Un choix courageux
L’Opera Vlaanderen propose une nouvelle production d’Ernani de Verdi dans une mise en scène pour le moins novatrice. Musicalement, les voix graves triomphent !
Guerre et cœur
C’est toujours un acte de courage de monter Ernani hors d’Italie. L’œuvre a beau être le deuxième grand succès de Verdi et celui qui l’a consacré dans la péninsule, elle reste toujours confidentielle dans les circuits internationaux. Saluons donc la hardiesse d’Opera Vlaanderen d’avoir relevé le défi et d’avoir réuni une bonne équipe pour s’en acquitter.
La mise en scène de Barbora Horáková Joly fait le pari du cœur, mainte fois évoqué dans le livret de Piave ; c’est du moins ce que l’on apprend du dossier de presse disponible sur le site de la maison, les propos de la metteure en scène n’étant qu’en flamand dans le programme de salle. La conception de l’ancienne assistante de Calixto Bieito relève plutôt de la version de concert, pour ce qui est de la direction d’acteur, néanmoins agrémentée de bien des symboles en guise de commentaire, ce qui a l’avantage de ne nullement gêner les chanteurs dans leur performance. Relevons donc quelques belles projections : ce drapé blanc flottant au vent au-dessus d’une statue, relayé par le rouge du cœur, des visages recouverts de sable séché, aux yeux bandés, sans doute des prisonniers, ce militaire qui brandit son arme à la tombée du rideau entre les actes I et II, lorsqu’on entend les battements d’un cœur, ces capuches noires d’où s’en détache une, toujours rouge. Plus discutables, sans doute, la tentative de suicide d’Elvira, dès son duo avec le séducteur, et son ultime sacrifice, lorsqu’elle se coupe les veines, de même que le roi d’Espagne soufflant des bulles géantes pendant la cabalette de l’héroïne, le cube de roses rouges où se tient Elvira, aussi en rouge, à l’acte II, s’ouvrant en mobilier de cuisine, afin de donner corps au château de Silva, ou encore la lutte jusqu’à la mort entre les deux jeunes rivaux et cet énorme cœur anatomique à l’acte IV.
Mise en espace, s’il en est, à laquelle concourent les interventions chorégraphiées de la danseuse Christine Sollie et les textes poétiques de Peter Verhelst récités par le comédien Johan Leysen. Si ces derniers ont peu de chose à voir avec la trame de l’opéra, ils ne dérangent pas particulièrement le déroulement de l’action, à quelques exceptions près, telles l’attaque du duo entre Elvira et Don Carlo, à l’acte I, ou encore la transition de ce même numéro vers le trio avec le héros et celle entre l’air de Silva et le finale I. Et force est de constater qu’ils n’apportent pas grand-chose à l’équilibre de l’ensemble du spectacle. Une annonce, non surtitrée, est lue à l’entracte, entre le II et le III. On comprend qu’il est question de la guerre en Ukraine et la dénonciation du conflit apparaît par moments au cours de la soirée.
Le triomphe des voix graves
Sur le plan vocal, les deux voix graves, à leurs débuts à Anvers mais pas dans leurs rôles respectifs, s’imposent sans conteste. Dès son duo avec Elvira, le beau baryton d’Ernesto Petti se singularise par un phrasé à toute épreuve, donnant lieu à un véritable moment de bonheur dans les articulations avec sa consœur ; par ailleurs, il sait également incarner la menace dans les accents du trio qui suit et est époustouflant dans ses interventions solistes, notamment à l’acte III où il chante en partie au haut d’une chaise au milieu d’un champ de cadavres, les capuches noires justement.
Andreas Bauer Kanabas est tout aussi impressionnant en Silva et sa maîtrise de la ligne vient servir un timbre caverneux et imposant par nature qui sait aussi faire preuve d’une grande souplesse, notamment dans la cabalette optionnelle, ici maintenue. Et ce jusqu’au trio final où sa prestation devient exceptionnelle.
Maestria
Descendant des cintres dans un bouquet de cordes à potence, l’Elvira de Leah Gordon se singularise par la clarté de l’expression dans une cavatine de présentation que vient enjoliver l’aigu très percutant d’une cabalette aux vocalises assurées.
Pour sa première apparition anversoise, Vincenzo Costanzo ne choisit pas la facilité, qui plus est, en prise de rôle. Son timbre juvénile, qui rappelle à plusieurs reprises celui de Francesco Demuro, se défend parfaitement dans le haut du registre et sa sortita sonne très solaire, malgré un récitatif quelque peu laborieux. Il incarne un Ernani en devenir, sachant fondre savamment sa voix à celles de ses acolytes, notamment dans les finales II et IV, où il triomphe de toute embûche.
Sauf erreur, c’est la première fois que Julia Jones aborde ce titre verdien, tout en ayant une bonne expérience de l’œuvre du compositeur. Elle dirige avec maestria l’orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres dont ressortent tout particulièrement des vents et des cordes prodigieux.
Les Chœurs de la maison complètent, très idiomatiques surtout dans la beuverie du début, dans l’épanchement patriotique d’Aix-la-Chapelle et dans la pantomime du mariage.
Ernani : Vincenzo Costanzo
Don Carlo : Ernesto Petti
Elvira : Leah Gordon
Don Ruy Gomez de Silva : Andreas Bauer Kanabas
Giovanna : Elisa Soster
Don Riccardo : Dejan Toshev
Jago : Thierry Vallier
Récitant : Johan Leysen
Danseuse : Christine Sollie
Orchestre symphonique et Choeur de l’Opera Vlaanderen, dir. Julia Jones
Mise en scène : Barbora Horáková Joly
Ernani
Dramma lirico en quatre parties de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro La Fenice de Venise le 9 mars 1844.
Opera Vlaanderen (Anvers), représentation du vendredi 16 décembre 2022