarquée récemment, notamment en Zerbinette d’Ariane à Naxos à Florence et, il y a presque un an, dans une éblouissante Fille du Régiment à Bergame, la jeune chanteuse espagnole est aujourd’hui devenue l’une sopranos coloratures les plus recherchées du moment. Le timbre, qui conserve une grande beauté sur toute la tessiture (tout juste entend-on parfois quelques notes, dans le médium, se réfugiant dans les joues…) présente une rondeur et une densité rares chez les sopranos légers. La virtuosité n’est jamais prise en défaut (éblouissante scène finale, qui rappelle un peu – y compris pour sa difficulté – celle de Matilde di Shabran), et l’expressivité est constante, faisant de cette remarquable prestation autre chose qu’une simple leçon de chant mécanique et bien huilée. Espérons que les futurs engagements de Sara Blanch la conduisent souvent sur les scènes françaises. Et bienheureux les Niçois qui pourront déjà l’applaudir en novembre prochain en Sonnambula !
Adina : Sara Blanch
Califo : Emmanuel Franco
Selimo : César Arrieta
Mustafà : Shi Zong
Ali : Aaron Godfrey Mayes
Philharmonischer Chor Krakau, Philharmonisches Orchester Krakau, dir. Luciano Acocella
Mise en scène : Jochen Schönleber
Costumes : Cennet Aydogan
Adina
Farsa semiseria de Gioachino Rossini, livret du marquis Gherardo Bevilacqua-Aldobrandini, créée le 22 juin 1826 au Teatro Nacional de São Carlos, à Lisbonne.
Représentation du dimanche 17 juillet 2022, Festival Rossini de Bad Wildbad.