Retour de La Cenerentola au Palais Garnier
Des éruptions, de la lave et des cendres…
La mise en scène de La Cenerentola par Guillaume Gallienne est bien connue du public de l’Opéra Garnier qui a pu la voir une première fois à sa création, en juin-juillet 2017, et lors de sa précédente reprise à l’automne 2018. Vraisemblablement cette unique expérience opératique du sociétaire de la Comédie-Française est née dans la foulée du succès du film Les Garçons et Guillaume, à table ! (2013), transposition de la pièce de théâtre de 2008. En effet, dans l’entretien publié dans le programme de salle le metteur en scène évoque comment Stéphane Lissner lui avait proposé cette expérience « Parce que c’est sur la famille, c’est drôle et c’est cruel ! ».
L’idée centrale de la production découle apparemment de la strette du finale I qui aurait éveillé à la fois chez le réalisateur et chez son scénographe, Éric Ruf, l’image d’un volcan en éruption – « un certo foco », un certain feu, nous dit le livret –, en fait un tremblement de terre, « un terremoto ». La scène est donc parsemée des cendres du Vésuve, matérialisation du sobriquet même de l’héroïne (« À force de répéter le nom de Cendrillon, nous avons fini par en entendre l’origine », nous avoue l’administrateur général de la Comédie-Française). Parce que c’est bien à Naples que se situe l’action de cette exécution, le poème de Jacopo Ferretti ne fournissant aucune indication géographique concrète : le palais rouge de Don Magnifico, suffisamment délabré, au début et à la fin ; un vaste espace vide où campe un escabeau-plateforme pour représenter la demeure de Don Ramiro dans les scènes centrales… « Ici, les rouges siciliens, les rouges Vésuve, les ocres dialoguent avec le rouge velours du Palais Garnier », nous indique toujours le programme de salle. Alors pourquoi faire chanter Don Magnifico rideau baissé au début de l’acte II (air « Sia qualunque delle figlie ») ? Le personnage est toujours chez le prince, bien que le « ciuccio », le mulet, de ce nouveau rêve éveillé le ramène à l’âne du premier songe (« il somaro è il genitor »).
Rappelons encore ce seigneur fragilisé, probablement blessé de guerre, portant un appareil orthopédique à sa jambe droite, sorte de ramoneur des faubourgs lors du déguisement. Les aspirantes épouses, apparaissant quand le chœur « Scegli la sposa, affrettati » annonce l’entrée de Dandini, donnent presque l’illusion de les entendre chanter, alors que, on le sait, les chœurs de La Cenerentola sont entièrement masculins : l’effet de surprise est d’autant plus saisissant et la caricature désopilante. Le valet revêtant l’habit du prince ne peut alors que singer le mafioso, suivant un stéréotype bien enraciné, du moins à l’Opéra national de Paris, s’agissant d’opera buffa italien et plus particulièrement rossinien (souvenons-nous de la mise en scène conçue par Andrei Serban pour L’italiana in Algeri, au printemps 1998, toujours en ces lieux). Ce qui, par ailleurs, reste sans effet au moment de recouvrer sa propre identité, Ramiro retrouvant l’uniforme militaire de son rang, Dandini demeurant mafioso.
Festival Rossini
La distribution se distingue avant tout pour son homogénéité. Le quatuor de voix masculines, connaissant le répertoire rossinien sur le bout de la langue, nous convie presque à une sorte de Festival Rossini. Avec ses trois airs solistes, Carlo Lepore (Don Magnifico), ancien Alidoro au début de sa carrière, se taille quelque peu la part du lion dans le rôle jadis porté par Paolo Bordogna et Alessandro Corbelli. Dans ce dramma giocoso, Don Magnifico est l’essence même de l’héritage de l’opéra bouffe et la basse italienne incarne à la perfection cette facette de l’œuvre. Après une sortita de bonne tenue, son intervention au sein du finale central (« Noi don Magnifico » en Bacchus-sommelier, « cantiniero ») excelle dans le chant syllabique, avant un air de l’acte II grandiose. Pour Vito Priante, venant après Florian Sempey, Dandini n’a plus aucun secret, pour l’avoir chanté en Europe et aux États-Unis. Son air de présentation est ainsi une leçon de chant rossinien. Habitué de la maison, Luca Pisaroni est un Alidoro majestueux, à la fois par sa taille et par les graves qu’il déploie dans son air du sortilège, notamment dans la cabalette, sachant relayer la solennité du philosophe et l’agilité qui sied au morceau de bravoure. Bon comédien dans son accoutrement étriqué, Dmitry Korchak, succédant à Lawrence Brownlee, aborde le redoutable air de l’acte II tel le grand ténor rossinien qu’il est, alliant émotion et brillant, afin d’animer les différents affects qui habitent le personnage au moment de s’avouer son sentiment. Son précédent duo avec son valet, au cœur du finale I (« Zitto, zitto: piano, piano »), est également l’occasion de faire état d’un sillabato d’anthologie que viennent soutenir Clorinda et Tisbe, dans le quatuor qui suit.
Deux personnages idéalement crédibles
Gaëlle Arquez ne peine nullement à rivaliser avec ses devancières, Teresa Iervolino en 2017 et Marianne Crebassa en 2018, peu convaincantes. Après avoir essayé Angelina en concert, en 2014, elle investit l’héroïne de l’expérience qu’elle a acquise dans le chant rossinien, ayant déjà à son répertoire Isabella et Rosina, ainsi que l’Isolier du Comte Ory. Dès l’andantino de l’introduction (« Una volta c’era un re »), elle fait des merveilles grâce à son sens de la nuance. Dès lors, son duo avec Ramiro est un miracle d’exactitude, les deux personnages étant idéalement crédibles aussi bien sur le plan scénique que musical. Malgré quelques raideurs dans le haut du registre, son rondò final révèle toute l’adéquation de l’interprète à son emploi. Un brin de passion en plus permettrait de parfaire davantage son incarnation mais, s’agissant presque d’une prise de rôle, il est certain que la cantatrice saura favorablement évoluer dans les années à venir.
Péché véniel, enfin : nous lui conseillons de mieux soigner ses doubles consonnes, hélas traîtresses en italien, mais absolument incontournables dans des passages-clés, tel que le quintette de l’acte I ou la cabalette de la scène finale où l’on entend respectivement balar pour « portatemi a ballar » et gorghegiar pour « starò sola a gorgheggiar ». Les arcanes de la langue de Dante… À Paris, cela est sans doute passé inaperçu mais, s’agissant d’une scène internationale et d’une artiste qui ambitionne une carrière planétaire, ces petites précautions ne pourront qu’être profitables à un avenir qui s’annonce déjà glorieux, comme le confirment ce même quintette et le monumental sextuor de l’acte II où la mezzo est au pinacle, à l’unisson avec tous ses acolytes.
Martina Russomanno et Marine Chagnon sont des demi-sœurs de luxe, la première se montrant très percutante dès ses interventions de l’introduction.
À ses débuts sur la première scène lyrique nationale, Diego Matheuz maîtrise parfaitement sa direction de l’orchestre de l’Opéra qui prime notamment pour sa cohésion, tout en paraissant par moments quelque peu en retrait. Il dirige la version traditionnelle, aux récitatifs accompagnés au piano, renonçant à la harpe qu’avait introduite Ottavio Dantone en 2017. Très beau crescendo des cordes dès l’ouverture et excellente tenue des vents dans la scène de l’orage. Toujours très justes, les chœurs de l’Opéra national de Paris sonnent également bien idiomatiques.
Angelina : Gaëlle Arquez
Clorinda : Martina Russomanno
Tisbe : Marine Chagnon
Don Ramiro : Dmitry Korchak
Dandini : Vito Priante
Don Magnifico : Carlo Lepore
Alidoro : Luca Pisaroni
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Diego Matheuz
Mise en scène : Guillaume Gallienne
La Cenerentola
Dramma giocoso en deux actes de Gioachino Rossini, livret de Jacopo Ferretti, créé au Teatro Valle de Rome le 25 janvier 1817.
Représentation du samedi 10 septembre 2022, Palais Garnier (Paris)