Le Songe d’une nuit d’été selon Carsen : trente ans plus tard… prolonger le rêve !
Quelle excellente idée que de reprendre le merveilleux Songe d’une nuit d’été selon Carsen ! La production a plus de trente ans et, si elle a triomphé un peu partout dans le monde, de Philadelphie à Beijing, Milan ou Londres, on l’a trop peu vue en France depuis sa création en 1991 au Festival d’Aix-en-Provence. Trente ans… et pourtant le spectacle affiche une fraîcheur, une jeunesse, une modernité exceptionnelles. Le secret de cette réussite en tout point exemplaire ? C’est que tout, absolument tout dans le spectacle conçu par Robert Carsen et son complice Michael Levine (qui signe la scénographie et les costumes) semble procéder directement de la musique. Aux antipodes de la démarche aujourd’hui généralisée consistant à plaquer sur l’œuvre, artificiellement et de façon lourdement didactique, une problématique sociétale avec laquelle elle n’entretient le plus souvent qu’un lien très ténu, Carsen laisse respirer le texte et la musique, et leur fait confiance, et fait jaillir de son imagination des tableaux visuels qui en semblent le prolongement direct. L’immense lit du premier acte, le saisissant « changement d’échelle » du second acte, les lits suspendus du troisième constituent autant de tableaux absolument inoubliables (ces derniers suscitent même des applaudissements spontanés de la part du public) ; la direction d’acteurs est d’une précision, d’une efficacité redoutables – mais aussi d’une drôlerie irrésistible (la représentation de Pyrame et Thisbé au dernier acte fait littéralement éclater la salle de rire !).
La réussite exceptionnelle de cette reprise rouennaise provient également de la qualité superlative de la distribution : si beaucoup des interprètes ici ne sont guère familiers du public français, on observe chez chacun d’entre eux une adéquation physique et vocale parfaite avec leur personnage. Le rôle d’Obéron va comme un gant au contreténor Paul-Antoine Bénos-Djian, dont le timbre, particulièrement chaleureux dans le grave et le médium, fait merveille dans le « I know a bank » du premier acte. Sa Tytania est la soprano britannique Soraya Mafin qui égrène ses notes piquées et ses aigus aériens avec aisance et poésie. Le couple royal « terrien » n’est pas en reste : Lucile Richardot met les reflets moirés de son timbre si particulier au service d’Hippolyta, tandis qu’en Theseus, le jeune Michael Mofidian fait entendre une voix au grain serré et une ligne de chant dont la noblesse rappelle celle de Samuel Ramey ! Un artiste qu’on espère réentendre bientôt dans un rôle important… Impeccable, le quatuor d’amoureux, d’aisance scénique et de probité vocale, de Kitty Whately (Hermia), mezzo au timbre fruité, à Nardus Williams (Helena) – que de beaux moyens de soprano lyrique ont déjà amenée à interpréter Mimi ou la Comtesse des Noces à Glyndebourne –, Eric Ferring, Lysander à la ligne de chant mozartienne ou Samuel Dale Johnson, Demetrius au timbre dense et à la voix très efficacement projetée. Chaque membre de la troupe des « artisans » serait à citer, pour le parfait équilibre qu’ils obtiennent tous entre respect de la partition, dynamisme scénique… et humour décapant lors de la représentation de leur « farce tragique » au dernier acte. Bravo, donc, au Quince de Barnaby Rea, au Starveling de William Dazeley, à l’irrésistible Thisbé d’Anthony Gregory, à l’inénarrable « Mur » de Robert Burt, ou encore au lion hilarant de William Thomas – et une mention spéciale à l’excellent Bottom de Joshua Bloom, particulièrement bien chantant et poussant habilement l’humour de son incarnation jusqu’aux limites du cabotinage… sans jamais y tomber ! Enfin, last but not least, Richard James-Neale propose un Puck virevoltant, facétieux, espiègle, et pour tout dire irrésistible. Il remporte un triomphe parfaitement mérité.
Ben Glassberg semble quant à lui respirer avec cette musique, qu’il dirige amoureusement et dont il exhale avec talent toutes les composantes (onirisme enivrant, sensualité, dramatisme, humour, fantaisie, parodie…), à la tête d’un orchestre dont l’excellence ne cesse de se confirmer. Le Trinity Boys Choir, enfin, préparé par David Swinson, est absolument bluffant de précision et de musicalité !
Une salle comble, un triomphe indescriptible au rideau final, des spectateurs (parmi lesquels de nombreux jeunes qui n’étaient pas les derniers à crier leur enthousiasme !) dont l’émerveillement se lisait encore sur les visages à la sortie du théâtre… Il est certains soirs où l’on a le sentiment rare d’avoir pu tutoyer la beauté, l’intelligence et la poésie.
Oberon : Paul-Antoine Bénos-Djian
Tytania : Soraya Mafi
Puck : Richard James-Neale
Theseus : Michael Mofidian
Hyppolyta : Lucile Richardot
Lysander : Eric Ferring
Demetrius : Samuel Dale Johnson
Hermia : Kitty Whately
Helena : Nardus Williams
Bottom : Joshua Bloom
Quince : Barnaby Rea
Flute : Antony Gregory
Snug : William Thomas
Snout : Robert Burt
Starveling : William Dazeley
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dir. Ben Glassberg
Trinity Boys Choir
Mise en scène : Robert Carsen
Reprise de la mise en scène: Emmanuelle Bastet
Scénographie, costumes : Michael Levine
Lumières : Robert Carsen, Peter van Praet
Chorégraphie : Matthew Bourne
Le Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream)
Opéra de Benjamin Britten, adapté de Shakespeare par lui-même et Peter Pears, créé à Aldeburgh (Royaume Uni) en 1960.
Opéra de Rouen Normandie, représentation du vendredi 27 janvier 2023