À l'Opéra de Metz, une nouvelle production du Mondo della Luna, transposé à l'époque des "premiers pas sur la Lune".
Pierre Thirion-Vallet adapte l’intrigue du Mondo della Luna de Haydn, qui voit s’affronter espions soviétiques et américains sur fond de guerre froide, à l’heure de la conquête de la Lune.
Une nouvelle rareté à l’Opéra de Metz
À chaque nouvelle saison, l’Opéra de Metz programme de façon originale et courageuse, à côté des grands titres du répertoire, une ou plusieurs œuvre(s) sortant des sentiers battus : il y eut ainsi Giovanna d’Arco en 2020, ou encore Mireille en juin dernier. Cette saison, c’est le (plutôt) rare Mondo della Luna de Haydn que propose « la plus ancienne maison d’opéra en activité en France ». L’œuvre, certes non exempte de défauts (le premier acte notamment ne s’affranchit guère d’une certaine convention), présente un intérêt musical mais aussi littéraire (le livret est adapté de Goldoni) certain. Il y est question, comme dans bon nombre de comédies italiennes ou françaises des XVIIe et XVIIIe siècles, d’un vieux barbon (Buonafede) qui sera la dupe de jeunes gens, parvenant à épouser les élu.e.s de leur cœur en dépit de l’interdiction du vieillard – lui-même intéressé par les charmes d’une jeune soubrette. L’originalité du livret réside dans la fascination de Buonafede pour la Lune, une fascination qu’exploitera le jeune Ecclitico en se faisant passer pour un astronome et en faisant croire à Buonafede qu’il est capable de le faire voyager… sur la « blonde Phébé » !
Il Mondo della Luna dans le (très) Grand Est
Est-ce parce que l’œuvre est montée dans le Grand Est ? Toujours est-il que le metteur en scène Pierre Thirion-Vallet transpose l’intrigue à l’époque de l’ex-URSS : nous sommes en pleine guerre froide (précisément en 1969, alors qu’on s’apprête à marcher sur la Lune pour la première fois) et Ecclitico (rebaptisé Vladimir Eccliticonovitch) est un espion soviétique chargé avec ses acolytes Ernesto et Cecco de récupérer le dossier « Objectif Lune » détenu par John Goodfaith (Buonafde). Pour parvenir à leurs fins, les complices d’Eccliticonovitch cherchent à épouser les filles de Goodfaith (Clarice, rebatisée Betty, et Flaminia – alias Pamela) afin de pouvoir pénétrer chez le vieillard. Une telle adaptation n’est bien sûr possible qu’au prix d’une réécriture partielle du texte. Pour ce faire, Pierre Thirion-Vallet supprime les récitatifs et les remplace par un texte parlé, dit en français, particulièrement important au premier acte où il s’agit de poser le cadre de la pièce et de faire comprendre au public les nouveaux enjeux de l’intrigue. La démarche du metteur en scène est facilitée par le fait qu’au premier acte, les pages chantées sont le plus souvent « décontextualisées », les arie des personnages permettant de faire un focus sur un sentiment, une réflexion (sur la raison et l’Amour, par exemple, dans l’air de Flaminia), sans qu’il soit fait explicitement référence à l’exacte situation dramatique. Si le texte parlé est peut-être un peu bavard au premier acte, le procédé fonctionne plutôt bien, à condition d’accepter que l’œuvre perde sa nature première, celle de dramma giocoso, c’est-à-dire tout simplement de comédie, pour s’approcher d’un autre genre, l’opéra-bouffe, impression confortée par la mise en scène qui ne lésine pas sur les gags de toutes sortes venant émailler le spectacle. On perd par ailleurs malgré tout une partie de la musique composée par Haydn, Pierre Degott rappelant, dans son intéressant texte introducteur, que les récitatifs contribuent pleinement à l’évocation musicale et poétique de la Lune.
Quoi qu’il en soit, même si tous les gags n’ont pas le même degré d’efficacité, le spectacle se regarde avec plaisir, grâce à un vrai sens du rythme, à une bonne direction d’acteurs, mais aussi aux jolis décors vintage conçus par Franck Aracil (l’appartement très « années 70 » de Buonafede au troisième acte est plus vrai que nature !) et aux costumes pleins de fantaisie de Véronique Henriot.
Une équipe de chanteurs-comédiens impliquée scéniquement et musicalement
Les solistes réunis pour l’occasion font preuve d’une implication sans faille, tant musicalement que scéniquement. Le rôle de Flamina, assez exposé (son air du I, « Ragion nell’alma siede » est techniquement très exigeant), est tenu par une Catherine Trottmann à la voix longue, à la belle virtuosité et aux aigus assurés. Le rôle de sa sœur Clarice est chanté par Déborah Salazar, une soprano qui est encore à l’orée de sa carrière mais qui fait déjà entendre une voix bien posée, aux couleurs agréables, à la ligne de chant soignée (très beau « Quanta gente che sospira » au deuxième acte !). Pauline Claes est une Lisetta bien chantante et amusante, même si elle reste parfois un peu sur la réserve (le « lo malizia in sen non ho » de sa « Una donna come me » mériterait un peu plus d’aplomb) : sans doute le trac de la première étant passé, la chanteuse pourra-t-elle donner encore plus libre cours à sa fantaisie lors des représentations suivantes !
Parmi les personnages masculins, un rôle est tenu par une femme : il s’agit d’Ernesto, chanté à la création par le castrat Pietro Gherardi. C’est ici Mireille Lebel qui interprète le complice d’Ecclitico, talentueuse mezzo au chant probe et stylé, et très à l’aise scéniquement dans ce rôle travesti. Enguerrand de Hys s’amuse visiblement beaucoup en Cecco ; il n’en oublie pas pour autant le beau chant et délivre un « Un avaro suda e pena » très sûr techniquement, nous gratifiant au passage d’une vocalise périlleuse sur le mot pazzi parfaitement maitrisée ! Sébastien Droy (méconnaissable avec sa perruque et sa moustache qui en font un clone d’Einstein !) fait valoir sa musicalité et ses habituelles qualités de phrasé (le duo du dernier acte avec Clarisse – Un certo ruscelletto – est particulièrement réussi), mais manifeste également de belles qualités de comédien, le personnage d’Ecclitico étant l’un de ceux auxquels échoit le plus de texte parlé. Enfin, Romain Dayez remporte en Buonafede un succès mérité. Le timbre est d’un beau velours (même si le chanteur se spécialise et excelle dans le genre bouffe, ce type de voix devrait lui permettre d’élargir le panel de ses rôles et d’incarner également des personnages « nobles »…), la projection garde son aisance sur toute la tessiture (avec des aigus particulièrement sûrs), et surtout l’interprétation du personnage est très intéressante : plutôt que de faire de Buonafede l’habituel vieillard désagréable et libidineux, il lui confère un aspect décalé, « hors-sol », lunaire (!) qui le rend à la fois drôle et presque touchant en dépit de ses défauts ! Bravo enfin à l’orchestre et au jeune chef Victor Rouanet, qui, malgré un nombre de répétitions qu’on imagine limité (David Reiland, le chef initialement prévu, s’est désisté pour raisons de santé), ont réussi à atteindre « l’objectif Lune » sans encombre – et même avec de belles qualités de précision et de complicité avec le plateau vocal.
Ecclitico : Sébastien Droy
Ernesto : Mireille Lebel
Cecco : Enguerrand de Hys
Buonafede : Romain Dayez
Clarice : Déborah Salazar
Flaminia : Catherine Trottmann
Lisetta : Pauline Claes
Orchestre national de Metz Grand Est, dir : Victor Rouanet
Choeur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
Cheffe de chant : Manon Parmentier
Mise en scène : Pierre Thirion-Vallet
Décors : Frank Aracil
Costumes : Véronique Henriot
Lumières : Véronique Marsy
Il mondo della luna
Dramma giacoso en trois actes de Haydn, livret d’après Carlo Goldoni, adaptation de Pierre Thirion-Vallet. Créé au Château d’Eszterházá (Hongrie) le 3 août 1777
Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, représentation du mercredi 25 janvier 2023