Angers Nantes Opéra ouvre courageusement sa saison avec une création : L’Annonce faite à Marie de Philippe Leroux, une œuvre que nous avions présentée à nos lecteurs dans un dossier spécifique. Paul Claudel est décidément très en vue chez les librettistes et compositeurs de ce début de XXIe siècle : Le Soulier de satin de Marc-André Dalbavie vient tout juste d’être créé au Palais Garnier (le livret en était également signé Raphaèle Fleury), et L’Annonce faite à Marie a déjà fait l’objet de trois opéras, le dernier en date, composé par Marc Bleuse, ayant été créé en 2019. La pièce de Claudel porte effectivement en germe tout ce qui peut faire un bon livret d’opéra : une intrigue simple mais puissante, des personnages fortement caractérisés mais dont les motivations et actions restent crédibles et, au-delà de la spiritualité et du mysticisme qui caractérisent le texte claudélien, la présence de passions humaines fortes (haine, amour, jalousie), supports de tout drame, de toute tragédie depuis que le monde est monde.
Dans le programme de salle, le compositeur Pierre Leroux explique avoir choisi de respecter le genre même de l’opéra : L’Annonce faite à Marie est donc une « œuvre dramatique chantée et mise en musique », avec « un jeu d’acteur des chanteurs, une narration […] et une partie musicale réalisée par des instruments » (bravo aux instrumentistes de l’ensemble Cairn réunis pour l’occasion et au chef Guillaume Bourgogne pour leur parfaite appropriation de cette partition difficile). L’aspect novateur – ou du moins non traditionnel – de l’œuvre est assuré par le recours à une musique électroacoustique et, chez les chanteurs, une technique et une émission vocales qui ne se confondent pas systématiquement avec le chant lyrique (les solistes sont ainsi amenés à parler, déclamer, ou émettre des sons rauques et gutturaux). Si la narration est linéaire et suit d’assez près la progression de la pièce de Claudel, tous les éléments du texte ne sont pas toujours parfaitement compréhensibles : certaines voix se superposent, dont celle de Claudel reconstituée électroniquement, qui intervient régulièrement pour ponctuer l’action ; et certains éléments textuels entendus ne font pas toujours sens : ce ne sont parfois qu’une succession de mots décousus, voire quelques syllabes répétées mécaniquement. Cest que le sens littéral, dans telle ou telle scène, importe en effet moins que l’impression générale – ou le sens général, véhiculé par d’autres éléments que le texte lui-même : le jeu des acteurs, les décors et lumières, les projections filmiques, et bien sûr la musique.
Quoi qu’il en soit, la lisibilité de l’action est également assurée par la belle mise en scène de Célie Pauthe qui propose un spectacle sobre et efficace, porté par un jeu d’acteurs travaillé et convaincant, les décors de Guillaume Delaveau dont le dénuement est contrebalancé par les belles lumières de Sébastien Michaud et la projection d’images filmiques signées François Weber, ainsi que les costumes d’Anaïs Romand, à la symbolique explicite mais dépourvue de lourdeur : les deux sœurs Violaine et Mara portent des robes dont le jeu de couleurs inversé montre que l’une est le double négatif de l’autre, alors que les habits d’Anne Vercors (le père) et Jacques Hury (le fiancé) sont identiques, le second prenant en fait la place du premier lorsqu’Anne décide de quitter le foyer pour se rendre en pèlerinage à Jérusalem. Certains tableaux sont très réussis, telle la scène de l’acte III où la silhouette de Violaine, portant dans ses bras le bébé de sa sœur, semble tout d’abord se confondre avec celle d’une Mater dolorosa avant de se métamorphoser en Madone à l’enfant – au moment où elle allaite la petite Aubaine.
L’œuvre, exigeante sans être – heureusement – inaccessible ou absconse déploie ses quatre actes sur une durée de 2h30 (sans entracte). Si les deux premiers actes nous ont semblé manquer de scènes véritablement saillantes (à l’exception de la confrontation entre Violaine et Jacques à l’acte II), l’acte IV, avec la mort de Violaine, et surtout l’acte III avec la rencontre entre les deux sœurs dans la léproserie du Géyn offre des moments bien plus forts sur le plan dramatique. Quoi qu’il en soit, l’opéra est défendu vaillamment par une excellente équipe de chanteurs-comédiens : les deux sœurs possèdent des voix aux couleurs idéalement différenciées (claire et limpide pour Raphaële Kennedy, plus chaude, plus veloutée, plus dramatique pour Sophia Burgos) pour caractériser au mieux ces personnages si opposés psychologiquement et dramatiquement. Marc Scoffoni et Els Janssens Vanmunster incarnent les deux parents avec une finesse qui est autant vocale que scénique. Le rôle de Pierre de Craon échoie au ténor Vincent Bouchot dont la voix et le jeu scénique émouvants disent tout le regret du personnage d’avoir un jour tenté de violer l’héroïne. Enfin, Charles Rice est excellent en Jacques Hury, avec comme d’habitude une voix saine, très efficacement projetée et une diction à la clarté très appréciable.
Le spectacle, au rideau final, remporte un beau succès public ! Vous pourrez l’applaudir à Nantes jusqu’au 14 octobre, à Rennes du 6 au 9 novembre, et à Angers le 19 novembre.
Violaine Vercors : Raphaële Kennedy
Mara Vercors : Sophia Burgos
Elisabeth Vercors : Els Janssens Vanmunster
Anne Vercors : Marc Scoffoni
Jacques Hury : Charles Rice
Pierre de Craon : Vincent Bouchot
Ensemble Cairn, dir. Guillaume Bourgogne
Assistant à la direction musicale : Rémi Durupt
Mise en scène : Célie Pauthe
Assistance à la mise en scène : Solène Souriau
Scénographie : Guillaume Delaveau
Électronique Ircam : Carlo Laurenzi
Diffusion sonore Ircam : Clément Cerles
Costumes : Anaïs Romand
Lumières : Sébastien Michaud
Images : François Weber
Dramaturgie : Denis Loubaton
L’Annonce faite à Marie
Opéra en quatre actes de Philippe Leroux, livret de Raphaèle Fleury d’après l’œuvre de Paul Claudel.
Angers Nantes Opéra. Nantes, Théâtre Graslin, représentation du dimanche 09 octobre 2022