Matthieu Rietzler, le directeur de l’Opéra de Rennes, a eu la riche idée de proposer à la metteuse en scène Louise Vignaud de revisiter Zaïde, œuvre inachevée, incomplète et donc ouverte de Mozart. Une réalisation très riche également puisque Louise Vignaud, la dramaturge Alison Cosson et le compositeur Robin Melchior proposent une Zaïde qui fourmille d’inventivité, de réflexions, de strates de lecture et de voies de recherches, autant d’éléments épars mais réunis comme autant de possibles… sur une île.
Paysage lunaire, nocturne et désertique. Rocher noir, glacial et aride. Cette île mystérieuse n’a rien de paradisiaque, elle est à vrai dire assez laide. Elle sera pourtant le creuset alchimique de connaissances de soi-même et de l’autre.
Le défi n’était pas mince pour Louise Vignaud, Alison Cosson et Robin Melchior. Zaïde, singspiel inachevé de Mozart, est parvenu jusqu’à nous sans son ouverture, sans son dénouement et avec des dialogues à l’attribution douteuse. Voilà qui ne facilite pas vraiment la tâche mais qui permet pourtant beaucoup sans que le puriste s’exaspère d’une relecture bancale de l’œuvre. La nouvelle version sera donc radicalement différente. De l’originale ne restent que les airs et ensembles. Adieu le chœur et le personnage d’Osmin, à l’as également le sérail, l’orientalisme et le monde musulman imaginés par Mozart et son librettiste Johann Andreas Schachtner. Subsistent l’idée d’enfermement et un questionnement de l’ailleurs et de l’autre que n’auraient pas reniés les Lumières.
Les protagonistes de cette Zaïde sont maintenant des enfants ou plutôt, des adolescents de 17 ans, naufragés sur l’île depuis leur plus jeune âge et jouets des expérimentations plus ou moins ésotériques d’Inzel, nouveau personnage inventé par Louise Vignaud et Alison Cosson, sorte de croisement subtil d’un Na’vi avec la Fée des Lilas. Interprétée avec intensité par la comédienne Marief Guittier, Inzel tire subtilement sur son fil de parentés pas si lointaines avec Sarastro, Propsero et le Prince de La Dispute de Marivaux.
L’arrivée par la mer d’un jeune homme sauvé de la mort par la volonté d’Inzel et le secours d’une chambre à air fera naître amour, jalousie, colère, quête de liberté et affirmation de soi-même. Les airs composés par Mozart et chantés ici en langue allemande servent de cabinet de réflexion philosophique pour les protagonistes mais ne font que très peu avancer l’action. Aux dialogues d’Alison Cosson d’assumer ce rôle. Parfois un peu bavards, ils restent fidèles à l’œuvre de Mozart, au conte philosophique initiatique, à l’esprit des Lumières et à une pensée qu’on n’hésitera pas à chercher du côté de la franc-maçonnerie. La dramaturge au style bref et rythmé fait preuve d’un vrai sens de la narration et de la théâtralité.
Une fois le livret remanié, restait aussi à compléter l’œuvre musicalement. Le compositeur Robin Melchior s’acquitte de cette tâche sans pasticher Mozart et on lui en saura gré. Quelques rappels thématiques mozartiens apportent une vraie cohésion à l’ensemble même si l’écriture des prélude, interludes et finale, qui n’hésite pas à voguer entre Bernard Hermann et Richard Rodgers, peut parfois titiller et surprendre l’oreille. Robin Melchior a, en tous cas, un vrai talent d’orchestrateur comme le donne à entendre son usage inventif de l’instrumentarium qui lui est offert ici.
On l’aura compris, Louise Vignaud, Alison Cosson et Robin Melchior ont pris un plaisir évident à relever le défi de l’écriture d’une nouvelle Zaïde et le public a apprécié le résultat comme en atteste ce commentaire entendu à la sortie du spectacle: « Ils ont réussi à ambiancer la salle !!! »
Revenons à la musique Mozart car il en reste quand même – et fort heureusement – beaucoup. Dans la fosse, l’Orchestre National de Bretagne dirigé par Nicolas Simon rend honneur, avec précision et vigueur, à la partition d’un Mozart toujours inspiré, inventif et poétique. Les quelques rugosités initiales des cordes disparaitront bien vite en cours de représentation et l’orchestre fera preuve, comme à son habitude, d’un engagement de chaque instant. Mozart n’épargne pas les chanteurs avec une écriture vocale exigeante réclamant de ses interprètes des trésors de technique et d’expressivité. La Zaïde de Kseniia Proshina est magnifique. Quelques allègements de la ligne dans l’aigu ne seraient pas pour nous déplaire et le portrait de cette jeune fille volontaire et sensible à la fois pourrait gagner en nuances mais l’incarnation du personnage est un plaisir visuel et sonore de chaque instant. A ses côtés, Kaëlig Boché en Gomatz, Niall Andersson en Allazim. Mark Van Arsdale en Soliman font preuve d’une vaillance et d’une endurance à toute épreuve. Entre des airs de ténor à la bravoure d’un futur Don Ottavio et des airs de baryton aux allures de pièces de concert pour soprano, les chanteurs ont fort à faire et s’en tirent avec brio. Vocalises, longues notes filées et amplitude des ambitus parcourus sont assumés et assurés avec talent. Tous s’emparent des dialogues avec une belle énergie à la verve toute adolescente même s’ils devraient gagner en fluidité avec le temps.
Cette Zaïde nouvelle version, drame intime et universel à la fois, ne manque pas d’atouts et mérite qu’on s’y arrête absolument. Cela tombe bien, cette île mystérieuse accostera bientôt à Nantes, Quimper et Besançon.
AUTRES REPRÉSENTATIONS
Nantes – Théâtre Graslin 26 février 2023, 16h 28 février 2023, 20h 02 et 03 mars 2023, 20h 05 mars 2023, 16h
Quimper – Théâtre de Cornouaille 15 et 16 mars 2023, 20h
Besançon – Les 2 Scènes 24 et 25 mars 2023, 20h
Zaïde : Kseniia Proshina
Gomatz : Kaëlig Boché
Allazim : Niall Andersson
Soliman : Mark Van Arsdale
Inzel – narratrice : Marief Guittier
Orchestre National de Bretagne
Direction musicale : Nicolas Simon
Assistant à la direction musicale : Sébastien Taillard
Composition – orchestration : Robin Melchior
Chef de chant : Robin Le Bervet
Mise en scène : Louise Vignaud
Assistante mise en scène : Sarah Kristian
Dramaturgie & livret parlé : Alison Cosson & Louise Vignaud
Scénographie : Irène Vignaud
Costumes : Cindy Lombard
Lumières : Julie Lola Lanteri
Assistant éclairagiste : Alexandre Schreiber
Création sonore : Clément Rousseaux
Maquillage et coiffure : Judith Scotto
Zaïde
Wolfgang Amadeus Mozart
Singspiel en deux actes (1780)
Livret original de Johann Andreas Schachtner
Opéra de Rennes, représentation du lundi 6 février 2023
NOUVELLE PRODUCTION Coproduction Opéra de Rennes, Angers Nantes Opéra, Opéra Grand Avignon, Théâtre de Cornouaille / Scéne nationale de Quimper Avec l’aide à la création, production et diffusion du Centre National de la Musique (CNM)