L’Opéra Royal de Wallonie-Liège ouvre sa saison avec Lakmé, qui n’avait plus été représentée en ces lieux depuis presque 30 ans. Un spectacle séduisant sur le papier, mais qui ne tient pas tout à fait toutes ses promesses…
Coïncidence : alors que l’Opéra-Comique s’apprête à proposer une nouvelle production de Lakmé (avec Sabine Devieilhe et Frédéric Antoun dans les rôles principaux), l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a également choisi le chef-d’œuvre de Delibes pour ouvrir sa saison 2022-2023, et il sera également à l’affiche de l’Opéra de Monte-Carlo en décembre prochain.
Colonialisme, patriarcat, violence des hommes, racisme : est-ce la présence de thématiques on ne peut plus débattues aujourd’hui qui permet à Lakmé d’acquérir une nouvelle visibilité sur les scènes internationales ? Quoi qu’il en soit, on sait gré au metteur en scène de ne pas avoir surligné à gros traits ces problématiques qui, pour importantes qu’elles soient, n’en deviennent pas moins un peu envahissantes aujourd’hui sur les scènes d’opéras… Impossible bien sûr de faire l’impasse sur les questions liées au colonialisme et à la difficulté (l’impossibilité ?) pour deux cultures à ce point différentes de cohabiter pacifiquement, se respecter, s’apprivoiser : elles sont au cœur même de l’œuvre. Pour les aborder, le metteur en scène Davide Garattini Raimondi a fait un choix pour le moins original : il imagine que le jeune Gandhi assiste aux événements tragiques narrés par les librettistes Gondinet et Gille, et que les réflexions que ces événements feront naître en lui seront, dans une certaine mesure, à l’origine de sa philosophie empreinte de tolérance et de pacifisme. Gandhi âgé est également présent sur scène : tout se passe comme si le vieil homme se remémorait cette histoire et la racontait aux enfants qui l’entourent, tout en leur transmettant les valeurs qui lui tiennent à cœur. Historiquement, l’idée est plausible (Gandhi est né en 1869, Lakmé est créée en 1883), mais elle aurait sans doute mieux fonctionné sans les projections insistantes de maximes gandhiennes (« Haïssez le péché, aimez le pécheur », « Là où il y a la peur, il n’y a pas de religion », « Il n’est pas nécessaire d’éteindre la lumière de l’autre pour que brille la nôtre »,…), le procédé, répétitif, s’avérant in fine lourdement didactique. La scénographie, imposante, alourdit également quelque peu le spectacle – surtout au premier acte, le troisième étant nettement plus réussi : le duo final des amants, de façon originale, se situe non pas en pleine forêt, dans une cabane située « sous un arbre gigantesque et perdue dans les acacias roses, les daturas à double calice blanc, les tulipias jaunes », mais dans « un club house anglais typique » (dixit le metteur en scène) où Gérald et Lakmé ont trouvé refuge.
D’une manière générale d’ailleurs, le spectacle nous a semblé aller en s’améliorant, y compris sur le plan musical : la direction de Frédéric Chaslin, un peu lourde au premier acte, devient plus efficace quand le drame se noue à la fin du second, et trouve de belles couleurs poétiques pour l’évocation du dénouement.
Hélas, le couple de protagonistes, très attendu, s’est montré ce soir en petite forme… Jodie Devos, dont nous avons apprécié si souvent la technique et le charme vocal, était-elle indisposée ? Son incarnation du personnage, aux deux premiers actes, nous a semblé privée de poésie, et surtout, la voix n’a répondu que partiellement aux sollicitations de la chanteuse, avec un air des clochettes un peu douloureux (vocalises pas toujours très précises, justesse approximative, aigus rebelles…) Heureusement, tout s’améliore au dernier acte, avec une berceuse (« Sous le ciel tout étoilé ») poétique et une mort très émouvante. Le rôle de Gérald semble excéder les moyens qui sont ceux de Philippe Talbot aujourd’hui : ce ténor, que nous apprécions beaucoup dans le bel canto ou d’autres œuvres françaises plus légères vocalement, s’est montré ici en difficulté, avec une puissance vocale souvent trop limitée et des aigus laborieux, la voix se fatiguant par ailleurs sensiblement au fil de la soirée… Nous espérons le retrouver très vite dans des emplois mieux adaptés à son profil vocal actuel.
Dans ces conditions, ce sont les voix graves qui retiennent surtout l’attention : Pierre Doyen (Frédéric), voix claire, agréable, efficacement projetée, fait valoir ses habituelles qualités de diction ; et Lionel Lhote est un Nilakantha stylé, au chant noble, capable de concilier tout à la fois la tendesse du personnage (superbe « Lakmé, ton doux regard se voile ») mais aussi sa rudesse et sa brutalité.
Signalons pour finir la Malika de bonne tenue de Marion Lebègue, l’amusant trio d’Anglaises formé par Julie Mossay (Ellen), Caroline de Mahieu (Rose) et Sarah Laulan (Mistress Bentson), le Hadji touchant de Pierre Romainville, ainsi que les prestations d’un orchestre en bonne forme et surtout d’un chœur homogène et fortement impliqué.
Le public, venu nombreux et visiblement ravi et rassuré de retrouver son théâtre après l’incendie de l’été dernier, a accueilli très chaleureusement le spectacle et ses principaux acteurs.
Lakmé : Jodie Devos
Malika : Marion Lebègue
Ellen : Julie Mossay
Rose : Caroline de Mahieu
Mistress Bentson : Sarah Laulan
Gérald : Philippe Talbot
Nilakantha : Lionel Lhote
Frédéric : Pierre Doyen
Hadji : Pierre Romainville
Un Kouravar : Benoît Delvaux
Un Chinois : Xavier Petihan
Un Domben : Benoît Scheuren
Gandhi (comédien) : Rudy Goddin
Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, dir. Frédéric Chaslin
Mise en scène : Davide Garattini Raimondi
Décors et lumières : Paolo Vitale
Costuumes : Giada Masi
Chorégraphie : Barbara Palumbo
Lakmé
Opéra en trois actes de Léo Delibes, livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille d’après le roman de Pierre Loti Rarahu ou le Mariage de Loti (1880) et inspiré des récits de voyage de Théodore Pavie, créé le à l’Opéra-Comique.
Opéra Royal de Wallonie-Liège, représentation du mardi 20 septembre 2022.