La Périchole a de la chance : deux productions en quelques mois. Après la vision colorée, déjantée, réussie à l’Opéra Comique au printemps dernier, voici la vision offerte au TCE par deux compères qui sillonnent ensemble les grands succès du compositeur depuis un quart de siècle.
Le plus agréable dans cette nouvelle production est sans doute le fait de tout comprendre de ce qui est chanté. Cela ne va pas toujours de soi, même si c’était déjà le cas dans l’enregistrement de cet opéra bouffe que Minkowski a réalisé en 2018 pour le Palazzetto Bru Zane, comme ce l’était, il y a plus de quarante ans, pour la version Lombard-Crespin.
Que ce soit le chœur (magnifiquement préparé) ou l’ensemble des solistes, toutes et tous sont au service du texte. Quant à la musique d’Offenbach, les Musiciens du Louvre la servent avec fougue, celle que Marc Minkowski sait instiller depuis le formidable Orphée aux enfers, à Lyon, il y a 25 ans, en passant par un mémorable concert Offenbach avec Anne-Sofie von Otter au Châtelet en 2001 (publié chez DG) ou les deux autres œuvres phares que furent, en 2000, la Belle Hélène puis la Grande duchesse de Gerolstein en 2004, avec la grande Felicity Lott.
Quand il le faut, il y a ce brin de folie indissociable d’Offenbach avec le galop du mariage, repris en bis sous les applaudissements ravis de la salle. Mais le chef n’oublie jamais la poésie (l’air de la lettre) et l’humour, en soulignant ici ou là les effets à l’orchestre pour commenter le texte chanté.
Pourtant, ce soir de première, le spectacle est inégal. Si l’abattage d’Antoinette Dennefeld en Périchole est évident dès le deuxième acte, elle semblait moins libérée au premier acte – sauf au moment de son air de la griserie, renversant à plus d’un titre.
Était-ce dû à l’enjeu de la soirée ou plutôt à ce qui pose vraiment problème dans la production : le mélange des niveaux de langue. Car le livret a été réécrit par Agathe Mélinand pour ce qui concerne les dialogues parlés, dans une version actualisée façon époque contemporaine. Et la vulgarité assumée du couple Périchole-Piquillo au premier acte (dans les mots comme dans l’intonation) est vraiment too much. D’autant que, sans transition, dès qu’à l’acte suivant la Périchole se retrouve au cœur du palais du Vice-Roi, la voici très grande dame, au langage châtié et à l’allure princière. Et le pire est bien le décalage entre ce langage et la musique d’Offenbach.
C’est d’autant plus dommage qu’après un premier acte, dont la mise en scène fait craindre un spectacle de patronage (mais c’en est de fait la caricature), le second est somptueusement réussi avec ses immenses miroirs, ses vastes canapés et surtout cette quinzaine de favorites toutes issues du monde des influenceuses, version Kim Kardashian en blonde, toutes habillées de robes fourreau-crinoline argentées inénarrables. Et le spectacle prend alors une autre tournure, que la suite ne démentira pas – si ce ne sont les quelques retours de mots crus, inutilement proférés sur un ton vulgaire assumé, lors de la scène de la prison.
Musicalement, nous sommes à la fête. Si, à de rares moments, l’orchestre couvre un peu les chanteurs, il nous donne les musiques d’entracte trop rarement jouées, qui font entendre des solos d’alto et de clarinette onctueux. Quant aux voix, il y a la truculence des rôles masculins, à commencer par les deux sbires du Vice-roi, Don Pedro et Panatellas campés par Lionel Lhote et Rodolphe Briand, aussi drôles que bien chantants. Le Vice-roi de Laurent Naouri est toujours aussi à l’aise chez Offenbach depuis Orphée aux enfers. Chloé Briot, Alix Le Saux et Éléonore Pancrazi sont aussi convaincantes dans leurs rôles des trois cousines fantasques que dans celui des trois courtisanes méprisantes. Stanislas de Barbeyrac incarne un Piquillo traversé de doutes, homme fragile parce qu’amoureux, à la voix dont l’ampleur, dans les duos, a parfois tendance à couvrir sa partenaire. La musicalité de sa Périchole n’est pas en cause : Antoinette Dennefeld nous émeut (l’air de la lettre ou le « tu n’es pas beau » de la scène de la prison), nous chavire même à plus d’un moment (l’air de la griserie), mais parfois manque de liberté, comme si elle retenait un réel potentiel, alors que le volume de sa voix semble un peu en retrait. Le rodage du spectacle devrait rendre ces petits bémols caducs.
Reste à savoir ce que notre société pense de cette Périchole qui affirme « je suis faible car je suis femme » et de ces messieurs chantant, égrillards, « les femmes, les femmes, il n’y a qu’ça », de ce prisonnier lubrique se jetant littéralement, à deux reprises, sur des femmes…
Offenbach avait déjà sa petite idée : « mon dieu, que les hommes sont bêtes ! », comme le chante la Périchole.
La Périchole : Antoinette Dennefeld
Piquillo : Stanislas de Barbeyrac
Don Andres, le Vice-Roi : Laurent Naouri
Les trois cousines : Chloé Briot, Alix Le Saux, Éléonore Pancrazi
Le comte Miguel de Panatellas : Rodolphe Briand
Don Pedro de Hinoyosa : Lionel Lhote
Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski
Choeur de l’Opéra National de Bordeaux, dir. Salvatore Caputo
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand
Scénographie : Chantal Thomas
Lumières : Michel Le Borgne
Collaborateur aux costumes : Jean-Jacques Delmotte
La Périchole
Opéra bouffe de Jacques Offenbach, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Mérimée, créé le 06 octobre 1868 au Théâtre des Variétés dans une version en deux actes.
Paris, Théâtre des Champs Elysées, Représentation du dimanche 13 novembre 2022.